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Une évolution contrastée des inégalités de revenus

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 101-104)

Au cours de la majeure partie du XXe siècle les inégalités de revenus ont diminué dans un grand nombre de pays développés, essentiellement en raison des deux conflits mondiaux, de la grande dépression consécutive à l’effondrement boursier de 1929 et de la fiscalité sur le revenu, qui ont détruit une grande partie du patrimoine privé. En France, celui-ci représentait six à sept fois le revenu national avant la Grande Guerre. Il n’équivalait plus qu’à deux ou trois années du revenu national en 1950. Cet effondrement constitue la cause principale de la réduction des inégalités de revenus car, sur la même période, les inégalités salariales sont restées stables. Une imposition sur le revenu fortement progressive mise en place dans les années d’après-guerre a par ailleurs empêché la reconstitution des patrimoines les plus importants.

Depuis une trentaine d’années les inégalités économiques ont en revanche recommencé à augmenter sous les effets conjugués de la montée du chômage, d’une précarisation croissante de l’emploi, d’un écart grandissant entre revenus salariaux résultant pour l’essentiel de l’augmentation des très hautes rémunérations - Thomas Piketty observe d’ailleurs que « l’inégalité réelle des revenus du travail a augmenté dans tous les pays occidentaux depuis les années 1970 »48- et d’une progression forte, rapide et mécaniquement inégalitaire des patrimoines et des revenus qui en sont tirés grâce à un rendement du capital supérieur au taux de croissance.

Une appréciation circonstanciée sur les inégalités peut être apportée par un aperçu sur la composition du revenu disponible selon le niveau de vie des ménages français49.

ٰUne structuration du revenu disponible qui varie suivant son montant

Des écarts sensibles sont constatés dans la structure des revenus de la population suivant la position occupée sur l’échelle desdits revenus (voir annexe n° 1). Ainsi, en 2011, les deux principales composantes des revenus des ménages appartenant au premier décile sont les revenus d’activité, à hauteur de 40,8 %, et les prestations sociales50, qui représentent 42,3 %.

Entre 2009 et 2011, on a enregistré une hausse de trois points des prestations sociales et une baisse concomitante de la part des revenus avant transferts pour les ménages situés dans le bas de la distribution. Il s’agit de la seule évolution marquante de la structuration des revenus relevée par l’INSEE sur la période.

47 Terminologie de l’OCDE.

48 Thomas Piketty ; L’économie des inégalités ; La découverte, 2007.

49 Selon l’INSEE, « le revenu disponible des ménages se compose des revenus d’activité (salaires, revenus des indépendants) y compris les allocations chômage, des revenus du patrimoine, des pensions de retraite, des prestations sociales et de la prime pour l’emploi. La majeure partie des impôts directs en est déduite. »

50 Les prestations sociales sont réparties en parts à peu près équitables entre prestations familiales, aides au logement et minima sociaux.

Du deuxième au septième décile, la part des salaires devient majoritaire et s’élève régulièrement, tandis que celle des prestations diminue. Ces parts sont respectivement de 51,0 % et 21,9 % pour les ménages dont le revenu est compris entre le premier et le deuxième décile et de 79,8 % et 2,8 % pour ceux dont le revenu est situé entre le sixième et le septième décile.

Au-delà de ce seuil, les niveaux de salaire continuent d’augmenter, mais leur part diminue dans le revenu des ménages du fait de la part croissante des revenus des travailleurs indépendants et des revenus du patrimoine. Au même titre que les ménages appartenant au premier décile, mais pour des raisons évidemment différentes, le groupe des 10 % des ménages les plus aisés se distingue de l’ensemble des autres, y compris de ceux qui le précèdent immédiatement. L’activité professionnelle génère 77,3 % de leur revenu disponible, ce qui s’explique par le fait que le poids des revenus d’activité d’indépendants (principalement ceux des chefs d’entreprise et des professions libérales) y est sensiblement plus élevé ; ils constituent 18,3 % du montant total du revenu de cette tranche. Le montant net des revenus du patrimoine en représente 26,6 %.

Sur un plan général, on observe que depuis 2004 le niveau de vie des personnes les plus modestes a cessé de progresser au même rythme qu’auparavant. Il a même commencé à régresser à partir de 2008, soit un an avant celui du niveau de vie médian. Dans le même temps, le revenu des plus aisés a continué d’augmenter. Le rapport entre la masse des niveaux de vie détenue par les 20 % de la population les plus aisés et celles détenues par les 20 % les plus modestes est ainsi passé de 5,6 en 2004 à 6,3 en 2011. Les inégalités aux deux extrêmes de la distribution des revenus augmentent donc continûment et se sont accusées sous l’effet de la crise.

