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Un statut patrimonial ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 66-70)

PREMIÈRE PARTIE

1. Un statut patrimonial ?

L’intégration d’un objet aux collections muséales est le plus souvent présentée comme une rupture avec le système d’échange des productions matérielles, marquée notamment par un changement de statut juridique qui rend l’objet inaliénable et imprescriptible34. La perte de

33 Mises à part les commandes faites à des artistes contemporains.

34 Le principe d’inaliénabilité a été réaffirmé en France en février 2008, suite au rapport commandé par le ministère de la Culture à Jacques Rigaud. Dans d’autres pays, notamment en Amérique du Nord et dans le reste de l’Europe, les objets de musée peuvent être aliénés et revenir sur le marché, mais dans des conditions très précises, quand les œuvres ou les objets sont considérés comme des « doublons » ou « non pertinents » (Rigaud, 2008 : 24-26). Jacques Rigaud explique toutefois que « l’aliénation d’œuvres appartenant aux collections publiques est actuellement possible, en théorie du moins. En effet, si la loi du 4 janvier 2002 déclare d’une façon générale ces collections inaliénables, elle a cependant prévu une procédure de déclassement qui permet […] de

la valeur marchande des objets censée se réaliser lors de cette rupture paraît toute relative dans la mesure où l’institution muséale est une des instances qui participe à légitimer les prix du marché et qu’elle s’alimente en partie, c’est le cas du musée du quai Branly35, c’était déjà le cas pour le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie à partir des années soixante36, au sein même de ce marché. Cela dit, le nivellement des objets devenus objets de musée est revendiqué par l’institution muséale, comme en témoignent les statuts de l’International Council of Museum (ICOM) qui donne une définition fédératrice du musée, et par conséquent de l’objet de musée. Selon les statuts de l’ICOM,

« le musée est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation » (statuts de l’ICOM, art. 3 § 1)37. Autrement dit, d’après Davallon, l’institution muséale est « toute institution qui présente le savoir scientifique en lui conférant le statut de patrimoine » (1999 : 113 note 89).

L’assignation par l’ICOM d’un statut commun aux objets de musée, en l’occurrence un statut patrimonial, nous incite à déplacer l’interrogation sur la fonction de l’objet de musée vers celle de l’objet de patrimoine. Poursuivant l’objectif d’étudier l’objet patrimonial dans sa double dimension de support de médiatisation et d’opérateur de médiation, Davallon décline les « caractéristiques sociopragmatiques qui font qu’un objet est reconnu comme faisant partie du patrimoine », que sont :

« (i) la construction du rapport au passé à partir du présent, (ii) le fait que les opérateurs de cette construction sont des objets possédant la caractéristique constitutive de venir réellement du passé et (iii) que les pratiques liées au patrimoine s’inscrivent dans une obligation de conserver les objets pour les transmettre » (2006 : 99).

cependant fait l’objet jusqu’ici d’aucune application pratique » (Rigaud, 2008 : 34). C’est pour cette raison d’ailleurs que la loi n’a pas été modifiée.

35 « La mission, après avis des commissions compétentes (en son sein et dans le cadre de la Direction des musées de France), a proposé et proposera l’acquisition d’œuvres d’art majeures qui se trouvent actuellement sur le marché de l’art international. » (Viatte, 2006 : 35.)

36 « Cette politique d’achats s’effectue auprès des meilleurs marchands de l’époque (Duperrier, Huguenin, Kamer, Lecorneur Roudillon, Nicaud, Rasmussen, Ratton, Simpson), à l’occasion d’interventions avec préemption de l’État dans les grandes ventes publiques (collections Paul Guillaume ; Lefèvre, 1965 ; Bédiat, 1966) et aussi, directement, dans des achats à des particuliers. » (Viatte, 2006 : 25.)

37 <http://icom.museum/definition_fr.html> (Dernière consultation le 30 avril 2010).

Ces caractéristiques constituent la modalité de construction d’un rapport au passé, ou, précise Davallon, à l’ailleurs dans le cas du patrimoine anthropologique, sans toutefois expliciter si ce dernier instaure un rapport du présent à l’ailleurs ou de l’ici à l’ailleurs ou encore du présent ici au passé ailleurs, en d’autres termes si la construction du rapport à l’ailleurs intègre la dimension temporelle et comment elle le fait (Ibid. : 100). Cette question est abordée plus longuement à propos de l’« objet exotique » dans un texte antérieur consacré à la question du devenir patrimonial des objets ethnologiques. Davallon y dit aussi que « l’objet exotique se trouve bien entre un nous (maintenant) et un monde d’origine (ailleurs) », mais pose en plus la question de l’établissement minimal d’une continuité entre nous et cet ailleurs (2002 : 182).

