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Les déterminants sociaux de l’état de santé

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 117-121)

L’appréciation de l’état de santé se détermine généralement par deux  dimensions  : l’espérance de vie et la santé proprement dite, incluant l’accès aux soins78.

ٰEspérance de vie : des progrès partagés mais des inégalités sociales persistantes L’inégalité devant l’espérance de vie n’est pas réductible à l’individu. Un certain nombre de facteurs l’influencent, les deux principaux étant le sexe et la catégorie sociale d’appartenance.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’espérance de vie n’a cessé de progresser.

En 1946, l’espérance de vie des hommes et des femmes à la naissance était respectivement de 59,9 et 65,2 ans. Elle est aujourd’hui de 78,7 ans et 85,0 ans (INED, résultats provisoires 2013). Sur le dernier quart de siècle79 les femmes de 35 ans ont gagné 4,4 ans d’espérance de vie et les hommes 5,0 ans. À cet âge, une femme peut espérer vivre encore 49 ans et un homme 43 ans, toutes choses égales par ailleurs.

À l’instar des gains d’espérance de vie, la baisse de la mortalité a profité à toutes les catégories sociales. Les femmes ont gagné de 3,9 à 4,8 ans et les hommes de 4,3 à 5,5 ans selon leur catégorie sociale. Ce constat contre-intuitif de gain d’espérance de vie plus élevé pour les hommes que pour les femmes s’explique en partie par un retard de diagnostic des maladies cardiovasculaires chez les femmes, alors qu’elles constituent la première cause de mortalité après les cancers.

Au vu de cette évolution, il apparaît que les écarts entre hommes et femmes s’amenuisent légèrement tout en restant très significatifs (voir supra), mais que les inégalités sociales face à la mort demeurent. Elles se sont même légèrement accrues en une trentaine d’années pour les hommes tandis qu’elles se maintenaient pour les femmes, comme l’indique le tableau ci-après.

78 Les interactions entre inégalités environnementales et sociales en termes de santé font l’objet d’un développement particulier dans le chapitre II.

79 La dernière exploitation publiée de l’échantillon démographique permanent date de 2000-2008.

Tableau 2 : L’espérance de vie à 35 ans par sexe et catégorie sociale

Note : pour les hommes cadres, l’espérance de vie a 90 % de chance d’être comprise entre 46,9 ans et 47.5 ans en 2000-2008 (voir document de travail n° F1108).

Lecture : en 2000-2008, l’espérance de vie des hommes cadres de 35 ans est de 47,2 ans, soit 6,3 ans de plus que celle des hommes ouvriers.

Champ : France métropolitaine.

Source : INSEE Première n° 1372 octobre 2011, échantillon démographique permanent.

À 35 ans, l’espérance de vie d’un cadre femme est de 52 ans alors qu’elle n’est que de 49  ans pour une ouvrière. L’écart est plus accusé encore dans la population masculine : au même âge, un cadre peut espérer vivre encore 47 ans, un ouvrier 41 ans. Le fait que les inégalités sociales soient moins fortes chez les femmes que chez les hommes s’expliquerait par un suivi médical plus régulier, des différences moins importantes entre cadres et ouvrières concernant l’environnement et les conditions d’hygiène, des inégalités moins fortes entre elles au regard des efforts physiques et des risques professionnels et, enfin, une durée de travail plus faible que celle des hommes, qui réduit d’autant leur exposition à des risques professionnels.

Signalons en outre que « l’écart d’espérance de vie hommes-femmes varie selon les groupes sociaux : de 4,5 ans pour les cadres, il passe à 7,8 ans pour les ouvriers. En France, comme dans les autres pays européens, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre les hommes et les femmes est donc le plus faible en haut de l’échelle sociale »80.

Les cadres hommes ou femmes ont par ailleurs une espérance de vie sans incapacité plus longue que les ouvriers. Pour les hommes, le différentiel est de sept à dix ans suivant le type d’incapacité considéré (INED 2003).

La nature des professions exercées explique en partie les écarts constatés : les cadres, par exemple, sont moins exposés aux accidents, maladies ou risques professionnels que les ouvriers et appartiennent à une catégorie sociale dont les comportements sont plus favorables à une bonne santé (recours aux soins plus fréquents, meilleure alimentation...).

En 2006, une étude publiée dans Acte de la recherche en sciences sociales81 sur les éboueurs faisant partie du personnel des collectivités territoriales a mis en évidence qu’à soixante ans, leur espérance de vie se situe trois ans au-dessous de celle des autres agents de sexe masculin et un an au-dessous de celle des ouvriers non qualifiés.

80 Nathalie Blaupain, INSEE première nº 1372, octobre 2011.

81 Serge Volkoff, ‘Montrer’ la pénibilité : le parcours professionnel des éboueurs, Le Seuil/Actes de la recherche en sciences sociales, 2006/03, n° 163.

