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rappels étymologiques et historiques

Selon l’Académie française, les deux termes «  inégalité  » (XIIIe siècle) et «  égalité  » (XVe  siècle) ont pour étymologie les termes latins inaequalitas et aequalitas. L’égalité désigne la qualité de ce qui est égal, soit en nombre, en quantité ou en dimension, soit en qualité, en valeur. En droit, l’égalité se définit comme le fait que la loi prévoit pour tous les membres d’une société les mêmes obligations et les mêmes droits civiques et juridiques  : égalité devant la loi, égalité devant l’impôt, égalité politique. L’inégalité désigne le défaut d’égalité, l’état de ce qui est inégal, un complément en spécifiant le sens : inégalité d’âge, de mérites, des chances, des salaires… Au sens absolu, l’inégalité est la différence des conditions et des situations entre les hommes. Elle se matérialise de manières très diverses, par exemple sous formes d’inégalités de conditions sociales ou de situations au regard de l’environnement.

Le même dictionnaire désigne le mot latin aequitas signifiant « égalité, esprit de justice » comme la source du nom féminin «  équité  », entendue comme la « disposition de l’esprit consistant à accorder à chacun ce qui lui est dû ». L’équité apparaît alors comme la manière de résoudre les litiges qui consiste à reconnaître impartialement le droit de chacun, sans faire exception de personne et sans obéir à d’autres principes que ceux de la justice. On peut dire que « si la justice relève de la loi, l’équité relève de l’éthique ».

L’éthique est au cœur de l’équité. Elle constitue également l’une des dimensions de la justice - même si cette dernière revêt nécessairement une dimension formelle plus importante. La justice est ainsi définie comme le « principe par lequel on reconnaît ce qui est juste et conforme au droit ; exigence morale qui fait que l’on rend à chacun ce qui lui appartient, que l’on respecte les droits d’autrui ». La définition de l’injustice souligne encore plus nettement ces affinités : le dictionnaire de l’Académie la décrit comme un « manque de justice » ou un

« défaut d’équité ».

On voit bien qu’équité et justice sont étroitement liées. M.  Jean-Pierre  Beurier a pu écrire à propos de l’équité6 : « il s’agit de la réalisation suprême de la justice, d’un sentiment de justice qui ne s’appuie pas sur les seules règles légales (…). C’est elle qui conduit à une forme de solidarité humaine car elle incarne ce qui est juste en soi (…). Certes le principe a ses limites et (…) Prosper Weil a écrit : « l’équité dans le droit, oui ; l’équité à la place du droit, non. ». Selon M.  Weil, tantôt l’équité se situe à côté du droit, tantôt elle vient à la place du droit, tantôt enfin elle fait partie du droit tout en y occupant une place spécifique. En droit international par exemple, le juge peut être amené à rendre sa sentence en équité sans être lié par le droit en vigueur, mais seulement si les parties au litige l’autorisent expressément, ce qui conforte le rôle des acteurs.

Le droit international du développement est marqué7 par des revendications de justice, d’équité et de solidarité, en réaction aux limites évidentes de l’égalité formelle. En effet, les inégalités de développement révèlent de manière criante le fossé qui sépare l’égalité théorique des États sur le plan du droit des inégalités réelles dans tous les domaines du développement durable. De nombreuses déclarations ou résolutions d’organisations internationales font ainsi référence aux principes de solidarité et d’équité. Même si les engagements pris dans ces circonstances sont loin d’être mis en œuvre, les États en développement ont pu obtenir concrètement des régimes dérogatoires provisoires plus favorables, destinés à faciliter un rattrapage des conditions de développement.

L’équité joue par ailleurs un rôle fondamental en droit international de l’environnement8. Elle opère d’abord comme un principe d’allocation et de répartition des ressources naturelles, mais aussi de partage de leurs avantages. Elle est aussi utilisée comme un principe de répartition des charges et des coûts, qui peut de la sorte s’effectuer de manière différenciée.

C’est en particulier le cas dans les négociations internationales sur le climat.

On reviendra plus loin sur l’influence que cette approche par l’équité exerce sur la notion de responsabilité et sur la perception de la justice environnementale.

Les inégalités ne procèdent que partiellement des différences. Les deux termes ne se confondent pas : les différences qui caractérisent les individus ne sont pas inégalitaires par nature et les inégalités n’en résultent pas nécessairement. Dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Jean-Jacques Rousseau pose le rapport entre les unes et les autres dans les termes suivants : « Je conçois dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalité : l’une, que j’appelle naturelle ou physique, parce qu’elle est établie par la nature, et qui consiste dans la différence d’âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l’esprit, ou de l’âme ; l’autre, qu’on peut appeler inégalité morale ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte

6 Jean-Pierre Beurier, rapport de synthèse, dans Équité et environnement, Quels modèles de justice environnementale  ? Agnès Michelot (sous la direction de) ; Édition Larcier, 2012.

