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Les marqueurs de statut : les composants de l’exposition

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 101-104)

PREMIÈRE PARTIE

5. Les marqueurs de statut : les composants de l’exposition

Il est maintenant clair que, pour rendre compte du statut des objets extra-occidentaux sur le plateau des collections, il ne suffit pas d’interroger les caractéristiques intrinsèques, au sens de Searle, des objets. Face à un statut assigné de l’extérieur, comme c’est toujours le cas pour les fonctions-statuts, il faut aussi déterminer le contexte pertinent, ici celui de l’exposition du plateau des collections, et enfin les marqueurs de l’assignation dans ce contexte. Comme l’explique Searle :

« Aucun mot n’est logiquement nécessaire du tout pour traiter et utiliser un objet comme un tournevis parce que son aptitude à fonctionner ainsi relève de sa structure physique brute. En revanche, dans le cas des fonctions-statuts, il n’y a pas de caractéristique structurelle de l’élément X qui soit par elle-même suffisante pour déterminer la fonction Y. Physiquement, X et Y sont exactement la même chose. La seule différence est que nous avons imposé un statut à l’élément X, et que ce nouveau statut a besoin de marqueurs, parce que, empiriquement parlant, il n’y a ici rien d’autre. » (Searle, 1998 (1995) : 96.)

Dans le contexte de l’exposition où « l’objet prend sens de sa combinaison avec le reste de l’exposition » et où « n’étant plus objet appartenant au monde de la pratique, il est dorénavant objet d’un monde de langage » (Davallon, 1999 : 167), identifier les marqueurs de statut revient à porter son attention sur les composants du dispositif médiatique mis en place autour des objets. Notons que ces marqueurs du statut d’objet de musée ont déjà été identifiés par ailleurs, parfois jusqu’à la caricature. Dans sa tentative de construire une catégorie réunissant les objets visibles investis de signification, les sémiophores, Pomian a décrit certains des principaux indicateurs de cet investissement de signification pour ce qu’il nomme la sous-catégorie des « expôts ». Ce sont notamment

« le décor de l’édifice ou de l’intérieur où l’objet se trouve, du meuble dans lequel on le montre, du cadre qui l’entoure ou du socle sur lequel il repose », mais aussi « des commentaires oraux ou écrits qui lui sont consacrés » et enfin « la protection qui l’entoure » (Pomian, 1997 : 89).

Klinkenberg décrit ces marqueurs comme des « index » qui ont « pour effet de donner le statut de signe à l’objet désigné. L’étiquette, le piédestal, le faisceau du projecteur, dans un musée, transforment l’objet indexé en œuvre d’art » (Klinkenberg, 2000 : 211). Ce sont des

« déclencheurs de la décision sémiotique » qui « fonctionnent sur la base de règles culturelles complexes » (Ibid. : 214). Ces indicateurs du statut d’objet de musée sont amenés à varier en fonction du contexte et notamment du type de musée, de composants, d’objets exposés. C’est ce qui permet à Rivière de stigmatiser la mise en exposition artistique des objets extra-occidentaux en imaginant, en 1930, ce que pourrait donner leur exposition au musée du Louvre :

« Sur des socles de bois d’amarante, en un isolement splendide, se prêtant coquettement aux éclairages les plus raffinés, soigneusement épilés, ébarbés, dénudés et astiqués se dresseraient les chefs-d’œuvre de l’art pahouin, polynésien et aztèque (pour ne citer que les plus en vogue). » (Rivière, 2003 (1930) : 67.)

Les marqueurs ont finalement deux rôles, comme l’explique Davallon à propos de ce qu’il nomme de son côté les « outils d’exposition » – qui comportent notamment les socles, les panneaux, les cloisons, voire la structure de l’exposition. « Ils fonctionnent comme des éléments du code de reconnaissance du genre “exposition”. Mais ils sont plus que cela […].