Il propose deux réponses :

« La première consiste à raisonner comme pour les cultures assimilées à la nôtre, à convertir, pourrait-on dire, la distance culturelle en distance historique et à faire comme si nous étions en présence d’une culture en continuité avec la nôtre mais simplement située à un stade très ancien » (2002 : 183),

ce qui correspond à la patrimonialisation de type archéologique, tandis que

« la seconde réponse choisit d’établir une continuité entre notre culture et la culture d’origine de ces objets en les installant au contraire toutes deux dans la contemporanéité. Il y a reconnaissance de l’autre culture pour ce qu’elle peut avoir de commun, non plus avec toute culture humaine en tout temps et en tout lieu, mais au présent avec notre culture. En ce cas, l’objet d’ethnologie peut être une trouvaille pour nous en ce qu’il sert de support au plaisir de découvrir d’autres pratiques, d’autres formes, d’autres expériences » (Ibid.).

Davallon explique que, dans tous les cas, c’est sur la reconnaissance d’un statut particulier de l’objet, en l’occurrence de son « statut patrimonial », que se fonde la décision d’extraire un objet de son contexte. Ce statut « correspond à la nécessité reconnue de le conserver, de le sauvegarder, en tant qu’il est représentant d’un monde auquel on ne saurait avoir accès sans lui » (1999 : 282 note 189). L’objet de patrimoine a donc pour fonction de représenter un monde auquel on l’associe, en sachant bien que « l’objet n’a pas été fait pour représenter son monde d’origine » (Ibid. : 217) et que c’est un « raisonnement » qui l’y amène.

Ce raisonnement qui conduit à reconnaître à l’objet le statut de patrimoine, Davallon le qualifie de processus de « patrimonialisation » et le caractérise comme « une boucle qui remonte vers le passé pour établir le statut patrimonial de l’objet » (2006 : 120). Selon lui, les

gestes de patrimonialisation commencent avec « la découverte d’un objet venu d’un univers avec lequel nous n’avons plus [ou pas ?] de lien » (Ibid. : 119). En référence à Eco, il désigne l’objet ainsi découvert du nom de « trouvaille » en précisant que « découvrir l’objet ne signifie pas obligatoirement que l’on en ignorait l’existence » et que l’objet doit en outre posséder une valeur suffisante, une valeur symbolique « en relation directe avec la rareté des objets venus de son monde d’origine » (Ibid. : 121). Davallon explique ainsi que

« tenir un objet pour une trouvaille n’implique pas de [le] découvrir en tant qu’objet disparu, mais de [le] voir sous un jour nouveau, comme on ne l’avait encore jamais [vu] à l’instant où le monde auquel [il] appartient risque de disparaître totalement avec [lui] » (Ibid.).

La découverte seule ne permet pas de donner à l’objet la fonction de représenter son passé,

« la décision de lui reconnaître ce statut dépend d’un certain nombre de critères institutionnels et scientifiques ; institutionnels parce que scientifiques » (Ibid.). Il est notamment

« indispensable (i) d’établir son origine, c’est-à-dire de certifier qu’il vient bien du monde duquel il semble venir, et (ii) d’établir l’existence de ce monde d’origine ». Ces deux gestes permettront d’authentifier la dimension patrimoniale de l’objet. « Tout le statut symbolique de l’objet de patrimoine repose sur ces opérations » (Ibid. : 122).

Si ce qui réunit effectivement les objets de musée c’est cette représentation d’un monde auquel ils sont liés et, conséquemment, de se voir assigner un statut patrimonial, il nous paraît indispensable de confronter les objets extra-occidentaux présents dans les collections muséales à cette proposition ainsi qu’au processus de patrimonialisation. Davallon, prenant l’exemple des écomusées, reconnaît que la forme que prennent les gestes de patrimonialisation peut varier en fonction du patrimoine considéré (Ibid. : 134-136). Quels sont les éléments déterminants dans le processus de reconnaissance du statut patrimonial des objets extra-occidentaux ? Et d’abord, est-ce ce statut qui leur est assigné ? Est-il concevable de remplacer la dimension temporelle, ce rapport au passé si fondamental dans le processus décrit par Davallon, par le rapport à l’ailleurs dans la reconnaissance du statut patrimonial des objets extra-occidentaux ? Davallon, nous l’avons déjà souligné, évoque cette possibilité (Ibid. : 100). Il parle aussi de l’importance des critères scientifiques dans l’assignation du statut patrimonial des objets. Qu’en est-il pour les collections extra-occidentales ?

2. Le rapport au savoir des collections extra-occidentales depuis le XVIe siècle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 66-70)