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Les biens publics dans le contexte international ou mondial

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 133-137)

Les Biens publics mondiaux (BPM) ont fait leur apparition dans les travaux de certains économistes dans les années 1970, puis sont devenus sujets de débats internationaux au cours des années 1990. Dans un contexte de mondialisation, et partant du constat d’une augmentation des interdépendances, ils ont servi de point d’appui théorique et méthodologique à la volonté d’une meilleure prise en compte des intérêts communs à l’humanité. Ce ne sont pas des biens au sens commun du terme, ce qui permet de différencier l’accès du mode de gestion.

ٰDéveloppement et utilité des BPM

Le CESE a évoqué cette question dans son avis sur Rio+20101 : « apparue en 1999 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la notion de Bien public mondial (BPM) repose sur le constat qu’il existe certains biens ou services que ni les marchés, ni les États ne sont disposés à produire d’une façon optimale et à protéger. Les BPM recouvriraient tout à la fois des biens environnementaux (la préservation de la couche d’ozone), des biens «humains» (la lutte contre la pauvreté, la connaissance scientifique et technique,

101 Françoise Vilain ; Rio +20, un rendez-vous majeur pour l’avenir de la planète ; Les éditions des Journaux officiels, mai 2012 ; Avis du Conseil économique, social et environnemental.

l’héritage culturel mondial…), des infrastructures transnationales (internet par exemple) et des biens immatériels (la paix, la santé, la stabilité financière…) ».

Les biens publics mondiaux conservent les critères traditionnels de non rivalité et non exclusion, en s’enrichissant :

– d’une dimension internationale, car les questions à traiter, comme le maintien d’une température globale au-dessous de la limite des 2°C, sont des problèmes qui dépassent le cadre des frontières et nécessitent une coordination entre États ; – d’une dimension intergénérationnelle, car les BPM en particulier

environnementaux, comme la biodiversité, concernent les générations présentes comme les générations futures.

Le Groupe de travail international sur les BPM (GTIBPM)102 a donné en 2006 une liste des biens publics mondiaux, fondée sur une approche plutôt restrictive et destinée à éviter toute confusion avec les droits humains ou les objectifs de développement.

Le groupe de travail considère comme « essentiels » cinq biens publics mondiaux : – prévenir l’apparition et la propagation de nouvelles maladies infectieuses ; – faire face au changement climatique ;

– améliorer la stabilité financière internationale ; – renforcer le système commercial ;

– instaurer la paix et la sécurité, condition de tous les autres objectifs.

Comme le souligne l’Agence française de développement (AFD), « ces choix ne font pas l’unanimité et sont largement critiqués par la société civile. D’une part, cette définition est jugée de coloration trop «libérale», elle n’a pas pour objectifs de modifier la répartition des richesses mondiales, de faire avancer l’application des droits humains, ni de freiner la libéralisation des économies, mais plutôt de prendre en compte l’existence de défaillances de marché et d’y remédier pour réduire leurs conséquences négatives et optimiser les bénéfices attendus du fonctionnement des marchés. Ensuite, les détracteurs de l’approche dénoncent les difficultés analytiques et opérationnelles qui accompagnent ces choix. »

Le rapport du Sénat souligne cependant que le « concept de bien public présente l’avantage d’apporter une justification à la coopération internationale, sans remettre en cause le bien-fondé de la libéralisation des marchés » et que « la compatibilité de la notion de BPM avec les canons de la théorie économique classique lui confère une force persuasive particulière auprès des États et des organisations internationales (OMC, OCDE) les plus attachées à la libéralisation des marchés ».

