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L’humour apparaît comme un trait caractéristique des Egyptiens. AKmad Amîn le souligne à plusieurs reprises :

« Les nations diffèrent grandement selon leur attrait pour les plaisanteries et

l’admiration qu’elles leur portent. Certaines sont réputées [pour leur humour], d’autres n’y

prennent qu’une faible part. Je pense que, dans le monde oriental, la nation la plus célèbre pour la plaisanterie est la nation égyptienne, et qu’elle surpasse en ceci la Syrie, l’Irak et le Hedjaz. »4

« Les Egyptiens sont célèbres depuis longtemps pour leur goût du rire et leur penchant

pour l’humour (...) ».5

« Toujours est-il que les Egyptiens sont célèbres pour leurs plaisanteries ; ils les

admirent, s’ingénient [à les composer] et se les transmettent dans les assemblées. Certains

d’entre eux s’enquièrent de la dernière blague comme d’autres le font des dernières nouvelles ou du cours du coton à la Bourse. »6

« Les Egyptiens sont réputés pour leur humour plaisant et leurs histoires drôles, en

particulier les habitants du Caire et de Rosette. »7

Il évoque également les « prodiges » (a`âjîb) de l’humour des Egyptiens.8 AKmad Amîn explique leur sens de l’humour par leur gaieté. Il se réfère notamment à une citation de Abû l-6alt (né en 1067)9, rapportée par l’historien égyptien al-Maqrîzî (1364-1442), qui

1 Voir l’index L’humour.

2 « Ibn - Ebn el-nukta », pp. 10-16, « Al-fukâha », pp. 309-310, « Al-hazl », p. 409.

3 L’article « Al-amthâl » (les proverbes), pp. 61-70, compte neuf pages et demie et 379 lignes contre 290,5 lignes pour le texte de « Ibn - Ebn el-nukta ».

4 « Ibn - Ebn el-nukta », p. 13.

5 Ibid., p. 10.

6 Ibid., p. 11.

7 « Al-fukâha », p. 309.

8 « Al-hazl », p. 409.

définit le caractère des Egyptiens par leur attrait pour la volupté et les choses futiles, par la cajolerie et la gaieté (bashâsha). AKmad Amîn indique qu’il n’entend pas discuter ces propos mais qu’il veut souligner que les Egyptiens sont décrits depuis longtemps par leur gaieté, un trait caractéristique qu’il mentionne également au sujet de « l’égyptianité ».1 « L’esprit

égyptien enjoué » se manifeste aussi dans l’ironie mordante et les comparaisons amusantes que recèlent les proverbes.2 La jovialité des Egyptiens s’explique d’après l’auteur par leur manque de prévoyance et leur insouciance du lendemain. Une telle inclination est citée parmi les caractères distinctifs de « l’égyptianité » : « S’il gagne de l’argent, il le dépense avec

libéralité sans tenir compte de l’avenir et en disant « Dépense ce qu’il y a dans ta poche, la providence pourvoira. »3 AKmad Amîn s’en réfère encore à des auteurs de l’époque médiévale et fait mention du jugement d’Ibn Khaldûn (1332-1406), selon lequel « les gens d’Egypte

paraissent n’avoir aucun compte à rendre ».4 Il cite aussi al-Maqrîzî pour qui l’imprévoyance des Egyptiens se manifeste dans le fait qu’ils achètent leur repas chaque jour, matin et soir, sans faire de provisions.5

Cette insouciance du lendemain apparaît également au sujet du caractère excessif des manifestations des sentiments de joie et de peine chez les Egyptiens : « Il est de coutume chez

les Egyptiens, et surtout chez les Egyptiennes, [d’exprimer] avec exagération leurs sentiments

de joie et de peine. »6 L’auteur caractérise même les Egyptiens « par le déchaînement de leurs