Ces objets-outils m’indiquent, de ce fait, comment je dois interpréter ce rassemblement » (1999 : 168). Ainsi, les marqueurs permettent de reconnaître l’exposition en tant que telle mais aussi d’interpréter le discours de l’exposition. Précisons, enfin, que les objets-outils ne sont pas les seuls à participer au fonctionnement de l’exposition et à l’assignation du statut des objets. Les objets eux-mêmes, lorsqu’on prend en compte leur relation les uns avec les autres, sont des marqueurs de statut. Si l’on considère un objet exposé, « son statut et sa signification seront [aussi] définis par les rapports qu’il entretiendra avec les autres objets de l’exposition » (Ibid. : 168).

Les objets exposés, qui subissent une transformation de statut symbolique tout en restant des objets, constituent donc l’une des catégories de composants de l’exposition. Les composants sont désignés au pluriel car l’exposition se caractérise par son hétérogénéité. Certains d’entre

eux sont structurels, en d’autres termes indispensables pour qu’une exposition fonctionne comme une exposition, et d’autres conjoncturels, liés aux choix muséographiques des concepteurs et au contexte. Ici, il ne s’agit pas de décliner l’ensemble des composants possibles de l’exposition mais seulement ceux repérés sur le plateau des collections. Ainsi, après la catégorie des objets vient celle de l’espace qui, parce que « la simple “disposition”

des choses dans l’espace oriente le visiteur tant d’un point de vue pratique [...] que conceptuel » (Ibid. : 36) confère également une signification à ce qui est représenté. Aux objets et à l’espace on peut ajouter les composants écrits, ou plutôt le « scriptovisuel », puisqu’il n’est pas rare que le texte soit associé à des éléments iconographiques – dessins, cartes, photographies, schéma, etc. (Jacobi, 1989 : 131). Enfin, une dernière catégorie de composants est présente sur le plateau des collections, il s’agit de l’audiovisuel, distingué du scriptovisuel en raison de ses spécificités médiatiques et techniques.

Ce sont d’ailleurs, de manière générale, les spécificités médiatiques de ces quatre catégories de composants qui président à leur distinction. « L’exposition est un enchevêtrement de médias » souligne Davallon (1999 : 75). Dans cette optique, nous appellerons dorénavant ces

« registres sémiotiques conservant leur propre support matériel » les « registres médiatiques » de l’exposition (Ibid. : 200).

Dans ses recherches portant sur la présence du texte au musée, Marie-Sylvie Poli a déjà appliqué ce découpage de l’exposition en termes de registre. Elle envisage l’exposition comme

« un système plurisémiotique dans lequel trois registres fonctionnent en interaction dynamique : le registre des objets, le registre de la mise en espace, le registre du langage verbal » (2002 : 19).

Si nous partageons avec Poli le même objectif de distinction des composants de l’exposition, il nous faut signaler que, dans le cas du plateau des collections, le registre de l’audiovisuel s’ajoute aux registres cités. Par ailleurs, la terminologie employée ne convient pas toujours à notre posture. Là où Poli parle de « mise en espace », nous souhaitons rendre compte plus spécifiquement de l’espace. Le problème de la dénomination choisie par Poli vient de ce que l’on trouve déjà dans l’expression « mise en espace » l’idée d’une élaboration, d’une opération, qui va au-delà de ce qu’est censée qualifier la notion de registre. Elle intègre déjà l’interaction des registres. Elle anticipe la construction, dans l’espace et par la mise en espace, d’une unité d’exposition ou d’une exposition, alors que nous cherchons à considérer l’espace

d’abord comme support de disposition spatiale. De son côté, la dénomination « registre du langage verbal » est abandonnée au profit du registre scriptovisuel, témoignant d’une conception plus large de la nature du message écrit « qui n’est pas seulement linguistique et textuelle mais aussi iconique et graphique » (Jacobi, 1989 : 131). Cette approche laisse également une large place à la relation entre l’écrit et l’« image du texte », autrement dit entre l’écriture et sa dimension graphique et visuelle (Souchier, 1998 : 138) en précisant que Poli considère aussi, pour les textes qu’elle qualifie d’informatifs, l’importance de prendre en compte la « matérialité », la « structuration » et la « plasticité » des textes d’exposition dans leur description (Poli, 2002 : 69).

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