• Aucun résultat trouvé

Soixante-dix-sept articles, soit une proportion de 15 % de l’ensemble du Dictionnaire, comportent des notations diverses et plus ou moins détaillées sur les principales étapes du déroulement de la vie d’un individu et les rites qui entourent la naissance, la puberté, le mariage et les funérailles.1 Ces thèmes apparaissent dans la table des matières au travers des intitulés de plusieurs articles : « El-ganâza » (les funérailles), « Jihâz al-`arûs » (le trousseau de la mariée), « +ânût » (l’échoppe du laveur de mort), « El-khaWba » (la marieuse), « Al-khitân » (la circoncision et l’excision), « Al-zawâj wa-l-Walâq » (le mariage et la répudiation), « Al-subû` » (fête qui a lieu au septième jour de la naissance d’un enfant), « Al-`azâ’ » (les condoléances), « El-qarâfa » (le cimetière), « Lêlet el-Kennâ » (la nuit du henné), « Laylat al-dukhla » (la nuit de noces), « Al-mu`addida » (la pleureuse), « El-maghsal » (lieu où l’on lavait les pendus et les morts souillés de sang).2

L’approche ethnologique de ces rites se fonde sur les travaux de l’illustre folkloriste français Arnold Van Gennep (1873-1957). Il s’intéressa aux « rites de passage » qui rythment la vie humaine et qui marquent la transition d’un état social à un autre.3 Il mit en évidence la structure ternaire de ces rites qui comportent une « phase de séparation » de l’ancien groupe ou de l’ancien état, une période transitoire de « mise en marge » ou de latence et une « phase d’agrégation » au nouveau groupe ou au nouvel état. L’importance de chacun de ces moments est variable : ainsi les funérailles mettent d’avantage l’accent sur les rites de séparation ; à l’inverse, les rites d’agrégation sont plus développés lors d’un mariage. Un déroulement semblable se retrouve dans les rites saisonniers. Le schéma des rites de passage a permis de rassembler et d’ordonner les coutumes complexes qui entourent la naissance, la puberté, le mariage et la mort et de rapprocher ainsi des rites appartenant à des époques, des aires géographiques et des sociétés différentes.

1 La naissance :

Aucun article du Dictionnaire ne porte directement sur la naissance ou l’accouchement. On trouve cependant dans l’article « Al-kursî » (la chaise) la mention de la chaise d’accouchement (kursî al-wilâda), percée au centre, qu’apporte la sage-femme (dâya).4 L’indication que les femmes accouchent assises est intéressante pour ce que l’ethnologie considère comme les « techniques du corps », qui comprennent l’étude des différentes postures de l’accouchement, de l’allaitement et du portage de l’enfant, mais encore les postures de repos ou d’excrétion, les manières de s’asseoir ou de s’accroupir, de se déplacer, la sexualité, etc.5 AKmad Amîn note également qu’un bakchich ou une gratification sont

1 Voir l’index Le cycle de la vie.

2 « El-ganâza », pp. 139-140, « Jihâz al-`arûs », p. 145, « +ânût », p. 153, « El-khâWba », p. 187, « Al-khitân », pp. 187-189, « Al-zawâj wa-l-Walâq », pp. 222-224, « Al-subû` », p. 229, « Al-`azâ’ », p. 285, « El-qarâfa », p. 322, « Lêlet el-Kennâ », p. 349, « Laylat al-dukhla », p. 350, « Al-mu`addida », p. 373, « Al-maghsal », p. 374.

3 VAN GENNEP, Arnold, Les Rites de passage, Paris, Nourry, 1909. Voir aussi Histoire de la discipline du folklore.

4« Al-kursî », p. 336.

offerts à l’occasion d’une naissance et des relevailles, quand la femme se rend au hammam.1 L’auteur n’évoque pas le traitement du cordon ombilical et du placenta. Comme le note Jean Cuisenier, « ce sont des actes pratiques et symboliques trop importants pour qu’ils ne soient

pas entourés de prohibitions et de prescription ».2 Le cordon représente le lien entre la mère et l’enfant et leur séparation nécessaire. Le placenta, symbole de fécondité, est souvent considéré comme le jumeau de l’enfant.3 Onze articles traitent par ailleurs de diverses pratiques magiques liées à la stérilité, à la grossesse, à l’allaitement et à la protection des enfants.4

Le subû` :

