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La qualité sous contrat : engagement et responsa bilisation des acteurs

grille d’analyse

5.4 La qualité sous contrat : engagement et responsa bilisation des acteurs

Si la qualité des sillons reste aujourd’hui perfectible à différents égards, quels types d’actions ont été engagés pour l’améliorer ? Dans cette dernière section, nous nous at-

tachons à présenter deux exemples de dispositifs contractuels18 récemment mis en place

dans une perspective d’amélioration de la qualité des sillons offerts par le gestionnaire d’infrastructure, d’une part et de la qualité des circulations réalisées sur le réseau, d’autre part. Nous en détaillons les objectifs, les parties prenantes et les premiers résultats. Cette analyse met en évidence deux enjeux dans les relations qui unissent le gestionnaire d’in- frastructure et les entreprises ferroviaires et/ou les candidats autorisés : la mesure de la qualité au travers de la construction d’indicateurs et l’engagement (réciproque) prenant la forme d’incitations financières dans le cadre de délais convenus.

5.4.1

Les accords qualité sillons

La contractualisation entre le gestionnaire d’infrastructure et ses clients en matière de qualité des sillons a été lancée au deuxième semestre 2010 (pour les sillons de l’horaire de service 2011) avec la signature des premiers « AQS » entre RFF et la SNCF (Voyages et Geodis), Europorte et VFLI. Cette création est le fruit d’un contexte où :

— la qualité des sillons était particulièrement problématique (« crise des sillons ») en nette rupture avec les aspirations des clients,

— la signature d’un contrat de performance entre l’État et RFF (novembre 2008) identifiait la qualité des sillons comme un enjeu de la relation client de RFF, — l’Engagement National pour le Fret Ferroviaire (septembre 2009) prévoyait expli-

citement la signature d’accords de qualité entre le gestionnaire d’infrastructure et les demandeurs de sillons pour participer à la relance de cette activité.

Depuis lors, tous les principaux opérateurs (entreprises ferroviaires et candidats autorisés, voyageurs et fret) se sont progressivement engagés dans le dispositif. Quelle est la teneur et le périmètre de ces AQS ?

Tout d’abord, pour éviter toute confusion, il faut préciser qu’AQS et accords-cadres constituent des dispositifs distincts. Les AQS, contrairement aux accords-cadres, n’en- gagent les parties prenantes que pour la durée d’un service annuel. Ils prennent effet à la date de signature du contrat (qui peut intervenir au début du service annuel ou en cours d’année) et sont renouvelables. Pour les opérateurs « pionniers », le service annuel 2015 est donc l’objet de la cinquième édition de leur AQS.

18. Nous ne développons pas ici le « système d’incitations réciproques pour un meilleur usage des capa- cités de l’infrastructure » qui est en cours d’expérimentation depuis mars 2015. Découlant des décisions prises par l’ARAF en juillet 2014 (ARAF, 2014b – ARAF, 2014e), il vise à limiter, au moyen de pé- nalités financières, d’une part, le nombre de modifications et de suppressions de sillons à l’initiative du gestionnaire d’infrastructure et d’autre part, à favoriser la restitution précoce des capacités non utilisées par les demandeurs de sillons. Pour plus de détails, voir le paragraphe 6.3. du DRR 2015 modifié le 26 février 2015, p.110-114.

Chaque AQS porte sur un nombre limité de sillons qui sont explicitement identifiés par leur numéro dans l’annexe du contrat. Ce nombre est défini en fonction de la part de marché de chaque opérateur. Les AQS couvrent donc en général une partie seulement du portefeuille de sillons de chaque demandeur, sauf pour certains candidats autorisés avec un portefeuille de sillons limité. Les sillons sont sélectionnés par les clients selon leur degré de « sensibilité » : sillons requis pour des trafics stratégiques et/ou particulièrement « malades » (taux de précarité et/ou de trous de régime important). Au total, ce sont plus de 1000 sillons qui font l’objet chaque année d’un suivi spécifique par la direction commerciale (partie contractuelle) et par la cellule Sillons sensibles de la direction de

la Production des sillons (partie technique)19. Pour le fret, le quota est d’environ 200

sillons dont la moitié pour Fret SNCF. Pour rappel, ce sont plus de 5000 sillons fret qui sont commandés chaque année et traités lors de la phase de construction du service. Les sillons sous AQS représentent donc une frange très limitée du marché du fret ferroviaire. Les AQS définissent des engagements réciproques qui, s’ils ne sont pas respectés, ouvrent un droit à indemnisation du demandeur de sillons :

