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Sept article abordent le théâtre d’ombres, auquel font directement référence les intitulés de trois articles.3 L’article « Al-tamthîl » (le théâtre), long de plus de deux pages, lui est en outre presque intégralement consacré. Le Dictionnaire ménage ainsi une place non négligeable à ce qui a pu être considéré, lors de l’implantation du théâtre d’inspiration occidentale, comme l’une des formes de théâtre traditionnelles dans la culture arabe.

Q

arâgûz :

Les marionnettes du théâtre d’ombres, dénommées q

arâgûz (du turc karagöz), sont évoquées dans quatre articles.4 AKmad Amîn leur consacre un article particulier, de la longueur d’une page, intitulé de leur nom « Q

arâgûz », et qui en donne une description assez détaillée. Il range ces marionnettes et le théâtre d’ombres parmi les anciens « divertissements

rudimentaires (badâ’iyya) » des Egyptiens, avec les représentations de théâtre données par la famille Ibn Râbiyya, la danse et les jeux de cible.5 Il signale aussi qu’à son époque (fî

`ahdi-na) des spectacles de marionnettes étaient donnés dans de petites tentes ou chapiteaux (Viwân) ambulants.6 Les représentations avaient lieu le plus souvent lors des fêtes et pendant le ramadan.

AKmad Amîn décrit le procédé du théâtre d’ombres à l’aide d’une lumière diffusée derrière un écran, la confection des marionnettes en cuir ou en carton, représentant des hommes, des femmes et des enfants, et leur manipulation avec des fils.7 Le marionnettiste s’accompagne souvent d’une musique « populaire » (baladiyya) rudimentaire en jouant du flûtiau ou chalumeau (zummâra). Il contrefait sa voix pour imiter celle d’une femme, d’un enfant ou d’un homme. AKmad Amîn souligne que ces marionnettes sont très aimées des Egyptiens, surtout des enfants et il les compare à Mickey Mouse. Le personnage de Mickey apparut en Egypte en 1936, soit six ans après sa création aux Etats-Unis, dans la revue enfantine Al-AWfâl (les enfants) qui ne dura que deux mois, soit huit numéros hebdomadaires. Les bulles étaient remplacées par de petits poèmes en dialecte (zajal) disposés sous les images. Mickey réapparut dans la revue Samîr, éditée par Dâr al-Hilâl à partir de 1956 et qui publia aussi d’autres séries de bandes dessinées étrangères traduites comme Tarzan en 1959,

1 « Ibn - Ibn Râbiyya aw awlâd Râbiyya », p. 9, « Ibn - Ibn Dâniyâl », pp. 8-9, « Abû - Abû Zayd al-Hilâlî », pp. 19-22, « Al-al`âb », pp. 54-55, « Al-tamthîl », pp. 126-128, « Khayâl al-]all », p. 196, « El-Viwân », p. 263, « El-faraK », p. 306, « Al-fukâha », pp. 309, « Qarâgûz », pp. 320-321, « Al-malâhî », p. 378, « Mîzâniyyat al-bayt », pp. 390-391, « Hargala », p. 409.

2 L’article « Khayâl al-]all », p. 196, contient un simple renvoi à « Qarâgûz », pp. 320-321. On trouve à la fin de l’article « Al-tamthîl », pp. 126-128, un renvoi à « Ibn - Ibn Dâniyâl », pp. 8-9.

3 « Ibn - Ibn Dâniyâl », pp. 8-9, « Al-tamthîl », pp. 126-128, « Khayâl al-]all », p. 196, « El-Viwân », p. 263, « Al-fukâha », pp. 309, « Qarâgûz », pp. 320-321, « Al-malâhî », p. 378.

4 « Khayâl al-]all », p. 196, « El-Viwân », p. 263, « Qarâgûz », pp. 320-321, « Al-malâhî », p. 378.

5 « Al-malâhî », p. 378.

6 « El-Viwân », p. 263.

