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Vingt-cinq ans après la fondation du musée, la Société publia dans son Bulletin entre 1923 et 1924 le catalogue de ses collections réalisé par E. S. Thomas, The ethnographical

collection of the Royal Geographical Society Cairo. Catalogue of the ethnographical Museum3. L’inventaire et la réorganisation des collections ethnographiques du musée faisaient

1 BONOLA, F., « Le Musée de Géographie et d’Ethnographie de la Société », op. cit., p. 316.

2 Ibid., p. 316.

3 THOMAS, E. S., « The ethnographical collection of the Royal Geographical Society Cairo. Catalogue of the ethnographical Museum », BSRGE, XII, 1-2, 1923, pp. 1-36 (22 planches), BSRGE, XII, 3-4, 1924, pp. 157-185 (12 planches) et BSRGE, XIII, 1-2, 1924, pp. 5-71 (18 planches). Il fut également édité séparément : Société royale de Géographie d’Egypte, Catalogue of the Ethnographical Museum of the Royal Geographical Society of

Egypt by E. S. Thomas, Le Caire, Imprimerie de l’IFAO, 1924, 127 p. Le nom de E. S. Thomas n’apparaît pas sur les listes des membres de la Société. Celui-ci fut sans doute un collaborateur extérieur à la Société, engagé

partie du nouveau programme de travail de la Société, qui donnait priorité à la géographie et à l’ethnologie de la vallée du Nil.1 Les collections d’histoires naturelles furent supprimées. Le développement des collections devait se faire sur des bases scientifiques, à l’aide de questionnaires et d’instruction.

« Pour les objets à recueillir dans le plus bref délai, il sera particulièrement important

de dresser une liste d’urgence des objets qui, en Egypte même et au Soudan, existent encore sous nos yeux, mais sont malheureusement appelés à disparaître prochainement. Nous citons à titre d’indication non limitative :

1° les vêtements et leurs variétés soit locales soit de classes individuelles (classes d’âge, de sexe, sociales, professionnelles, etc.)

2° les habitations (modèles réduits)

(...) Des instructions et des recommandations seraient imprimées à l’usage des voyageurs ou

des correspondants de la Société, s’inspirant des méthodes modèles du musée belge de Tervueren. Elles préciseront les méthodes de collections des objets, ou de leur simple reproduction par le dessin ou par la photographie, les modes de préparation, conservation ou transport de certaines séries d’objets destinés au Musée, etc. »2

Les collections devaient être reclassées sur le modèle de la systématique naturaliste. Les objets étaient des spécimens ordonnés par classe (fonction), espèce (type d’activité) et variété (provenance géographique) : « Le classement rationnel des collections établi sur triple

référence et d’après des séries délimitées à l’avance est indispensable. Le classement par espèces et par variétés paraît préférable au classement topographique. »3

Les animateurs de la Société de Géographie font explicitement référence au système de classification de la muséologie ethnographique, tel qu’il s’élabora au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, avec la fondation des premiers musées de ce type en Europe. La collecte et la présentation des collections se voulaient méthodiques et se fondèrent pour cela sur les modèles que représentaient l’archéologie et les sciences naturelle. Les objets ethnographiques changèrent ainsi de statut : ils cessaient d’être des curiosités pour devenir des spécimens. C’est par le classement de leurs collections que les musées se distinguèrent des cabinets de curiosité où les objets, exposés pour leur beauté, leur rareté ou leur étrangeté, étaient simplement rangés selon leur provenance ou leur matière. En se dotant d’un système de classification, les musées ethnographiques affirmaient leur vocation scientifique et pédagogique. Par opposition aux œuvres d’art, aux pièces archéologiques et aux spécimens des sciences naturelles, l’objet ethnographique se définit par son utilité et sa fonction. L’usage permettait donc de distinguer les objets ethnographiques les uns des autres et de les classer. Ils étaient appréhendés comme des types au sein d’une série fonctionnelle, indépendamment de leur propre contexte social, de leur mode de fabrication et d’utilisation. Les principes de classification des collections ethnographiques s’inspirèrent de la systématique naturaliste. La première définition de la culture, proposée en 1871 par l’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor (1832-1917) dans son ouvrage Primitive culture, se réfère explicitement à ce

pour classer et inventorier les collections du musée. On ne trouve aucune informations à son sujet dans le

Bulletin. Le compte rendu des séances du 8 novembre 1918 indique que G. Foucart, dans le projet de remanier et d’établir le catalogue raisonné des collections du musée, proposa de confier ce travail à Wainwright, professeur à l’école Tewfikieh, BSSG, IX, 3-4, 1920, p. XV.

