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Huit articles font référence au théâtre d’inspiration occidentale, tel qu’il fut introduit en Egypte à partir des années 1870.1 Il apparaît presque toujours en liaison avec le cinéma2 et comme un type de distraction, emprunté à la civilisation occidentale, qui a remplacé ou conquis les anciennes formes de divertissement :

« Les Egyptiens apprécient les divertissements tout comme [les membres] des autres

nations. Il y avait auparavant différentes sortes de distractions rudimentaires (badâ’iyya), par

exemple les marionnettes et le théâtre d’ombres, [les représentations de théâtre données par la famille] Ibn Râbiyya, la danse, les jeux de cible, etc. Avec le temps, ces divertissements ont

changé en raison des emprunts faits à la civilisation occidentale. Le cinéma et le théâtre ont remplacé (Kallat maKall) les marionnettes, la danse européenne s’est substituée à la danse

locale (baladî). C’est ainsi que sont apparues chez nous différentes sortes de distractions qui

sont une forme réduite des divertissements européens. »3

Il note ainsi la disparition des spectacles de la famille Ibn Râbiyya et leur remplacement (Kalla maKall) par le cinéma et le théâtre. Il évoque aussi la fin des spectacles de danse et de marionnettes donnés sous de petits chapiteaux ambulants avec la construction des cinémas et des théâtres.4 Les q

arâgûz-s, très répandues « avant la diffusion du cinéma », déclinent « avec l’invasion (ghazw) du cinéma et du théâtre ».5 On trouve une formulation inverse au sujet de la Geste des Banû Hilâl, qui « remplaçait le cinéma et le théâtre (kânat taqûma maqâm) ».6

Les dépenses de théâtre et de cinéma apparaissent par ailleurs dans le budget annuel d’une famille de condition moyenne (mutawassiW) vers 1950, que présente AKmad Amîn dans l’article « Mîzâniyyat al-bayt » (le budget de la maison).7 Il évoque également le désordre qui règne dans les théâtres et les cinémas, surtout quand s’y trouvent les « fils du pays » (awlâd

el-balad) et des écoliers.8

Dans son article sur le théâtre (« Al-tamthîl »), AKmad Amîn fait mention de la troupe de « théâtre arabe » dirigée par Khalîl al-Qabbânî qui, venue de Syrie, s’installa à Alexandrie. L’auteur indique qu’il s’agissait d’un « théâtre rudimentaire » et que les femmes n’étant pas autorisées à apparaître sur scène, de jeunes hommes jouaient les rôles féminins.9 Khalîl al-Qabbânî (1836-1902) compte parmi les premiers auteurs de théâtre d’inspiration occidentale. Il adapta notamment des contes des Mille et une nuits, des légendes historiques et des œuvres françaises telles Mithridate de Racine et Hernani de Victor Hugo. Il s’inspira également des

q

arâgûz-s en faisant alterner dans les dialogues prose et poésie chantée. AKmad Amîn cite

1 « Ibn - Ibn Râbiyya aw awlâd Râbiyya », p. 9, « Abû - Abû Zayd al-Hilâlî », pp. 19-22, « Al-tamthîl », pp. 126-128, « El-Viwân », p. 263, « Qarâgûz », pp. 320-321, « Al-malâhî », p. 378, « Mîzâniyyat al-bayt », pp. 390-391, « Hargala », p. 409. La naissance du théâtre dans le monde arabe est marquée par l’adaptation de L’Avare de Molière par Marûn al-Naqqâsh (1817-1855), au Liban en 1847.

2 « Ibn - Ibn Râbiyya aw awlâd Râbiyya », p. 9, « Abû - Abû Zayd al-Hilâlî », pp. 19-22, « El-Viwân », p. 263, « Qarâgûz », pp. 320-321, « Al-malâhî », p. 378, « Mîzâniyyat al-bayt », pp. 390-391, « Hargala », p. 409.

3 « Al-malâhî », p. 378.

4 « El-Viwân », p. 263.

5 « Qarâgûz », pp. 320-321.

6 « Abû - Abû Zayd al-Hilâlî », p. 21.

7 « Mîzâniyyat al-bayt », pp. 390-391.