En 2011, le revenu moyen annuel des ménages du premier décile était de 9 480 €, celui des ménages appartenant au dixième décile, de 99 750 €. L’INSEE note que « par rapport à 2010, le revenu disponible médian a diminué de 0,7 % en euros constants »51. Il avait déjà baissé de 0,9 % entre 2009 et 2010, repassant ainsi en-dessous du niveau de 2008. L’INSEE relevait alors : « La baisse des revenus disponibles concerne les sept premiers déciles. La valeur du revenu disponible au-delà duquel se situent les 10 % les plus aisés augmente de 1,6 % alors que celle en deçà duquel se situent les 10 % les plus modestes diminue de 2,3 %. »52. Pour la période 2010-2011, l’institut précise que la diminution du revenu disponible des ménages « concerne tous les déciles en-dessous du sixième et est comprise entre 0,2 % et 0,9 % selon le décile. La valeur du revenu disponible au-delà duquel se situent les 10 % les plus aisés augmente de 1,0 %. » Les indicateurs d’inégalités sont donc orientés à la hausse en 2011 comme en 2010. L’indice de Gini, qui mesure le degré d’inégalité d’une distribution pour une population donnée53, se situait autour de 0,334 de 2000 à 2003. Il a dépassé 0,34 à partir de 2006 et atteint 0,362 en 2011.

51 INSEE : op. cit.

52 Idem.

53 Cet indice varie entre 0 (tout le monde a le même revenu) et 1 (une personne a tout le revenu). Les indices mentionnés ici concernent les revenus et non le niveau de vie.

Graphique 1 : Évolution de l’indice de Gini

Rapport entre le niveau de vie min. de 10 % les plus riches et max de 10 % les plus pauvres

Source : INSEE.

ٰUne pauvreté qui a cessé de régresser

Le taux de pauvreté en conditions de vie, qui mesure l’absence ou la difficulté d’accès à des biens ou des consommations d’usage ordinaire, après avoir régressé au début des années 2000, s’est pratiquement stabilisé depuis 2006-2007. Il a atteint un pic en 2010 (13,3 %) avant d’enregistrer un léger recul en 2012 pour s’établir à 11,9 % des ménages métropolitains. Ces privations matérielles dont souffrent 12 % à 13 % des ménages concernent plus de 40 % des chômeurs, dont la situation relative s’aggrave depuis une vingtaine d’années, et près de 30 % des familles monoparentales.

L’indicateur en conditions de vie correspond néanmoins à une approche différente de celui de pauvreté monétaire. Les populations identifiées par chacun d’eux ne se recoupent que partiellement. Il reste que la pauvreté en conditions de vie touche plus de 30 % des ménages appartenant au première quintile de niveau de vie contre 1,3 % de ceux appartenant au cinquième.

Dans les pays européens, la pauvreté monétaire est une mesure relative. Le seuil de pauvreté est égal à 60 % du niveau de vie médian. Dans son rapport 2013-2014, l’ONPES relève que le nombre de personnes en situation de pauvreté monétaire a augmenté à partir du milieu des années 2000, précisant ensuite : « cette hausse s’est nettement accélérée depuis 2008 pour toucher plus de 8,7 millions de personnes en 2012 (soit 14,3 % de la population). Ceci témoigne d’un élargissement de la pauvreté à des publics jusqu’alors épargnés. » Les chômeurs en sont les premières victimes (près de 40 % en 2011 contre 36,4 % en 2007), tandis que le taux de pauvreté de la population en emploi reste relativement stable, autour de 8 %.

L’ONPES indique en outre que la pauvreté monétaire touche près d’un tiers des familles monoparentales (2,3 fois plus que l’ensemble de la population) et plus de 20 % des familles nombreuses. Elle affecte également près du quart des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans.

L’autre phénomène marquant de la période récente est l’intensification de la pauvreté.

Depuis le début de la crise, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian a en effet augmenté de manière importante relativement à l’accroissement

du nombre de personnes sous le seuil à 60 %. L’ONPES relève que l’intensité de la pauvreté54 est passée de 18,2 % en 2007 à 19,1 % en 2011.

Plus de deux millions de personnes vivant au seuil de 40 % du niveau de vie médian (652 €/mois pour une personne seule), se retrouvent en situation de grande pauvreté. Ces situations, qui ont légèrement augmenté, se sont en outre aggravées. L’ONPES observe que cette double tendance se traduit notamment par un surendettement accentué (+  23  % entre 2008 et 2011) et une augmentation du renoncement aux soins pour des raisons financières. La précarité énergétique, qui sera évoquée dans les développements consacrés au logement, se révèle également préoccupante.

Les inégalités de niveau de vie

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