1. le gestionnaire d’infrastructure s’engage à apporter une réponse définitive pour chaque sillon-jour fret « à l’étude » (anciennement « précaire ») au plus tard deux mois avant la date de circulation envisagée (quatre mois pour les sillons voyageurs). La réponse qui est apportée peut être positive (sillon-jour « affermi ») ou négative (sillon-jour non alloué). En cas d’attribution, le gestionnaire d’infrastructure s’en- gage à fournir un sillon dans une plage horaire de + ou - deux heures par rapport à la demande initiale du client. Il transmet au demandeur un tableau de bord hebdomadaire permettant de suivre les changements de statut des sillons-jours. Le suivi est réalisé à partir du système d’information HOUAT (voir chapitre 6). Des réunions régulières sont organisées pour faire le point sur l’avancement du traitement des sillons-jours en souffrance.

Le versement de pénalités pour « réponse tardive » est prévu dans la configuration où le délai de levée de précarité de deux mois n’est pas respecté et la réponse apportée est hors tolérances. Un barème différencié est prévu en fonction :

— de la posture du client : si celui-ci accepte la proposition faite tardivement par le gestionnaire d’infrastructure, la pénalité est moins élevée que s’il la refuse, — du moment où la réponse est apportée : la pénalité est deux fois plus élevée

si la réponse intervient entre 30 jours et 14 jours avant la date de circulation qu’entre 60 et 30 jours avant la date de circulation. En l’absence de réponse,

l’indemnité est encore doublée20.

2. l’opérateur contractant a également des obligations. En cas de non-attribution d’un sillon-jour, il s’engage à ne pas renouveler sa demande (mêmes caractéristiques,

19. On note cependant que certains sillons sous AQS ne sont pas suivis par cette cellule et inversement, que certains opérateurs souhaitent voir une partie de leurs sillons suivis par la production sans s’engager dans le dispositif d’AQS (en particulier, car ils ne souhaitent pas renoncer à leur droit de réclamation (voir infra)).

20. La pénalité est exprimée en référence à la redevance de réservation : dans le cas le plus péjorant (absence de réponse), la pénalité due par le gestionnaire d’infrastructure s’élève à quatre fois le montant de cette redevance.

mêmes horaires) sauf sous la forme d’une demande de dernière minute. Cette clause vise à éviter l’engorgement du système de commandes. S’il est amené à recevoir une indemnité, le client renonce à formuler toute autre demande de dédommagement. Une trame du contrat qui lie le gestionnaire d’infrastructure avec les entreprises ferroviaires et les candidats autorisés fret peut être trouvée à l’annexe 3.5.1 du DRR.

Un point crucial de ce système de pénalités est qu’il porte exclusivement sur les sillons-jours listés dans le contrat dont le statut est « à l’étude » au terme de la phase de construction de l’horaire de service (c’est-à-dire en septembre A-1). Cela signifie qu’une modification ou une suppression en cours d’année d’un sillon-jour alloué qui avait été annoncé « ferme » ne donne pas droit à une indemnisation. De même, l’allocation d’un sillon-jour ferme sur une partie seulement de l’itinéraire n’est pas soumis à une pénalité et ce, bien que la réponse soit partielle. En outre, le système de pénalités ne

s’applique ni lors d’événements de force majeure21, ni dans le cas où un gestionnaire

d’infrastructure étranger ne peut allouer le sillon d’approche ou de reprise convenu pour effectuer le trafic international souhaité par le demandeur. Compte-tenu de ces limites, les AQS représentent un dispositif certes utile mais marginal par rapport au défi global que représente la qualité des sillons.