AKmad Amîn consacre un article de vingt-six lignes et demie au subû`, célèbre fête marquant le septième jour de la naissance d’un enfant.5 L’auteur remarque à juste titre que le septième jour d’un événement important est l’objet d’une consécration particulière, citant l’exemple du septième jour du mariage et du septième jour du décès.6 Il évoque tout d’abord le keshk au poulet (keshk be-ferâkh), plat à base de froment, de lait, et de fromage fermenté, cuisiné par les classes supérieures et moyennes à l’occasion du subû`, et partagé avec les amis et les gens du quartier.7 Il relève l’expression « huwwa farkha be-keshk » qui signifie être apprécié comme un keshk au poulet ou chéri comme un nouveau-né.8 Il donne également la recette de la boisson nommée mughât (Glossostemon brugieri). La racine de cette plante, mélangée à d’autres plantes médicinales, grillée dans du beurre puis préparée en infusion et servie avec du sucre et des amandes pilées, redonnerait des forces à la parturiente.9 Il indique que lors du subû`, du sel est broyé dans un mortier pour habituer l’enfant au bruit, puis répandu dans la maison en protection contre le mauvais œil au chant de : « regâlâtak,

be-regâlâtak, be-be-regâlâtak, Kalaq dahab fe wedanâtak » (par tes hommes, par tes hommes, par tes hommes, une boucle d’or à tes oreilles), un chant d’origine bédouine selon AKmad Amîn.10

1 « Baqshîsh », p. 93. Les lochies entraînent le même état d’impureté et les mêmes interdits que les menstrues : les prières et le jeûne de ramadan ne sont pas valables, il est défendu de réciter le Coran et de pénétrer dans une mosquée. A la cessation du flux, l’accouchée doit se purifier. BOUSQUET, G., « +ayG », EI², tome III, p. 325.

2 CUISENIER, Jean, La Tradition populaire, Paris, PUF, Que sais-je ? n° 1 740, 1995, p. 71.

3 Voir BELMONT, Nicole, « Naissance », in BONTE, P. et IZARD, M., Dictionnaire de l’ethnologie et de

l’anthropologie, Paris, PUF, 1991, p. 504.

4 « Ibzîm aw âbzîn », p. 3, « Al-bâdhinjân », p. 79, « Bunduqî », p. 97, « Bîr Yûsuf », p. 105, « +agar al-kabbâs », p. 155, « Al-khaWwa », p. 194, « Al-rabW », p. 209, « Al-Gabba », p. 267, « `uqm », p. 286, « Al-met`awwaqa », p. 355, « Wilâdat al-dhukûr », p. 415. Ces articles sont présentés dans le chapitre concernant les pratiques magiques.

5 « Al-subû` », p. 229. Le subû` est également cité dans l’article « El-keshk », p. 337. Le mot subû` est formé sur la même racine que le chiffre sept (sab`a).

6 Une réception marque le septième jour du mariage, une visite au cimetière a lieu le septième jour du décès. AKmad Amîn consacre un article de quinze lignes au chiffre sept « Al-sab`a », p. 228. Il y indique que les Egyptiens vénèrent le chiffre sept car Dieu créa le monde en sept jours et qu’il y a sept cieux, sept terres et sept jours dans la semaine. Il relève des expressions, des proverbes, un vers de chansons contenant le chiffre sept, ainsi qu’une citation du Coran. Il signale en outre que de nombreuses invocations (ad`iya) sont à répéter sept fois.

7 « Al-subû` », p. 229, « El-keshk », p. 337.

8 Ibid., p. 229.

9 Ibid., p. 229. Le mughât est également offert aux visiteurs.

10 Ibid., p. 229. M.-J. Janicot propose un extrait un peu plus long de ce chant : « Par tes hommes, par tes hommes, Un pendant d’or à tes oreilles, O notre maître, O notre maître, que tu grandisses et deviennes aussi grand que nous, que tu restes en bonne santé et le talon couvert de henné, par tes hommes, par tes hommes, par tes hommes... » JANICOT, Marie-José, Avoir un enfant en Egypte. Enquête sur les rites et comportements, Le Caire, Dossier du Cedej, n ° 4, 1988, pp. 94-95.