émotions lors des funérailles et des fêtes ».7 De tels débordements conduisent notamment à des dépenses inconsidérées lors des mariages comme des funérailles, ce qui entraîne la ruine des maisons.8 Il note ainsi que lorsque les Egyptiens sont joyeux, « ils expriment bruyamment

leur gaieté, dépensent tout ce qu’ils possèdent et peuvent même s’endetter pour manifester leur joie ».9

AKmad Amîn décrit les manifestations de la joie dans l’article « El-faraK » (la joie) au travers de deux anecdotes qui lui ont été rapportées. La première illustre l’exemple de l’évanouissement, qui constitue selon l’auteur le plus haut degré de la joie. Elle concerne Ibrâhîm al-Dasûqî (1811-1883), qui travailla avec l’orientaliste Edward Lane (1801-1876).10 Ce dernier lui légua la somme de mille livres égyptiennes. Ibrâhîm al-Dasûqî, qui n’avait jamais eu de sa vie plus de cinq livres en poche, faillit s’évanouir quand il vit le banquier compter l’argent devant lui, et il ne prit possession de cette somme qu’en plusieurs fois. La

1 « Al-miVriyya », pp. 370-371.

2 « Al-amthâl », p. 70.

3 « EVref mâ fê el-gêb ye’tî-k mâ fê el-ghêb », « Al-miVriyya », p. 371, et d’après la traduction proposée par TADIE, Arlette, Le Sel de la conversation. 3 000 proverbes d’Egypte, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, proverbe n° 16.1, p. 499. Voir aussi Les proverbes.

4 « Ibn - Ebn el-nukta », p. 10.

5 Il est intéressant de constater que Henry Ayrout se réfère aux mêmes citations d’Ibn Khaldûn et d’al-Maqrîzî au sujet de « l’esprit d’imprévoyance » des paysans. Voir AYROUT, Henry Habib S. J., Mœurs et coutumes des

fellahs, Payot, 1938, p. 161. Sawsan el-Messiri reprend ce passage du Dictionnaire et les auteurs cités par AKmad Amîn pour décrire la jovialité et l’insouciance des Egyptiens. Voir MESSIRI, Sawsan el-, Ibn al-balad. A

Concept of Egyptian Identity, Leiden, E.J. Brill, 1978, p. 2.

6 « El-ganâza », p. 139. Exagération que relèvent également les articles « El-gaza` », p. 137, « Al-`awâWif », p. 291, « El-faraK », p. 306.

7 « Al-`awâWif », p. 291.

8 « Al-usra », pp. 38-40, « El-gaza` », p. 137. Voir Le cycle de la vie.

9 « El-gaza` », p. 137.

10 Al-Sayyid Ibrâhîm b. Ibrâhîm al-Dasûqî, qui travailla comme correcteur dans les services du gouvernement, participa à la préparation du dictionnaire arabe de Lane. Voir GOLDZIHER, I., « al-DasûNî, Al-Sayyid Ibrâhîm b. Ibrâhîm », EI², tome II, p. 172.

seconde relate l’histoire d’un « homme pauvre qui vivait des revenus de sa femme, qui

travaillait comme blanchisseuse dans les maisons. L’un de ses proches mourut et il hérita d’environ six cents livres égyptiennes. Il se fit tailler dix costumes, chacun consistant en une

jubba1, un cafetan, un caleçon (libâs), un gilet (Vadîrî) et une chemise, et il jeta ses vêtements

élimés. Il se mit à inviter ses amis et à organiser des fêtes avec des chants, du vin et du haschich. Puis il convia ses amis et se rendit à la gare, prétendant qu’il allait faire le pèlerinage à La Mecque alors que ce n’en était pas l’époque. Après un mois d’absence, il envoya un télégramme à ses amis annonçant qu’il avait effectué le pèlerinage et qu’il était de retour. Ses amis l’accueillirent à la gare avec un cortège. Les fêtes se succédèrent à tel point que sa fortune s’évanouit. Ses amis le délaissèrent et il reprit ses vêtements élimés. Voilà les effets de la joie. »2

Les causes de ces excès sont, selon AKmad Amîn, « la pauvreté et la misère qu’ils

endurent patiemment »3 ; les Egyptiens trouvant dans le rire et dans les larmes une forme d’épanchement (istirsâl).