1 « La Société sultanieh de Géographie et son programme de travail », BSSG, IX, 3-4, 1920, pp. 1-16.

2 Ibid., pp. 10-11.

modèle : « Comme le catalogue de toutes les espèces de plantes et d’animaux d’une région

représente sa flore et sa faune, la liste de tous les items de la vie générale d’un peuple représente cette totalité que nous appelons sa culture. »1 Il apparaissait alors possible de diviser une culture en un certain nombre d’éléments, de les répartir selon des critères fonctionnels dans différentes « classes », telles l’alimentation, la religion, l’habitat, et de les étudier à l’instar des caractères physiques. La disposition des objets s’appuyait sur la nomenclature naturaliste et chaque fonction ou classe se subdivisait en ordre, genre et espèce. Dans les systèmes de classification les plus connus, conçus et débattus au cours du XIXe siècle, principalement ceux de Jomard2, Hamy3, Klemm4 et Mason5, les fonctions des objets étaient ordonnées selon une hiérarchie des besoins humains. Celle-ci se fondait, dans une perspective évolutionniste, sur l’ordre selon lequel ils se seraient développés, des plus élémentaires - se nourrir, se vêtir, s’abriter - aux plus élaborés -arts, sciences, religion. Une telle conception supposait d’une part l’universalité des besoins, inhérents à toute société et d’autre part l’unité de l’esprit humain : chaque culture répondait à ces besoins de la même manière et les s’exprimaient par des objets. Elle permettait d’exposer sur le même plan les productions des populations préhistoriques, des peuples dits primitifs et des couches populaires des sociétés européennes. Ainsi établi l’ordre du développement des sociétés, il était possible de les comparer et de les répartir selon leur degré d’avancement.

Le catalogue de 1923 propose un classement par type d’objet qui rompt avec le classement géographique adopté jusqu’alors. L’introduction de ce document décrit l’état d’abandon dans lequel étaient laissées les collections, pour notamment déplorer l’absence ou la disparition de l’étiquetage et le caractère incomplet et imprécis des anciens catalogues, n’indiquant ni la provenance ni la description des objets. Le nouveau catalogue du musée comprend quatre cent quatre-vingt une entrées correspondant à un numéro d’inventaire. Les collections du musée se composaient alors d’environ sept cent quarante pièces. Si le catalogue donne des descriptions précises concernant la morphologie et la matière des objets, il ne présente que de rares informations sur leur usage. Le classement adopté, loin d’être systématique, contrairement à ce qu’annonçait le programme de travail de la Société, est le suivant : instruments de musique, nourriture, vêtements, bijoux et parures, armures, ustensiles et meubles. Cette dernière catégorie se subdivise en vaisselle, récipients, vannerie, ustensiles divers, meubles, outils, ustensiles agricoles, loisirs, harnachement, sacs et boîtes, bâtons et massues, poignards, épées, couteaux et hachettes, boucliers, lances, piques, arcs, carquois, flèches, harpons, armes à feu, pièges, monnaies, religion et magie et divers. Des objets sont également répertoriés dans un supplément. Les armes sont prédominantes avec deux cent cinquante sept entrées (53,5 %), suivies par les ustensiles (cent neuf entrées, 22,5 %), les

1 DIAS, Nélia, Le Musée d’ethnographie du Trocadéro (1878-1908). Anthropologie et muséologie en France, Paris, Editions du CNRS, 1991, p. 156.