La notion de BPM est d’ailleurs à la fois souple, évolutive et inclusive - parfois trop, ont jugé certains. Au total, comme le suggère Ludovic Vievard103, « le recours à la notion de BPM comme solution contre les maux globaux est donc une nouvelle manière de poser le débat et de réintroduire de manière volontariste, la question d’une réglementation ou d’outils internationaux de gouvernance qui résonne avec l’ensemble des dimensions économiques (stabilité financière), sociétale (savoirs, santé, paix) et environnementales (ressources naturelles) du développement durable. Par ailleurs, la notion permet de « sanctuariser » ces domaines en leur attribuant un

102 Résoudre les problèmes mondiaux : la coopération internationale dans l’intérêt national ; rapport du GITBPM, co-présidé par Ernesto Zedillo et Tidjane Thiam, 2006

103 Ludovic Viévard ; Centre ressources prospectives du Grand Lyon, Biens publics mondiaux (BPM), biens communs (CPR) - deux notions émergentes concurrentes? ; octobre 2009.

statut d’exception. Autrement dit, elle tente d’articuler à la fois l’efficience dans la production et la gestion des biens intéressant l’ensemble de l’humanité avec les critères d’équité ».

Ces constructions ne sont donc pas achevées. Comme le relève M. François Lille sur le site de la Fondation Gabriel Péri104, nombreuses sont les organisations internationales qui s’attachent, chacune en fonction de ses objectifs, à la gestion « de biens publics dont ils ont reçu mission de s’occuper, sous les définitions les plus diverses (…) Chaque organisme, en charge de tel ou tel ensemble de biens, a développé et formulé dans le droit onusien des conceptions propres à chacun de ces ensembles ». L’UNESCO, l’OIT et le PNUD en font par exemple partie. En dépit de ses ambiguïtés, et des critiques qu’il est toujours possible d’adresser à l’expression

« biens publics », M. Lille défend le recours et l’usage au vocable « pour désigner ces choses concrètes qui participent au bien commun (…) parce que, lancé dans l’arène par une des plus réputées organisations de l’ONU, il en acquiert légitimité et publicité, et parce qu’il est assez simple et riche de sens ».

La question de savoir par quelle voie et avec quels moyens assurer la gestion de ces biens publics et leur accès se pose avec une particulière acuité.

ٰUne préoccupation de long terme reconnue par la France et intégrée comme élément de l’aide au développement

Le ministère des Affaires étrangères définit la préservation de l’environnement et des biens publics mondiaux comme des enjeux majeurs de l’AFD. L’organisation du ministère comprend d’ailleurs une direction du développement et des BPM. Celle-ci élabore les politiques et stratégies des opérateurs de l’aide publique au développement, définit et met en œuvre des politiques de renforcement de la gouvernance démocratique, enfin élabore et suit les stratégies françaises de coopération internationale en matière de santé, de sécurité alimentaire, de développement humain, d’environnement et de climat.

Dans son dernier rapport au Parlement sur l’AFD105, le ministère rappelle qu’elle s’efforce à la fois de répondre à des besoins essentiels des populations (sécurité alimentaire, eau, santé…) et de prendre en compte des préoccupations de long terme comme la préservation des BPM.

Certains de ces biens sont à la fois des biens publics «  nationaux  » et des BPM. Par exemple, l’AFD, après avoir rappelé l’action de la France envers la biodiversité en métropole et dans les Outre-mer, souligne sur son site internet que la biodiversité est un bien public mondial, au même titre que le climat ou la lutte contre les pandémies.

ٰVers des biens publics européens ?

L’Europe n’a pas jusqu’à présent pris position collectivement dans le débat en faveur des biens publics.

Toutefois, la situation a évolué de façon significative en 2013. Une première Initiative citoyenne européenne (ICE) intitulée « l’eau et l’assainissement sont un droit humain ! L’eau est un bien public, pas une marchandise ! », dite aussi ICE Right 2water, a été jugée recevable en 2013. Elle a été transmise en décembre à la commission qui a publié en mars 2014 une communication sur cette initiative.

104 François Lille ; Que sont les Biens publics mondiaux ? ; site de la fondation Gabriel Péri, 2009.

105 Rapport bisannuel au Parlement, mise en œuvre du document cadre «  Coopération au développement  : une vision française », novembre 2012.

Les ICE doivent être portées par plus d’un million de citoyens provenant d’au moins sept États, l’ICE Right 2water en a recueilli plus d’1,6  million. Elle invite la commission à

« promouvoir la fourniture d’eau et l’assainissement en tant que services essentiels pour tous ».