La description du subû` donnée par AKmad Amîn paraît incomplète. L’auteur ne signale pas notamment que l’enfant reçoit son prénom lors de cette fête. Elle correspondrait ainsi, si l’on considère les séquences des rites de passage mises en évidence par Arnold Van Gennep, à la phase d’agrégation. Après la naissance et une période de « latence » de six jours, durant laquelle l’enfant est considéré comme inachevé et particulièrement vulnérable1, le

subû` consacre nominalement l’arrivée de l’enfant.2 D’après la description donnée par Marie-José Janicot3, le nouveau-né reçoit la veille ou au matin du septième jour son premier bain. L’eau du bain est conservée pour remplir ou mettre à tremper une cruche, une gargoulette (qulla) s’il s’agit d’une fille, et une aiguière, munie d’un bec, s’il s’agit d’un garçon. La cruche, décorée de fleurs, de rubans ou de bijoux, est posée près de l’enfant, ainsi que des bougies4, des fèves trempant dans de l’eau et un mélange de sel et de graines de sept variétés différentes (riz, blé, lentilles, haricot, maïs, fenugrec, lupin, cumin, etc.). Selon Marie-José Janicot, la poterie « sexuée » représente l’enfant. Les bougies, le sel, les graines et les fèves ont un rôle protecteur et propitiatoire. Après le bain, l’enfant est vêtu d’habits neufs. Une amulette composée de sept fèves trempées, d’une pincée du mélange de sel et de graines, d’un morceau de pain, d’une pièce de monnaie et du cordon ombilical, est fixée aux vêtements de l’enfant.5 Au cours de la cérémonie du subû`, la mère tenant son enfant dans ses bras enjambe à sept reprises un brasero. L’enfant est ensuite secoué dans un tamis, avec parfois un couteau, des ciseaux et les vêtements qu’il portait avant son bain tandis qu’une femme de l’assistance tape dans un mortier avec un pilon et que l’assemblée répète « écoute ce que dit ton père, écoute ce que dit ta mère ». Puis la mère enjambe trois fois le tamis. Enfin l’assemblée parcourt la maison en jetant des poignées du mélange de sel et de graines, en chantant, au rythme des battements du pilon dans le mortier, le chant consigné par AKmad Amîn. Des friandises ou un repas est ensuite offert aux invités. AKmad Amîn considère que le sel broyé dans un mortier est destiné à habituer l’enfant au bruit. Il est intéressant de constater que les personnes interrogées par Marie-José Janicot apportent le même type d’explication. Les coups dans le mortier et les balancements dans le tamis serviraient à accoutumer l’enfant au bruit et au mouvement. On peut cependant voir dans le tapage un moyen de faire fuir les mauvais esprits et dans le rite du tamis une purification symbolique de l’enfant.

1 Voir notamment JANICOT, M.-J., op. cit., pp. 82-84. De nombreuses sociétés considèrent que l’enfant durant ses premiers jours « n’est pas encore tout à fait humain, et [que] les forces et êtres surnaturels menacent de le

reprendre », BELMONT, Nicole, op. cit., p. 504.

2 Il est à noter que les quarante premiers jours de la naissance correspondent également à une période de transition et de confinement pour la mère et l’enfant qui s’achève avec les relevailles. On retrouve les étapes du septième et du quarantième jour dans le mariage et les rites funéraires.

3 JANICOT, M.-J., op. cit., pp. 84-99.

4 Dans l’article « Al-sham` », p. 252, AKmad Amîn indique qu’une bougie est placée au-dessus de la tête du nouveau-né. L’auteur peut faire référence à la cérémonie au subû` ou au fait que durant la première semaine, un nouveau-né n’était jamais laissé dans l’obscurité. Lors du subû`, le choix du prénom pouvait être déterminé par les bougies. Un prénom était alors attribué à chaque bougie, la dernière qui restait allumée correspondait au prénom de l’enfant.

5 Au terme d’un délai variable (sept ou quarante jours, cycle lunaire), cette amulette est jetée dans le Nil, dans une bijouterie pour assurer richesse à l’enfant ou dans la cour d’une école pour favoriser ses études. Dans un article paru dans le Bulletin de la Société de Géographie, entre 1929 et 1931 et intitulé « Notes sur quelques amulettes égyptiennes », Charles Bachatly évoque cette amulette, censée selon lui protéger l’enfant de la qarîna et du mauvais œil. Il voit dans la cérémonie du subû` des survivances de l’époque pharaonique. Les sept anges de l’enfant, que célébrerait cette fête, seraient une transformation des « sept Hathor » qui assistaient aux accouchements et fixaient le destin du nouveau-né, et la table sur laquelle sont placés du pain, du sel, des graines et des bougies serait une survivance de la table d’offrande. BACHATLY, Charles, « Notes sur quelques amulettes égyptiennes », Bulletin de la Société royale de Géographie d’Egypte, tome XVII, 1er fascicule, novembre 1929, pp. 49-60 et 3e fascicule, mars 1931, pp. 183-188. Sur la qarîna, voir Djinns, démons, `afârît-s et autres créatures surnaturelles.