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Le logement, miroir des inégalités sociales

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 114-117)

Pierre angulaire de l’insertion sociale et professionnelle, le logement est le principal déterminant des conditions de vie d’un ménage. En dépit d’une amélioration progressive du parc, des insuffisances quantitatives et qualitatives persistent, dont pâtissent les plus modestes. Les ressources financières conditionnent en effet la possibilité d’accéder à un logement, sa qualité et le choix de sa localisation. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il soit le lieu d’expression privilégié des inégalités sociales, d’autant que le coût de l’accès au logement a progressé plus vite que l’inflation et les revenus individuels75.

Les inégalités de logement sont aussi directement facteurs d’inégalités environnementales. Elles se manifestent au travers de la qualité du bien et de sa localisation, avec des désagréments variables  : cadre de vie dégradé, problèmes de transport, de chauffage…

ٰUne amélioration dont tous ne profitent pas

Année après année, le nombre de logements dépourvus des éléments de confort de base diminue grâce à la transformation du parc et à la part de leur budget que les ménages consacrent à leur habitation. Cette amélioration d’ensemble doit cependant être nuancée.

Dans le dernier rapport sur le mal-logement publié par la Fondation Abbé Pierre76, 694  000 personnes n’ont pas de domicile personnel. Plus de 60  % sont hébergés chez des tiers, 141 500 sont sans domicile fixe et 85 000 personnes vivent à l’année dans une habitation de fortune (cabanes, camping ou mobil home).

Au-delà de ces cas préoccupants ou tragiques, près de 2,8 millions de personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles, caractérisées par un manque de confort et/

ou un surpeuplement accentué.

Le concept souple de « mal-logement » permet d’inclure dans le constat la situation vécue par une part importante de la population composant les classes moyennes et modestes, dont les conditions de logement ne correspondent pas à leurs aspirations en raison de la qualité du bien occupé : dégradé, de trop faible surface, mal insonorisé...

Selon l’enquête Logement de 2006, les ménages vivant dans les 350 000 logements manquant du confort sanitaire de base recensés se divisent en deux catégories : dans la moitié des cas il s’agit de personnes seules, retraitées, vivant dans une maison située en zone rurale et dont elles sont propriétaires  ; dans l’autre, plus diverse, principalement d’ouvriers, d’employés ou de personnes sans activité professionnelle. Selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre, six millions de personnes vivent encore dans des logements qualifiés de « mauvaise qualité », plaçant la France au dix-huitième rang européen sur vingt-quatre pays considérés.

75 Entre 1995 et 2008, le prix des logements a été multiplié par 2,5 alors que le revenu disponible des ménages ne progressait que de 1,6 en valeur nominale. Quant aux loyers, ils ont progressé deux fois plus vite que l’inflation depuis les années 1960 (Credoc, Enquête condition de vie et aspirations des Français, n° 263, juin 2010).

76 Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, Le mal-logement en France, 19ème rapport annuel, 2014.

Les risques sanitaires liés à l’habitat indigne concerneraient environ 600 000 logements, dans lesquels vivent un peu plus d’un million de personnes, les ménages pauvres ou modestes (ouvriers, chômeurs, jeunes de moins de vingt-cinq ans, familles monoparentales...) y étant surreprésentés.

Une estimation réalisée en 2008 par l’INSEE dans la perspective de la mise en œuvre du Droit au logement opposable (DALO) faisait état de 520 000 à 530 000 ménages qui seraient éligibles aux critères de la loi, soit parce qu’ils habitent un logement menaçant ruine ou insalubre, soit parce que ce logement ne possède pas le confort de base, soit encore parce qu’il est surpeuplé. Ce dernier critère est un indicateur discriminant au regard des revenus des ménages. Dans sa dernière enquête Logement, l’INSEE a calculé que le rapport entre le premier et le dernier décile de niveau de vie en matière de surpeuplement s’élève à 12,6 ! La surface moyenne par personne croît d’ailleurs avec la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence du ménage : 34 m² pour un ouvrier, 40 m² pour un cadre ou une profession intellectuelle supérieure (hors professions libérales), 49 m² pour un artisan, commerçant, chef d’entreprise ou représentant d’une profession libérale.

ٰLes effets discriminants du marché

Le déficit de construction de logements depuis vingt-cinq ans, en particulier en zone tendue, ainsi que des politiques de construction inadaptées ont créé un déséquilibre entre l’offre disponible et les besoins. La flambée des prix de l’immobilier depuis la fin des années quatre-vingt-dix, puis la hausse des loyers et des charges, ont créé un contexte de concurrence qui exclut ou marginalise un nombre croissant de ménages modestes et pèse sur les conditions de logement. C’est ainsi que près de 80 % des jeunes de 18 à 29 ans estiment difficile ou très difficile de se loger, en raison des exigences en termes de garanties, du montant des loyers ou des remboursements d’emprunts et des frais d’entrée77. L’accession à la propriété est même devenue impossible pour une large frange des classes moyennes compte tenu du niveau de prix atteint par le marché, tandis que le taux d’effort des locataires du secteur libre ne cesse de progresser.