Elle demande notamment que :

– les institutions européennes et les États membres soient tenus de faire en sorte que tous les habitants jouissent du droit à l’eau et à l’assainissement ;

– l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources ne soient pas soumis aux règles du marché intérieur et que les services des eaux soient exclus de la libéralisation.

Dans sa communication, la commission rappelle que l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît que le droit à l’eau potable est un droit de l’homme. L’action de l’Union européenne (UE) est conforme, selon la commission, à ce principe. La Directive cadre sur l’eau (DCE) de 2000 souligne d’ailleurs que l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine. La commission s’est engagée à intensifier ses efforts en vue de la mise en œuvre intégrale par les États membres de la DCE, à procéder à un réexamen de cette DCE dans le cadre d’une large consultation, et à défendre l’accès universel à l’eau.

Concrètement et dans l’immédiat, l’ICE a eu pour conséquence l’exclusion des concessions d’eau potable du champ d’application des nouvelles règles des marchés publics dans l’UE. En effet, les députés européens ont reconnu l’importance spécifique de l’eau comme bien public et ont, par conséquent, exclu le secteur de l’eau du champ d’application de la directive sur les concessions.

Cette question avait fait l’objet d’une forte controverse, notamment en amont des discussions publiques sur la directive. C’est la raison qui avait conduit M. Michel Barnier à proposer ce retrait dès juin 2013 à la Commission, pour apaiser les craintes de très nombreux citoyens dans l’UE de voir privatisé le secteur de l’approvisionnement en eau. Cette crainte est particulièrement forte en Autriche, où l’approvisionnement est géré par des sociétés communales, les Stadtwerke des municipalités.

L’idée de développer des biens publics de l’UE rencontre de fait un certain succès. Un article de la revue de l’OFCE défend en ce sens une « Europe des biens publics »106 : « la délibération politique devrait porter sur «les biens publics européens» - c’est-à-dire ceux qui bénéficient à l’ensemble des populations européennes et non seulement à tel ou tel État membre - les moyens de les produire et de les financer. Un exemple type de bien public européen est la défense  »… Ces auteurs citent comme Bien publics européens (BPE) «  la protection de l’environnement, tant naturel qu’humain (qui préside à la notion de développement durable), la mobilité, l’indépendance énergétique et enfin la cohésion nationale par l’intégration sociale au sein de chaque État membre ». Pour ces auteurs, la stabilité macroéconomique, le plein emploi, la cohésion territoriale, le progrès de la connaissance et de sa transmission constituent d’autres BPE, et non mondiaux, conçus comme essentiels à l’existence et la prospérité des nations de l’UE, ensuite, « parce qu’ils sont le fruit de l’alliance et de la coopération de pays qui ont choisi, de manière unique au monde, de partager leur souveraineté pour être pleinement eux-mêmes ».

106 Jean-Paul Fitoussi, Éloi Laurent, Jacques Le Cacheux ; L’Europe des biens publics ; Revue de l’OFCE, juin 2012.

Quant à l’architecture, on retiendra surtout quatre idées qui sous-tendent l’adhésion à une acception large, mais pas indéfiniment extensible, des biens publics :

– l’acception large permet d’aborder les questions d’intervention publique, de coopération internationale et d’aide au développement d’une manière qui intègre les différentes dimensions du développement durable ; cet avantage l’emporte même si l’élargissement fait perdre à la notion une partie de sa force d’analyse et de sa rigueur ;

– la dimension environnementale occupe une place essentielle  ; elle peut être abordée en fonction des besoins sous l’angle de la préservation des services rendus, de la protection des biens environnementaux ou de la réduction des externalités négatives ;

– elle combine dans la prise en charge des biens publics le souci de l’équité et celui de l’efficacité ;

– le caractère public du bien résulte d’une combinaison de choix politiques et sociaux et de critères objectifs propres ; il s’agit avant tout d’affirmer les premiers sans s’enfermer dans des catégories théoriques, et d’en tirer des orientations pour l’action.

Vivre dans un environnement sain et protégé :

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 133-137)