AKmad Amîn constate que ceux qui vivent dans les conditions les plus misérables sont aussi ceux qui plaisantent le plus. Il observe que l’échange de plaisanteries « tient une place

remarquable dans les cafés populaires (baladiyya), où se réunissent les artisans, les ouvriers

et ceux qui n’ont ni métier, ni travail, et dans les assemblées populaires (sha`biyya) où se

rassemblent les pauvres et les miséreux ».4 Il explique ce fait par une métaphore médicale : « comme si la nature remédiant à elle-même par elle-même voyait la misère telle une maladie

qu’elle soignait par le remède de la plaisanterie ».5 On relève une remarque similaire dans l’article portant sur « l’égyptianité » : « La gaieté est prédominante, à tel point qu’il est

étonnant [de constater] que plus les gens sont pauvres, plus ils sont gais et contents de ce

qu’ils ont, comme si la nature les dédommageait ainsi de leur misère (...) ».6 L’humour apparaît ainsi comme un exutoire. L’auteur note également que les Egyptiens se consolaient de l’oppression qu’ils subissaient « avec des plaisanteries mordantes, des chants flamboyants

et des proverbes ».7

Trois articles relient par ailleurs le maniement de l’humour et la consommation de drogue, que l’auteur juge répandue en Egypte.8 Ainsi, les âniers étaient célèbres pour leur humour et leurs plaisanteries en raison de leur consommation de haschich.9 L’auteur note que « les consommateurs [de haschich] sont réputés pour leur mots d’esprit et leur imagination

brillante. On leur attribue la plupart des histoires plaisantes »10 et constate que les « gûza-s [narguilés de haschich] accompagnent les plaisanteries brillantes et les anecdotes

charmantes, le haschich étant réputé pour donner de l’esprit et rendre les conversations agréables ».11 Alors que AKmad Amîn souligne les méfaits de la drogue et la déchéance

1 La jubba est une robe longue ouverte, fermée par une ceinture, qui se porte sur le cafetan. Voir Vêtements et parures.

2 « El-faraK », p. 306.

3 « Al-`awâWif », p. 291.

4 « Ibn - Ebn el-nukta », p. 10.

5 Ibid.

6 « Al-miVriyya », p. 371.

7 Ibid.

8 Voir l’index La consommation de drogue.

9 « Al-Kimar », pp. 177-178.

10 « Al-Kashîsh », p. 170.

physique et morale qu’elle entraîne, sa réprobation ne paraît cependant pas rejaillir sur l’humour qu’elle favorise.

La place importante dévolue à l’humour se manifeste par l’existence d’humoristes professionnels, qui inventent et racontent des plaisanteries et qui sont invités à animer des fêtes et des soirées entre amis.1 Certains publient leurs histoires drôles dans la presse et les revues humoristiques. AKmad Amîn évoque également la figure de celui qui aime à dire des plaisanteries, et qui est ainsi surnommé « ibn el-nukta »2, un personnage très apprécié, « que

l’on cherche lorsqu’il est absent et que l’on honore quand il est là ».3 Il distingue aussi certains groupes par leur type de plaisanterie. Le maniement de l’humour et les joutes de plaisanteries comptent, avec l’élégance de leurs vêtements et le raffinement de leurs manières, parmi les traits distinctifs des « enfants du pays » (awlâd el-balad).4 Il fait également mention des moqueries qu’adressent les buveurs et les consommateurs de drogues à ceux qui ne s’adonnent ni à la boisson, ni aux stupéfiants.5 L’échange de plaisanteries apparaît ainsi comme un élément caractéristique de la sociabilité des Egyptiens, telle qu’elle se manifeste dans les cafés, les soirées, les assemblées, et les fêtes.