Zorro et Tintin en 1961. La revue Mickey était lancée en 1959 par la même maison d’édition.1 Dans ce passage, AKmad Amîn ne fait donc vraisemblablement pas référence à la notoriété de Mickey en Egypte, puisque la large diffusion de cette bande dessinée est postérieure au

Dictionnaire. L’auteur aurait cherché par comparaison un équivalent occidental des q

arâgûz-s. Un personnage de dessin animé et de bande dessinée demeure cependant difficilement comparable aux marionnettes des q

arâgûz-s. La comparaison que fait AKmad Amîn est toutefois significative d’une assimilation des q

arâgûz-s, dont les spectacles s’adressaient aux adultes, à un loisir pour enfants, et formerait l’indication d’une association entre « culture populaire » et culture enfantine.2

AKmad Amîn précise que les spectacles de q

arâgûz représentent des histoires (qiVVa) de la vie réelle comme les histoires d’amour ou bien symbolisent des événements qui préoccupent l’opinion publique (al-ra’y al-`âmm).3 Les pièces (riwâya) se présentent souvent sous forme de dialogue entre un homme et une femme ou entre deux hommes. Il s’agit la plupart du temps d’un aristocrate cultivé et d’un homme du peuple (sha`bî) ignorant ; ce dernier séduit les spectateurs. AKmad Amîn relève aussi des expressions liées au théâtre des

q

arâgûz-s. On compare ainsi au q

arâgûz celui qui accomplit d’inutiles mouvements acrobatiques. Il explique également la référence symbolique du soufisme au théâtre d’ombres.

Il évoque par ailleurs l’origine de ces marionnettes. Connues par les Turcs depuis le XIIe siècle, elles proviendraient, par l’intermédiaire des Mongols, de Perse ou de Chine. Introduites par les Turcs en Egypte, elles représentent un parfait exemple d’assimilation d’un élément d’origine étrangère à « l’environnement égyptien » : « Quand ce divertissement a été

introduit en Egypte par les Turcs, il a subi l’influence du milieu égyptien (bî’a). Il représentait

des faits égyptiens, tissés par l’imagination égyptienne et extraits de son environnement. »4 La mention de l’influence du milieu renvoie à la conception de l’histoire égyptienne, telle que la formula, dans les années 1920, le courant « égyptianiste ». Il postulait l’influence déterminante des conditions géographiques et climatiques sur la formation du caractère national d’un peuple. Du déterminisme environnemental découlait la loi de l’assimilation, selon laquelle les conquérants étrangers qui s’établirent en Egypte auraient succombé à l’influence du milieu de la vallée du Nil et s’y seraient totalement assimilés.5

AKmad Amîn note enfin à plusieurs reprises que ces spectacles de marionnettes, autrefois très répandus en Egypte, ont été remplacées par le cinéma et le théâtre : « Ce

divertissement est en déclin avec l’invasion (ghazw) du cinéma et du théâtre et il est entré

dans l’histoire. »6

1 MILLET, Bertrand, Samir Mickey Sindbad et les autres. Histoire de la presse enfantine en Egypte, Dossier du Cedej n° 1, Le Caire, Cedej, 1987, 261 p.

2 Le personnage de Guignol, qui au début du XIXe siècle était le porte-parole des ouvriers de la soie lyonnais, est représentatif du passage du registre de la « culture populaire » à celui de la culture enfantine. Les contes adaptés par Charles Perrault (1697) offrent quant à eux un exemple d’assimilation de la « littérature populaire » à la littérature enfantine. Seul Le Petit chaperon rouge appartient au répertoire spécifiquement enfantin des contes de mise en garde.

3 « Qarâgûz », p. 320.

4 Ibid., p. 321.

5 GERSHONI, Israel et JANKOWSKI, James P., Egypt, Islam and the Arabs : The Search for Egyptian

Nationhood, 1900-1930, New York Oxford, Oxford University Press, 1986, 335 p. Voir aussi le chapitre Mémoire et séquelles de l’oppression.

Ibn Dâniyâl :

Le poète et auteur de théâtre d’ombres Shams al-Dîn MuKammad b. Dâniyâl b. Yûsuf al-Khuzâ`î al-MawVilî (1248-1310) est cité dans trois articles du Dictionnaire.1 AKmad Amîn lui dédie un article particulier, « Ibn - Ibn Dâniyâl », qui consiste en une petite biographie d’une demi-page. Il justifie de l’avoir choisi « parmi les personnages importants parce qu’il a

une personnalité égyptienne manifeste, tout comme [le poète] al-Bahâ’ Zuhayr (1187-1258) »2 et parce que l’on peut « peut-être le considérer comme le premier auteur (riwâ’î) égyptien ».3

Dans l’article « Ibn - Ibn Dâniyâl », AKmad Amîn indique qu’il avait ouvert une échoppe au Caire dans laquelle il fardait de khôl les yeux des gens. Il s’agit probablement d’un usage médical du khôl car Ibn Dâniyâl pratiqua l’ophtalmologie. Il se plaignait de sa misère et du manque d’argent et AKmad Amîn cite les vers qu’il écrivit à ce sujet. Il note également que Ibn Dâniyâl s’adonnait à la consommation de drogue et rapporte le poème (qaVîda) que celui-ci adressa au juge pour plaindre sa femme. Il donne également un exemple de l’une de ses plaisanteries qui circulaient parmi les Egyptiens.