2 Edme-François Jomard (1777-1862), élève de l’Ecole polytechnique et ingénieur-géographe durant l’expédition d’Egypte, fut le conservateur du dépôt de géographie créé en 1828 à la Bibliothèque nationale. Il conçut en 1831 un projet de musée ethnographique et publia en 1862 un système de classification. Nélia Dias, op. cit., considère que Jomard et Von Siebold (1796-1866), qui travailla au musée de Leyde, inaugurèrent la muséologie ethnographique.

3 Ernest-Théodore Hamy (1842-1908) fut le premier conservateur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, ouvert en 1878, et chargé à ce titre d’organiser les collections. Son système de classification s’inspire de celui de Jomard.

4 Gustav Klemm (1802-1867), un anthropologue allemand, organisa ses collections (musée de Leipzig) selon les principes de Jomard.

5 Otis T. Mason (1838-1908) était le conservateur du département d’ethnologie du National Museum de Washington. Il s’appuya sur la classification de Klemm.

vêtements et les parures (cinquante entrées, 10,5 %) puis les instruments de musique et l’ameublement (vingt-cinq et vingt-quatre entrées soit 5 %). Les objets proviennent en majorité du Soudan avec deux cent vingt-trois entrées (46 %). Cinquante-trois entrées se rapportent à l’Egypte. Neuf d’entre elles sont relatives à des objets de l’époque pharaonique et quatorze concernent des pièces dont la provenance exacte est inconnue, soit l’Egypte soit Khartoum.

Les collections égyptiennes se composaient alors d’accessoires de toilette, soit un rasoir, un petit peigne en ébène et deux flacons à khôl en verre, d’un vêtement de femme en crêpe noir à longues manches, d’une collection de dix-sept bijoux (collier, bracelets, bracelets de cheville, boucles d’oreilles, anneaux de narine et bracelets d’enfant). Un ensemble d’ustensiles domestiques comprenait cinq récipients, une vingtaine de pièces de poteries d’Assiout (composé de deux plateaux avec tasses et soucoupes pour le thé et le café, un plateau avec un poivrier et deux récipients, deux encensoirs, quatre gobelets, trois grands vases, deux bouteilles à eau, deux bougeoirs, une théière et une pipe), deux bols en cuivre avec des décors en émaux cloisonnés, six pièces de vanneries (paniers et plateaux), un fuseau en terre cuite, quatre serrures en bois, un plumier en cuivre, deux narguilés, un chaperon de faucon en cuir, deux drapeaux en paille. S’y ajoutait une collection de huit jouets de Haute-Egypte, composée de deux petits chameaux en terre cuite, de deux petits maillets en bois, trois souris mécaniques en bois et un jouet mécanique en bois représentant deux hommes l’un en face de l’autre. Le catalogue mentionne également un chapelet, quatre petites croix en feuilles de palmier et une collection de quarante amulettes du Fayoum. Cet inventaire montre le caractère disparate et embryonnaire des collections égyptiennes en 1923.

Le musée devait constituer des séries comparatives avec des objets de l’Antiquité pharaonique : « Enfin, tous les soins devraient être apportés à établir des séries comparatives,

au moyen de bonnes reproductions ou, si possible même d’originaux, en plaçant, à côté des objets modernes de l’Egypte ou du Soudan égyptien, les objets similaires ou identiques provenant de la vieille Egypte pharaonique. »1 Le catalogue inventorie dix objets d’ancienne Egypte soit deux armes (un arc et des flèches), deux meubles (appuis-tête), trois paniers, deux paires de sandales et un fuseau. La comparaison des collections africaines contemporaines avec des objets de l’Antiquité égyptienne devait mettre en évidence l’influence de la civilisation pharaonique sur l’Afrique, considérée comme un « musée vivant ». Les collections égyptiennes étaient également abordées dans une telle perspective. C’est ainsi que dans le catalogue, une série de quarante amulettes du Fayoum est étudiée en comparaison avec l’époque pharaonique pour montrer que les mêmes objets sont utilisés depuis l’Antiquité. De même, l’intérêt d’une collection de huit jouets en bois et en terre cuite de Haute-Egypte vient de ce qu’ils apparaissent comme une imitation évidente d’objets de l’Egypte ancienne.