S’il est difficile de dresser un bilan chiffré pour des raisons de confidentialité, on peut néanmoins dire qu’il est déjà arrivé que les plafonds d’indemnités négociés entre le ges- tionnaire d’infrastructure et certains de ses clients (fret et voyageurs) soient atteints avant même l’échéance du contrat, témoignant de l’ampleur des difficultés à apporter dans les délais une réponse ferme aux clients. À l’avenir, le dispositif devrait être amené à évoluer suite à la décision de l’ARAF (2014f). Le régulateur souhaite en effet qu’un AQS soit pro- posé à tous les clients dont le taux de sillons fermes en septembre A-1 se situe en-dessous de 90 % à compter de l’horaire de service 2016. Les modalités de mise en œuvre de cette deuxième génération d’AQS sont actuellement en discussion.

5.4.2

Le système d’amélioration des performances

Le deuxième dispositif à « vocation qualitative » que nous présentons porte moins sur la qualité des sillons que celle des circulations réalisées. Toutefois, comme nous l’avons dit plus haut, pour les demandeurs de sillons, elles sont intimement liées. Le système d’amélioration des performances (SAP) a été initié à l’occasion du service annuel 2014

après deux ans de concertation large22. Il s’agit donc d’un dispositif très récent sur lequel

on ne dispose encore que de peu de recul. Précisons cependant que ce type de système est déjà à l’œuvre dans plusieurs pays européens, parfois depuis longtemps (depuis 1994

21. Le périmètre des cas de force majeure fait régulièrement l’objet de débats, les clients jugeant qu’elle est commodément utilisée par le gestionnaire d’infrastructure de manière extensive. Un événement de force majeure est décrit dans l’article 7 de l’annexe 3.5.1 du DRR comme « tout événement irrésistible et extérieur aux Parties [...] rendant impossible l’exécution de tout ou partie des obligations de l’une ou l’autre des Parties au contrat ». Cela inclut notamment les actes de malveillance, les catastrophes naturelles et également « toute grève des agents du chemin de fer et les actions commises à cette occasion ». 22. Ont participé : les entreprises ferroviaires, leurs associations représentatives (UTP et AFRA), le ministère des Transports (DGITM), l’ARAF et le gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau, 2015).

en Grande-Bretagne et depuis 2006 en Allemagne, par exemple).

Contrairement aux AQS dont la création renvoie à une initiative du gestionnaire d’infrastructure pour répondre à l’insatisfaction de ses clients face à une crise des sillons persistante, la mise en œuvre du SAP répond avant tout à une obligation européenne. Inscrite dans la directive 2001/14/CE (article 11) et reprise dans la directive 2012/34/UE (article 35), elle a été complétée par le règlement 913/2010/UE relatif aux corridors de

fret qui stipule qu’une cohérence entre SAP nationaux doit être recherchée23. En France,

cette exigence de l’instauration d’un « régime de performance » a été relayée au travers du contrat de performance liant l’État et RFF qui prévoyait sa mise en place d’ici 2012 et de l’ENFF dont nous avons fait mention à la sous-section précédente. En outre, il nous semble important de souligner que les deux systèmes répondent à une logique différente : indemnitaire pour les AQS et incitative pour le SAP. En quoi consiste ce dernier ? Dans les paragraphes qui suivent, nous nous appuyons sur le premier rapport d’activité du dispositif (SNCF Réseau, 2015).

Le SAP vise une amélioration progressive et partagée de la qualité des circulations

commerciales24. Il implique le gestionnaire d’infrastructure et toutes les entreprises fer-

roviaires25 ayant réalisé plus de 200 000 trains-km sur le réseau ferré national sur une

période de douze mois26. Huit entreprises ferroviaires fret étaient concernées pour cette

première année d’application. Plus précisément, l’objectif du SAP est de faire diminuer l’irrégularité des circulations au bénéfice de tous les acteurs en responsabilisant chacun sur les pertes de temps supérieures ou égales à cinq minutes qui relèvent de son fait. Une typologie de causes relevant de trois périmètres a été arrêtée :

— entreprise ferroviaire : « défaillance matériel roulant », « non-respect de la marche tracée ». . .

— gestionnaire d’infrastructure : « gestion des travaux », « défaillance infrastruc- ture ». . . ainsi que toutes les causes « externes » touchant à l’infrastructure (actes de malveillance, intempéries. . .),

— « autres » incluant notamment les gestionnaires d’infrastructure étrangers et les autres entreprises ferroviaires. L’irrégularité entre entreprises ferroviaires n’est en

effet pas considérée dans le SAP27.

