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Le musée du quai Branly : une entreprise de patrimonialisation ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 82-85)

PREMIÈRE PARTIE

4. Le musée du quai Branly : une entreprise de patrimonialisation ?

Le musée du quai Branly est devenu le détenteur des collections extra-occidentales nationales, et dans le même temps l’institution légitime dans l’assignation d’un statut des objets. Ce nouvel établissement muséal semble avoir été créé pour tenter de favoriser l’émergence d’un autre statut des objets muséaux extra-occidentaux, différent du statut d’objet de musée. S’agit-il pour autant de leur assigner un statut patrimonial ?

4.1 Le moment de la rupture

Considérons d’abord le moment de la rupture. À l’initiative du pouvoir politique, elle repose en grande partie sur la délégitimation des agents reconnus jusque-là, institutionnellement et scientifiquement, comme les agents porteurs du savoir sur les objets : les anthropologues. L’argument n’est pas nouveau : le musée de l’Homme dépérit (Dias, 2007 : 78), comme, en son temps, le musée d’Ethnographie du Trocadéro (Dubuc, 1998 : 75), tandis que les anthropologues se désintéressent des collections (Jamin, 1998). La rupture avec ce savoir n’émane donc pas de la communauté scientifique concernée, même si anthropologues et ethnologues avaient entamé une démarche critique vis-à-vis de leur discipline (Affergan, 1997 ; Bensa, 2006). Ceux-ci sont écartés à travers le déplacement des

44 Rappelons ici qu’une grande partie des collections aujourd’hui conservées au musée du quai Branly a été

collections du musée de l’Homme, mais aussi par l’intégration tardive d’un directeur scientifique anthropologue à la Mission de préfiguration et l’abandon de certaines pratiques comme la collecte de terrain :

« Nos choix devaient être parfaitement préparés et justifiés, ce qui supposait en particulier une réflexion très prudente sur les conséquences d’accumulations de collections inégales en qualité résultant de la pratique, traditionnelle dans les musées ethnographiques, de collectes effectuées sur le “terrain” par des chercheurs. Il nous apparut donc préférable de suspendre cette pratique devenue aujourd’hui assez rare. » (Viatte, 2006 : 9.)

Enfin, la croyance selon laquelle anthropologues et ethnologues n’étaient pas ouverts à l’étude formelle des objets est entretenue, et des travaux comme ceux de Louis Perrois, cherchant à reconstituer les écoles stylistiques des statues Fang, ne sont pas évoqués (1989).

Le MAAO, quant à lui, n’a pas démérité, il a même mis en place depuis le début des années quatre-vingt-dix de véritables politiques d’acquisition et d’exposition (Taffin, 2002 : 217-218), mais ses locaux ne peuvent se départir des stigmates de la colonisation. La rupture est donc, on le voit, volontaire et orchestrée. Elle n’est pas, à première vue, telle que la décrit Davallon, la « disparition de l’objet et/ou de son contexte » (2006 : 122), mais à première vue seulement.

4.2 Le moment de la découverte de l’objet comme « trouvaille »

Chacun, au fil du temps, s’est appliqué à rendre compte de l’état de désuétude dans lequel il a retrouvé les collections qui lui étaient confiées. Jean Jamin évoque ainsi la

« tendance qu’ont eue Rivet et Rivière de laisser leurs prédécesseurs dans l’ombre et de noircir – à des fins “politiques”, non sans opportunisme – le passé du musée d’Ethnographie du Trocadéro, “magasin de bric-à-brac”45, disent-ils, quand ils s’installent en 1929 » (Jamin, 1985 : 55).

Germain Viatte, directeur de la Mission de préfiguration puis du musée du quai Branly, ne déroge pas à cette règle. Il explique ainsi

45 En employant l’expression « bric-à-brac », Jamin fait en réalité référence à un article de Rivet et Rivière cité par Laurière dans son article intitulé « Georges Henri Rivière au Trocadéro : du magasin de bric-à-brac à la sécheresse de l’étiquette » (2003 : 63). L’article en question a paru en 1931 dans le premier numéro du Bulletin du musée d’Ethnographie du Trocadéro intitulé « La réorganisation du musée d’Ethnographie du Trocadéro » (Rivet & Rivière, 1931).

qu’« environ dix mille objets seulement avaient été photographiés au musée de l’Homme sur une masse que les estimations transmises par le musée évaluaient à quelque cinq cent mille pièces, le dénombrement exact s’avérant impossible à cause de la dispersion des sources documentaires et de l’absence de localisation précise des objets dans les réserves. Au musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie46, la situation était plus claire malgré une certaine incohérence des inventaires et la déshérence dans laquelle se trouvaient encore les collections du “fonds historique”

regroupant, autour de fonds constitués pour le musée des Colonies et celui de la France d’Outre-mer qui lui fit suite tout ce qui concernait “l’art colonial” » (2006 : 34).

L’état dans lequel les membres de la Mission de préfiguration du musée du quai Branly trouvent les collections « pour beaucoup d’entre elles, depuis longtemps enfouies et oubliées » (Ibid.), justifie alors la mise en place de ce qui sera appelé le « chantier des collections », le terme « chantier » évoquant à la fois l’ampleur de l’entreprise et l’expression employée en archéologie pour qualifier les fouilles réalisées sur le terrain. À travers ce chantier des collections, il s’agit :

D’« évaluer leur contenu sur les plans qualitatif et quantitatif, de réaliser la couverture photographique des fonds et d’entreprendre leur informatisation, d’engager les opérations élémentaires de conservation préventive (en traitant au préalable par anoxie tout forme d’infestation) et de prévoir un atelier de restauration d’urgence. » (Viatte, 2006 : 34.)

C’est finalement la découverte de l’objet comme « trouvaille », au contact direct des objets, qui est réalisée, ou du moins mise en scène.

Que cette découverte ait lieu au sein même des collections muséales, ce qui signifie qu’elle touche des objets de musée déjà soumis à l’obligation de garder, va dans le sens de la reconnaissance du monde d’origine muséal des objets, qui doit néanmoins être associée à la propriété de l’objet de renvoyer, de façon indicielle, à son monde d’origine ailleurs pour permettre d’interpréter ces objets comme nos objets de patrimoine. C’est la reconnaissance du monde d’origine muséal qui a permis que le crâne de cristal conservé dans les collections du musée du quai Branly, reconnu comme un faux « taillé avec des outils européens dans un

cristal brésilien » (Le Fur (dir.), 2006 : 259)47 après avoir longtemps été considéré comme un chef-d’œuvre de l’art aztèque, devienne non pas le témoin du monde d’origine qui lui a longtemps été attribué mais le témoin d’un goût et d’une fascination des Occidentaux au XIXe

siècle. Isolé, chacun des deux mondes d’origine ne nous permet pas d’assigner ce statut patrimonial à un objet.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 82-85)