7 Maljean-Dubois ; Justice et société internationale : l’équité en droit international de l’environnement ; dans Équité et environnement, Quels modèles de justice environnementale ?

8 Mme Maljean-Dubois, ibid.

de convention, et qu’elle est établie, ou du moins autorisée par le consentement des hommes.

Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres ; comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir. »

Il reste que des différences ont souvent été à l’origine des inégalités d’accès aux biens et services matériels et immatériels et qu’elles le sont encore pour partie aujourd’hui.

La distinction sexuelle fournit l’illustration la plus emblématique de ce processus.

Cette différence biologique a servi de fondement à un ensemble d’inégalités entre hommes et femmes qui ont pris diverses formes suivant les époques et les civilisations, que l’anthropologue Françoise Héritier résume parfaitement dans l’expression «  valence différentielle des sexes  »9.Selon elle, «  Il n’y a pas d’exemple ethnologique de sociétés où les femmes occuperaient en tout domaine, y compris politique et religieux, la position dominante, ce qu’on a appelé le matriarcat »10. Cette différenciation a sans nul doute conduit à la première et la plus durable des hiérarchies sociales. Elle s’est notamment traduite, pour les femmes, par un accès limité ou nul aux ressources politiques, économiques ou culturelles durant des siècles. En France, par exemple, le droit de vote ne leur a été reconnu qu’en 1944. La reconnaissance de certains droits économiques et sociaux par rapport aux ressources monétaires ou à l’emploi sera encore plus tardive. À cet égard, l’élévation importante de leur niveau de formation, l’affirmation de leur droit au travail et la progression de leur participation à la vie politique et publique en général, constituent des avancées majeures qui ont contribué à leur émancipation11.

Selon Tocqueville, la société démocratique a pour première caractéristique l’égalité des conditions, garantie par l’absence de fondements juridiques aux distinctions sociales. Aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ces dernières « ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’égalité devenant la norme, les situations sociales cessent d’être attachées aux individus. Elles sont donc susceptibles d’être constamment redistribuées : la mobilité sociale, ascendante ou descendante devient la règle. Dans cette dynamique, l’inégalité n’est plus définitive et contrainte comme dans l’Ancien régime et les sociétés ordonnées par le principe hiérarchique. Elle devient temporaire et « libre », lorsqu’elle résulte, par exemple, d’une relation contractuelle. Les situations dissymétriques qui peuvent en résulter ne retirent rien au fait que chaque membre d’une société démocratique est fondé à se sentir et se représenter comme l’égal de chacun des autres, « cette majestueuse égalité devant la loi qui permet aux riches comme aux pauvres de dormir la nuit sous les ponts12 ». Ce sentiment puissant irrigue la société en profondeur et modifie l’ensemble des relations entre les hommes.

L’idée d’une société où les obstacles juridiques et culturels aux changements de position sociale sont levés et où il appartient à chaque individu, en fonction de ses qualités et de ses mérites propres, de s’insérer et de s’élever dans la société, alimente l’aspiration à se différencier socialement et économiquement. Cette différenciation sociale, fondée en théorie sur le mérite, justifie les inégalités générées par le fonctionnement du système. Au

9 Audition du 26 février 2014 devant la délégation aux droits des femmes - CESE.

10 Idem.

11 Voir à ce sujet «  1968-2008  : évolution et prospective de la situation des femmes dans la société française  », Communication du Conseil économique, social et environnemental présentée au nom du Bureau par Mme Pierrette Crosemarie au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre hommes et femmes, janvier 2009.

12 Anatole France ; Le nouvel âge des inégalités ; Seuil essais, 1996, Cité par Jean-Paul Fitoussi et Pierre Rosanvallon.

total, le caractère démocratique d’une société ne garantit pas une égale répartition des richesses : l’égalité civile peut coexister avec des inégalités économiques ou politiques.

Non étayées par les principes qui fondent et cimentent la société, les inégalités deviennent injustices. Elles se déploient particulièrement dans le champ social, aujourd’hui encore, et c’est là qu’elles sont le mieux reconnues et décrites. C’est dans le champ social également que la lutte contre les injustices a été engagée historiquement. Le champ environnemental n’a été identifié que beaucoup plus tardivement comme un espace favorable au déploiement de nouvelles formes d’inégalités, susceptibles de générer des injustices. C’est en invoquant les principes de justice que les États-Unis ont parmi les premiers cherché à mettre en œuvre le concept de justice environnementale.

La justice environnementale,