Les facteurs d’influence ne sont cependant pas univoques : il arrive qu’une mauvaise santé contrarie le cursus scolaire et la vie professionnelle, rendant ainsi plus difficile l’accès à des emplois très qualifiés. Les personnes dans ce cas sont alors prises dans un cercle vicieux, une inégalité alimentant l’autre.

ٰLa construction sociale des inégalités de santé

Jouir d’un bon état de santé est une chance, mais n’est pas qu’une chance. La dimension personnelle est certes fondamentale, mais beaucoup se joue aussi dans les interactions entre la personne et son environnement. Or, celui-ci peut présenter des avantages ou des désavantages. Se trouver dans une situation plutôt que dans une autre ne relève pas seulement du hasard.

Moyens financiers et conditions de vie : deux déterminants majeurs de l’état de santé

Plusieurs facteurs sociaux concourent à la dégradation de la santé et/ou le renoncement aux soins. Le premier d’entre eux est d’ordre économique : 15 % de la population déclarent avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, en dépit du système de protection sociale. Il s’agit essentiellement de soins dentaires, ophtalmologiques ou relatifs au traitement de maladies chroniques qui, sur la durée, ont un coût pour les ménages. C’est également l’argument financier (tiers payant) qui explique la tendance des populations les plus démunies à fréquenter les services d’urgence hospitaliers, bien qu’ils n’aient pas vocation à traiter des problèmes relevant normalement de la médecine de ville.

Le deuxième facteur d’inégalité sociale devant la santé tient aux conditions de vie.

C’est sur la base de ce constat que s’est construit le combat des hygiénistes tout au long du XIXe siècle. Cet engagement a trouvé une première traduction dans les faits autour des années 1874-1902, lorsque, élus à la Chambre des députés ou parvenus à des postes de responsabilité administrative, ils sont parvenus à faire adopter les lois sur le travail des enfants, les accidents du travail, les logements insalubres, la vaccination, l’organisation de la police sanitaire etc. Des réglementations et des campagnes d’information ont suivi82.

Si les conditions d’aujourd’hui ne sont pas comparables à celle de la fin du XIXe siècle, des personnes disposant de peu de ressources financières connaissent des conditions de vie parfois dramatiques en dépit d’aides publiques et de législations spécifiques (DALO) : elles peuvent être sans domicile ou habiter des logements précaires, dégradés, humides, bruyants, peu ou pas chauffés et être confrontées, aujourd’hui encore, à des risques de saturnisme infantile, toutes causes qui contribuent à une dégradation de l’état de santé.

L’alimentation est un autre paramètre à prendre en considération. Celle des ménages modestes se révèle moins variée, plus riche en matières grasses, sel et sucres que celle des catégories plus favorisées. Un tel régime alimentaire, combiné avec des modes de vie sédentaires, favorise l’obésité ou des maladies telles que le diabète. L’obésité est presque deux fois plus répandue dans les milieux modestes que parmi les plus aisés selon l’étude ObÉpi de 201283  : entre 16 et 17  % chez les ouvriers et employés contre 8,7  % pour les cadres supérieurs. Elle a par ailleurs augmenté beaucoup plus vite dans les deux premières catégories (+ 7,8 à 8,4 points) que dans la troisième (+ 2,9 point) de 1997 à 2012.

82 Les rapports entre le développement industriel, les atteintes à l’environnement et le mouvement hygiéniste au cours du XIXe siècle mériteraient également d’être développés.

83 Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité, Inserm/Kantar, Health/Roche, 2012.

À l’égard de ce type de problèmes de santé, le facteur financier est tout aussi discriminant que l’appartenance sociale : le taux d’obèses approche des 20 % dans les ménages disposant d’un revenu mensuel situé dans la tranche 1 201-1 500 € ; il est inférieur à 10 % pour les ménages dont le revenu mensuel est supérieur à 3 801 €. Les auteurs de l’enquête observent en outre que « la prévalence de l’obésité augmente avec l’appréciation des difficultés financières par les personnes. Le taux d’obésité est en-dessous de la moyenne nationale chez les individus se déclarant «à l’aise», passe à 30 % chez les individus disant «ne pas y arriver sans faire de dettes».

Il en va de même pour le diabète, « inférieur à la moyenne nationale (4,7%) chez les individus se déclarant «à l’aise» [se montant à] 10,2 % chez ceux ne pouvant y arriver sans faire de dettes. » Le niveau d’instruction, enfin, est également fondamental : le taux d’obésité est presque trois fois plus élevé chez les personnes d’un niveau d’instruction primaire (24,5 %) que chez celles ayant atteint l’équivalent d’un deuxième ou troisième cycle universitaire (8,9 %), plus soucieuses que les autres du lien nutrition-santé selon le Credoc.