8 « Hargala », p. 409.

deux de ses pièces : Nukrân al-jamîl (l’ingratitude) et Harûn al-Rashîd. L’auteur signale aussi la représentation des pièces de Voltaire et d’autres auteurs traduites par MuKammad `Uthmân Jalâl (1828-1898).1 Il traduisit et adapta également Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre, les Fables de La Fontaine, ainsi que des œuvres de Racine et Corneille. Il est célèbre pour ses transpositions des pièces de Molière, qu’il traduisit en dialecte égyptien. Le théâtre progressa, selon AKmad Amîn, avec la construction d’un opéra par le khédive Ismâ`îl, l’invitation d’une troupe italienne qui présenta Aïda2 et la formation d’une troupe nationale. L’évocation de l’introduction du théâtre d’inspiration occidentale se limite logiquement aux premiers auteurs et aux premières institutions - théâtre, troupe - qui l’initièrent.3 Les développements ultérieurs d’un genre fécond en Egypte n’entrent vraisemblablement pas pour l’auteur dans le cadre d’un dictionnaire des coutumes. Sa grande diffusion est cependant soulignée par le fait qu’il a, ainsi que le cinéma, remplacé les anciennes formes de distraction.4

Dans le Dictionnaire, le théâtre apparaît au nombre des distractions des Egyptiens. Il revêt différentes formes : théâtre d’ombres, farces et mimes, théâtre d’inspiration occidentale. Le théâtre d’ombres, les marionnettes q

arâgûz-s et l’œuvre d’Ibn Dâniyâl bénéficient d’une présentation méliorative et font l’objet d’une grande valorisation nationale. Les marionnettes, apport étranger, ont été assimilées par l’environnement égyptien, pour représenter « des faits

égyptiens, tissés par l’imagination égyptienne ».5 Ibn Dâniyâl apparaît comme un auteur doté d’une personnalité égyptienne manifeste. Ses pièces formaient un divertissement populaire - à destination du peuple - de qualité, également apprécié des puissants. Cet aspect doit être particulièrement important pour AKmad Amîn qui déplore que les hommes de lettres forment une « aristocratie » et ne créent que pour une élite, sans chercher à nourrir le commun du peuple de leur art.6 Il affirme en outre la dimension littéraire de ce théâtre en regrettant que les historiens de la littérature ne se soient pas intéressés à ce genre. L’œuvre d’Ibn Dâniyâl offre par ailleurs « une représentation précise de la vie populaire (sha`biyya) égyptienne »7, domaine que AKmad Amîn reproche aux historiens de négliger. La qualité « patrimoniale » du théâtre d’Ibn Dâniyâl se fonde ainsi sur son caractère littéraire, égyptien et populaire dans le sens où cet art oral s’adresse au commun du peuple et représente la vie populaire. Le genre de

1 « Al-tamthîl », pp. 126-128.

2 Ibid. L’Opéra du Caire, construit sur le modèle de la Scala de Milan, fut achevé pour l’inauguration du canal de Suez en 1869, lors de laquelle on y joua Rigoletto de Verdi (1813-1901). L’opéra Aïda, dont l’histoire se passe au temps des pharaons, fut commandé par le khédive Ismâ`îl à Verdi pour l’inauguration de l’opéra. La création fut retardée au 24 décembre 1871 car les décors et les costumes, conçus par l’égyptologue français Mariette (1821-1881) qui avait également suggéré le sujet de l’opéra au khédive, et réalisés en France, furent bloquées à Paris par la guerre franco-prusienne de 1870-1871. KOBBE, Gustave, Tout l’opéra, Paris, Robert Laffont, 1988, pp. 409-410.

3 Etonnamment, AKmad Amîn n’évoque par dans l’article qu’il consacre au journaliste et écrivain Ya`qûb 6anû` (1839-1912) ses activités théâtrales (« Abû - Abû naGGâra aw Abû naGGâra zarqa », p. 22). Il fut portant l’un des premiers auteurs de théâtre et même honoré du titre de « Molière égyptien ». Entre 1870 et 1872, date de la fermeture de son théâtre, il présenta Al-Bint al-miVriyya (l’Egyptienne), Ghandûr MiVr (le mignon d’Egypte),

Al-Darratayn (les coépouses), qui traitent des rapports entre les sexes et de la polygamie, al-WaWan wa-l-Kurriya (la patrie et la liberté) ainsi qu’une opérette. Les rôles féminins de ces pièces étaient « audacieusement confiés à des

femmes », TOMICHE, Nada, Histoire de la littérature romanesque de l’Egypte moderne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1981, p. 26. Voir aussi LANDAU, J. M., « Abû naGGâra », EI², tome I, p. 146 et le chapitre sur l’humour.

4 En 1927, on comptait au Caire une dizaine de salles et de troupes. TOMICHE, Nada, op. cit., p. 34. De nombreux écrivains égyptiens s’illustrèrent dans ce genre.

5 « Qarâgûz », p. 321.

6 AMÎN, AKmad, +ayâtî, Le Caire, Maktabat al-nahGa al-miVriyya, 7e édition (1re édition 1950), s.d., p. 213 et tout le chapitre 31 dans lequel il expose sa conception de la langue et de la littérature.

théâtre est également abordé dans la perspective du changement, les anciennes formes de divertissement théâtrales ayant été supplantées par le théâtre d’inspiration occidentale et le cinéma.