Certes, grâce aux efforts des collectivités locales et des bailleurs sociaux privés, le parc de logements locatifs à loyer modéré continue d’augmenter malgré les démolitions et les ventes. Fin 2012, il était légèrement supérieur à cinq millions d’unités et abritait près de douze millions de personnes, soit 17 % des ménages ; 35 % des ménages les plus modestes (premier quartile de niveau de vie) y demeurent. Les employés et les ouvriers y sont surreprésentés (47 % alors qu’ils ne représentent que 29 % de l’ensemble des ménages). Les locataires du parc social bénéficient de loyers inférieurs de 30 % en moyenne à ceux du parc privé, mais cette population se paupérise : tandis qu’entre 1984 et 2010 le revenu moyen des ménages français augmentait de 21 %, celui des locataires du parc HLM diminuait de 8 %. La répartition du parc est géographiquement déséquilibrée, ce qui n’empêche pas des tensions fortes d’exister, même dans les régions telles que l’Île-de-France, où il représente 22,3 % des logements. Près de 1,7 millions de demandeurs serait en attente d’une attribution mais, compte tenu du contexte, le taux de rotation est particulièrement faible et les délais s’allongent. À Paris, le temps d’attente moyen pour obtenir un logement serait de sept ans...

En dépit d’une amélioration de l’offre locative globale en 2012, les associations d’aide aux démunis soulignent les difficultés grandissantes des ménages les plus modestes, dont

77 Enquête CSA pour le groupe Polylogis, octobre 2012.

un nombre grandissant de foyers monoparentaux, pour accéder un à logement et s’y maintenir. L’augmentation du chômage contribue fortement à cette tension et, de son côté, le marché du logement, qui oblige nombre de personnes à s’éloigner des zones centres, voire des bassins d’emploi, peut à son tour peser sur la situation professionnelle des salariés.

Par surcroît, l’augmentation de la dépense logement s’accompagne de restrictions sur d’autres postes du budget domestique comme l’alimentation ou les soins.

Plus de cinq millions de personnes seraient en situation de fragilité à plus ou moins brève échéance. Le fait que les inégalités face au logement soient fortement liées aux revenus, donc à la catégorie sociale à laquelle on appartient, entraîne une double conséquence : elle contraint les ménages à faibles ressources qui ne trouvent pas à se loger dans le parc social à aller habiter dans des quartiers financièrement accessibles mais souvent dépréciés, avec pour effet la concentration de populations en difficulté dans les mêmes zones d’habitation.

ٰUn coût de l’énergie qui impacte durement les plus modestes

En matière de logement, les inégalités sociales et environnementales se concrétisent aussi au travers des charges de chauffage. L’enquête Logement de 2006 a permis de mettre en évidence que 14,4 % des ménages, soit 3,8 millions de personnes, avaient un taux d’effort énergétique dépassant 10 %. Près de 70 % de ces ménages comptent évidemment parmi les plus modestes - ils appartiennent au premier quartile de niveau de vie - puisque le taux d’effort énergétique moyen décroît avec l’augmentation des revenus. Il passe de 9,3 % pour les 25 % de ménages les plus modestes à 2,7 % pour les 25 % les plus aisés. Le poids de cette charge ne s’explique cependant pas uniquement par le coût du chauffage rapporté aux revenus du ménage. Leurs faibles ressources conduisent les ménages modestes à occuper plus souvent que la moyenne des logements construits entre 1949 et 1975, dont l’inconfort thermique est avéré, que ce soit en raison de la médiocre qualité du bâti et/ou de l’installation de chauffage. Dans ces logements mal isolés et/ou mal chauffés, le recours à des radiateurs électriques d’appoint est bien souvent le seul palliatif à une installation principale insuffisante ou défaillante, ce qui accroît encore la charge financière du ménage.

Cette situation conduit 14,4 % de l’ensemble des ménages à consacrer plus de 10 % de ses ressources à se chauffer. Ce pourcentage s’élève à 40,1  % pour ceux appartenant au premier quartile de niveau de vie. La précarité énergétique peut prendre une forme plus dramatique encore, qui se manifeste par l’impossibilité d’atteindre une température convenable. En France métropolitaine, au cours de l’hiver 2005-2006, 14,1 % des ménages, soit sept à huit millions de personnes, ont déclaré avoir souffert du froid ; proportion qui atteint 22 % chez les ménages appartenant au premier quartile de niveau de vie. Cet hiver-là n’ayant pas été particulièrement rigoureux, la principale raison de cette souffrance tient à des restrictions de dépense d’énergie, donc un renoncement au confort thermique.

Enfin, 621  000 ménages cumulent les deux handicaps. Près de la moitié d’entre eux consacrent plus de 15  % de leurs revenus aux dépenses d’énergie. Ils habitent dans des logements déperditifs (passoires énergétiques) et se trouvent dans une situation de précarité énergétique extrême : 75 % d’entre eux appartiennent au premier quartile de niveau de vie.

L’INSEE a observé que les familles monoparentales, les inactifs et les chômeurs sont surreprésentés dans les situations de précarité énergétique. L’institut souligne que «  la dimension économique et sociale est aussi très déterminante en matière de précarité énergétique [et que] certains événements comme une séparation ou une perte d’emploi peuvent accentuer cette situation ».

Dans le document JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Page 114-117)