« Ibn Dâniyâl se distingue par un art original (fann Warîf) : les pièces de théâtre » 4, qui étaient représentées par le théâtre d’ombres5. AKmad Amîn juge « regrettable que les

historiens de la littérature arabe n’aient pas prêté attention à cet art, bien qu’il se trouve aux origines de la littérature ».6 Il est ainsi significatif que l’article sur le théâtre, qui commence par évoquer les noms de Khalîl al-Qabbânî et MuKammad `Uthmân Jalâl, la construction de l’Opéra du Caire et la création d’Aïda, et donc l’introduction au XIXe siècle en Egypte d’un théâtre d’inspiration occidentale7, bifurque rapidement sur le théâtre d’ombres et l’œuvre d’Ibn Dâniyâl, à la description de laquelle est consacrée la majeure partie de cet article.8

AKmad Amîn note la large diffusion du théâtre d’ombres à l’époque mamelouke et dont on trouve de nombreuses mentions dans la chronique de l’historien Ibn Iyâs (1448-1524). Le théâtre d’ombres formait un divertissement pour les classes inférieures (al-Wabaqât al-suflâ) et les grands. Et si ces derniers ne venaient pas à lui, remarque l’auteur, ce théâtre allait jusqu’à eux. L’on dit que Saladin (1174-1193), le sultan Sélim (1512-1520) et son fils, Soliman le magnifique (1520-1566), ainsi que le khédive Tawfîq (1879-1892) en virent des représentations.

AKmad Amîn se réfère aux travaux de l’orientaliste allemand Jacob sur les écrits d’Ibn Dâniyâl9, qui mit au jour trois de ses pièces. La première, intitulée 7ayf al-khayâl (l’ombre de l’imaginaire), décrit la situation politique et culturelle de l’Egypte à l’époque du sultan

1 « Ibn - Ibn Dâniyâl », pp. 8-9, « Al-tamthîl », pp. 126-128, « Al-fukâha », pp. 309-310.

2 « Ibn - Ibn Dâniyâl », p. 8.

3 Ibid., p. 9.

4 « Al-tamthîl », p. 126.

5 « Ibn - Ibn Dâniyâl », pp. 8-9, « Al-tamthîl », pp. 126-128.

6 « Al-tamthîl », p. 126.

7 Voir infra.

8 « Al-tamthîl », pp. 126-128, avec 75,5 lignes sur 90 soit plus de 80 % du texte.

9 Al-Mutaijam ein altarabisches Schauspiel für die Schaltenbühne bestimmt von MuKammad ibn Dânîjâl, Erlangen, 1901, Geschichte des Schattentheaters, Berlin, 1907, « `Agîb ed-Dîn al-Wâ`iz bei Ibn Daniyâl », Der

mamelouk Baybars (1223-1277).1 La seconde, `Ajîb wa-gharîb, figure un marché.

Al-Mutayyam (l’amoureux), la troisième pièce, conte les amours d’al-Mutayyam et présente des combats de coqs, de béliers et de taureaux. AKmad Amîn en rapporte des citations. Il souligne la verve humoristique d’Ibn Dâniyâl2 et la puissance de son imagination. Il donne un exemple de sa première pièce, dans laquelle la lutte contre la corruption est symbolisée par le fait de tuer des démons. L’intérêt de cet auteur réside également dans le fait qu’il « donne une

représentation précise de la vie populaire (sha`biyya) égyptienne à cette époque [fin du XIIIe siècle], un aspect qui fut négligé par les historiens ».3

Il note que Ibn Dâniyâl écrivit ses pièces en arabe littéraire, en prose assonancée, à la manière des séances (maqâmât)4 d’al-Harîrî (1054-1122). Elles contiennent en outre de nombreux poèmes (ash`âr, zajal) et l’emploi de la langue classique ne l’empêchait pas de recourir parfois à des mots populaires (kalimât sha`biyya).