Les facteurs culturels, dont le niveau d’instruction est une des composantes, jouent d’ailleurs un rôle de premier plan en matière de santé, de mise en pratique des règles de base de l’alimentation, de l’hygiène et de l’usage des médicaments, mais aussi d’accès aux soins, en raison d’un rapport au corps et à la douleur différent. Sur ce dernier point, il apparaît que les personnes modestes accèdent plus tardivement aux soins que les personnes appartenant à des catégories sociales aisées, même dans les pays où cet accès est pratiquement gratuit. Il se fait en outre par une médecine de premier recours, alors que les patients qui appartiennent à des milieux plus favorisés s’orientent davantage vers la médecine spécialisée. « Les difficultés de santé des plus pauvres, prises en charge plus tardivement, donnent lieu à des soins plus lourds et plus coûteux pour de moins bons résultats. »84

Des activités professionnelles plus ou moins impactantes

Au-delà des facteurs précédemment mentionnés, l’activité professionnelle comporte une incidence directe et indirecte sur la santé des individus et de leur famille.

y Une incidence directe…

Le travail et l’environnement professionnel peuvent être pathogènes par l’exposition à des produits toxiques, la nature des tâches à accomplir (éprouvantes, répétitives...) et les conditions dans lesquelles elles doivent l’être (cadre physique, rythme de travail...), la qualité du management et du collectif de travail, notamment par rapport à la transmission des savoirs relatifs aux risques professionnels... La précarité de l’emploi produit également des effets sur la santé par le stress et l’angoisse qu’elle génère. Or, la plupart des facteurs énumérés ci-avant concernent davantage les catégories socioprofessionnelles exposées à des risques spécifiques, les travailleurs peu qualifiés que les cadres et les travailleurs hautement qualifiés.

Selon une enquête du ministère du travail, 2,2 millions de salariés seraient exposés à au moins un produit cancérigène (gaz d’échappement des moteurs diesel, huiles minérales entières, poussières de bois, silice cristalline...). Ce type d’exposition concerne 16  % des hommes et 2,8  % des femmes. Les ouvriers représentent les deux tiers des personnes exposées, soit le double de ce qu’ils représentent dans la population salariée. 28  % des ouvriers qualifiés et 19 % des ouvriers non qualifiés sont exposés à au moins un produit 84 Pierre Volovitch ; Comment se construisent des inégalités sociales de santé ; Observatoire des inégalités,

décembre 2010.

chimique contre 2,3 % des cadres supérieurs. Le ministère note que dans un grand nombre de cas (entre un tiers et la moitié) les protections collectives et individuelles font défaut. Il faut cependant noter une diminution de 13 % à 10 % de la part des salariés exposés, grâce à des améliorations de process industriels et des substitutions de produits cancérigènes par des substances moins nocives, témoignant des progrès en cours.

Globalement, le risque de contracter une maladie professionnelle reconnue reste 37   fois plus élevé pour un ouvrier que pour un cadre et 57 fois plus pour une ouvrière que pour une femme cadre. Il est vrai que si les déclarations augmentent globalement, les hommes déclarent moins de maladies professionnelles que les femmes, mais celles-ci sont en moyenne plus graves.

Les Troubles musculo-squelettiques (TMS), en dépit des efforts accomplis par les acteurs du monde professionnel pour réduire les risques et les expositions au travers des politiques de prévention, sont à l’origine de 80 % des maladies professionnelles reconnues, l’amiante 15 %. Les TMS touchent plus spécifiquement les femmes ouvrières (risque six fois plus élevé que la moyenne - 65,6 % contre 11,5 %) du fait de leur forte présence dans des secteurs où les tâches répétitives sont fréquentes : industries textile, du cuir, de l’habillement...

y … et des effets indirects

Des effets indirects de l’activité professionnelle sur la santé de la famille, en particulier des enfants, doivent également être relevés. Ils résultent des rythme de travail du ou des parents, qui peuvent impacter les heures et la qualité des repas mais aussi les horaires de coucher, avec des répercussions variables mais quasi inévitables sur la santé des enfants.

Selon Pierre Volvovitch, « les facteurs qui entraînent les inégalités sociales de santé forment un ensemble. Un bas niveau de qualification [conduit à] un emploi dans lequel les contraintes du travail sur la santé sont fortes (...). Ce travail contraignant est souvent mal rémunéré [ce qui joue] sur les conditions de logements, de loisirs, les comportements alimentaires... Ces facteurs finissent par se combiner entre eux, ce qui accroît les inégalités. »85 Il ajoute que « certaines mesures mises en place - comme la Couverture maladie universelle (CMU) - améliorent l’accès aux soins des catégories défavorisées, mais d’autres, comme le déremboursement de médicaments ou la franchise de soins, agissent en sens inverse.  » Il doit néanmoins être précisé que le déremboursement s’explique par la disponibilité de médicaments comparables, parfois plus efficaces, qui continuent d’être remboursés. Par ailleurs, si l’existence d’une Aide à la complémentaire santé (ACS) pour les personnes dont les ressources dépassent légèrement le plafond de la CMU peut être ajoutée à la liste des éléments favorables à la santé publique, les dépassements d’honoraires doivent figurer sur celle des facteurs discriminants au regard de l’accès aux soins.

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