Avant de développer le fonctionnement du système, il faut tout d’abord préciser que l’irrégularité se distingue de la non-ponctualité : un train peut être irrégulier (sur un itinéraire) mais ponctuel (à l’arrivée). Les deux notions se fondent sur la mesure des

23. Des réflexions sur un projet de SAP européen (European Performance Regime) ont été lancées sous l’égide de RNE et de l’UIC dès 2004. Pour plus de détails, on pourra se reporter au site internet de ces deux instances.

24. Les parcours à vide ne sont pas pris en compte.

25. Chaque branche de la SNCF est considérée de manière indépendante : Voyages, TER, Transilien, Intercités et Fret. La DCF et SNCF Infra relèvent du périmètre de la gestion d’infrastructure.

26. Pour l’horaire de service 2014 (A), il s’agit des entreprises ferroviaires ayant réalisé plus de 200 000 trains-km sur la période juillet 2012 (A-2) à juin 2013 (A-1).

27. Le volume de minutes perdues liés à des retards entre entreprises ferroviaires a été évalué à 20 % du total des minutes perdues sur le réseau.

écarts entre horaire théorique de passage (sillon présent au graphique) et horaire réel de passage (circulation le jour J) à un point du réseau. Si cet écart est négatif, le train est en avance, s’il est positif, le train est en retard. La ponctualité se mesure généralement au point de départ et au point d’arrivée du train (ou plus précisément de la circulation sur le réseau ferré national !). Le seuil de non-ponctualité est fixé à cinq minutes. L’irrégularité renvoie, quant à elle, à une approche plus globale des phénomènes de retard, à un cumul de minutes perdues liées à des incidents sur l’ensemble d’un parcours. Le SAP s’appuie sur les données issues du système d’information BRÉHAT qui permet de suivre

la régularité de tous les trains28 et compile les motifs d’incidents, le volume de minutes

perdues associé et le responsable. Ce deuxième ensemble d’informations est renseigné par les régulateurs au cours des circulations.

Le dispositif prévoit un objectif annuel pour chaque acteur. Il s’appuie sur trois indi- cateurs :

1. le total des minutes perdues (c’est-à-dire le cumul des pertes de temps au-delà de cinq minutes par incident) subies par les circulations de l’entreprise ferroviaire rapporté à son volume de production exprimé en trains-kilomètres,

2. la part de ces minutes perdues imputable à l’entreprise ferroviaire elle-même rap- portée au nombre de trains-kilomètres qu’elle parcourt. Cet indicateur représente le niveau de performance de l’entreprise ferroviaire.

3. la part de ces pertes de temps imputable au gestionnaire d’infrastructure rapporté au nombre de trains-kilomètres parcourus par l’entreprise ferroviaire. Cet indica- teur représente le niveau de performance du gestionnaire d’infrastructure vis-à-vis de l’entreprise ferroviaire concernée.

Un pourcentage d’amélioration est prévu par rapport au nombre de minutes perdues par tranche de 100 km pour chaque acteur. Pour les entreprises ferroviaires fret, le ratio de référence, calculé à partir des performances observées sur la période juillet 2012 à juin 2013, s’établissait pour l’horaire de service 2014 à environ 8 minutes / 100 km. L’objectif pour cette première année était de le maintenir. D’après les premiers résultats, il aurait été légèrement amélioré.

Un suivi trimestriel est effectué pour lisser les différences saisonnières observées (plus d’intempéries durant les mois de décembre et janvier par exemple). Au terme du service annuel, un bilan est dressé. En fonction des résultats (sous-performance, respect de l’objectif fixé ou sur-performance), un barème de malus s’applique prévoyant des transferts financiers du ou des acteurs les moins vertueux vers le ou les plus vertueux. Ce barème est présenté dans le tableau 5.3.

On peut noter que d’une part, le malus applicable au gestionnaire d’infrastructure est beaucoup plus élevé que celui des entreprises ferroviaires et que d’autre part, les entreprises ferroviaires opérant des trafics fret sont moins bien indemnisées que les entreprises ferroviaires assurant des dessertes voyageurs. Ce deuxième constat découle

28. détection par balises réparties sur le réseau et/ou repérage visuel du personnel sur le terrain puis saisie manuelle

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