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La signification de l’objet quotidien

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 61-66)

PREMIÈRE PARTIE

3. La signification de l’objet quotidien

Si le concept de sémiophore traduit davantage une posture adoptée vis-à-vis de l’objet et de sa signification qu’un véritable état de l’objet, Pomian permet toutefois de mettre l’accent sur un processus négligé par l’approche structurale, l’évolution des usages et des significations de l’objet dans le temps. Un autre élément le distingue de cette approche, c’est cette construction d’une catégorie d’objets dont la fonction principale est de signifier au milieu des objets qui signifient seulement de manière secondaire, alors que pour Barthes « la fonction [des objets] supporte toujours un sens » (2002 (1964) : 826). Selon lui,

« ces objets qui ont toujours, en principe, une fonction, une utilité, un usage, nous croyons les vivres comme des instruments purs, alors qu’en réalité ils véhiculent d’autres choses, ils sont aussi autre chose : ils véhiculent du sens » (Ibid. : 819).

Barthes insiste d’ailleurs sur la capacité de l’objet à signifier et pas seulement à communiquer :

« Signifier, cela veut dire que les objets ne véhiculent pas seulement des informations, auquel cas ils communiqueraient, mais constituent aussi des systèmes structurés de signes » (Ibid. : 818), avec la spécificité que « l’objet paraît toujours fonctionnel, au moment même où nous le lisons comme un signe. » (Ibid. : 826.)

Le projet de Baudrillard rejoint l’approche sémiologique barthésienne dans le fait de ne pas se concentrer sur la fonction « primaire » (1968 : 90) de l’objet mais plutôt sur sa capacité à

dépasser cette fonction. Certes, Baudrillard parle de systèmes fonctionnel et non-fonctionnel des objets, mais il faut préciser que pour lui le terme

« “fonctionnel” ne qualifie nullement ce qui est adapté à un but, mais ce qui est adapté à un ordre ou à un système : la fonctionnalité est la faculté de s’intégrer à un ensemble » (1968 : 89).

Rien à voir, donc, avec ce qu’il nomme la fonction primaire de l’objet. De son côté, Moles considère l’objet comme « vecteur de communication » (1969 : 2). Selon lui, « l’existence même de l’objet est […] un message d’un individu à un autre » (Ibid.). De toutes, cette approche est probablement celle qui est la plus proche du système du langage auquel elle renvoie. On constate, enfin, que la critique idéologique est présente dans l’ensemble de ces travaux. D’ailleurs, pour Baudrillard, « la description du système des objets ne va pas sans une critique de l’idéologie pratique du système » (1968 : 17).

Comme Pomian, Semprini propose une alternative à l’approche structuraliste des objets, mais à la différence de Pomian il s’intéresse seulement aux objets quotidiens en sachant que, pour lui,

« ce ne sont pas des caractéristiques intrinsèques qui déterminent la nature quotidienne d’un objet, mais plutôt le fait qu’ils soient inscrits et associés à des pratiques de vie quotidienne » (1995 : 16).

Semprini considère donc que

« la “signification” d’un objet ne peut […] être étudiée qu’en tenant compte du caractère constitutif de la dimension sociale de sa production. Ce n’est que dans sa prise en charge dans des cours d’action spécifiques par des acteurs dans des situations routinières de la vie de tous les jours, que la “signification” d’un objet émerge » (Ibid. : 23).

Il va jusqu’à considérer l’objet comme un opérateur socio-sémiotique qui ne se limite pas

« à meubler et à sémantiser le monde et la réalité sociale, il effectue aussi des opérations sur cette dernière. Le contexte ne préexiste pas à l’objet, il se définit parallèlement à l’émergence de celui-ci » (Ibid. : 146).

Finalement, Semprini place au centre de sa théorie le rôle social des objets, l’objet agissant sur la vie sociale au moins autant que l’inverse. Là encore, on retrouve des points d’achoppement avec la règle constitutive de Searle, déjà dans l’idée que la fonction de l’objet

ne lui est pas intrinsèque, mais surtout dans la prise en compte de l’inscription de l’objet dans la réalité sociale, à la fois dans des pratiques d’acteurs et dans un contexte interdépendant de la fonction de l’objet.

Cependant, bien que Semprini cherche à se détacher de l’analyse structurale des objets, il rejoint Barthes sur au moins un point. Pour lui, l’acte d’interprétation est inscrit dans l’objet, mais aussi dans les pratiques de réception de cet objet, les pratiques désignant « l’ensemble d’opérations effectuées par les acteurs sociaux vis-à-vis de l’objet-discours à interpréter » (Ibid. : 186). C’est cette seconde affirmation qui retient notre attention ici. Elle fait référence à Umberto Eco (1979) qui, à propos du texte,

« pose l’acte de lecture non pas comme simple interprétation du texte, qui resterait ainsi externe à son lecteur, mais comme acte authentiquement constitutif de l’interprétation » (Semprini, 1995 : 185).

Avant lui, Barthes disait déjà, à propos de l’objet, que

« les signifiés des objets dépendent beaucoup non pas de l’émetteur du message, mais du récepteur, à-dire du lecteur de l’objet. En effet, l’objet est polysémique, c’est-à-dire qu’il s’offre facilement à plusieurs lectures de sens : devant un objet il y a presque toujours plusieurs lectures qui sont possibles, et cela non seulement d’un lecteur à un autre, mais aussi, quelquefois, à l’intérieur d’un même lecteur » (Barthes, 2002 (1964) : 825).

Dans les deux cas, les auteurs semblent maintenir au second plan l’influence du contexte sur l’interprétation de l’objet, tandis qu’Eco tient compte de l’influence d’une partie du contexte seulement, celle qu’il nomme les « circonstances d’énonciations » (1985 (1979) : 92-93). Eco explique que le lecteur peut, dans l’interprétation d’un texte, faire référence aux circonstances d’énonciation pour

« actualiser implicitement, au niveau du contenu, une métaproposition du type “Ici il y a (il y avait) un individu humain qui a énoncé le texte que je suis en train de lire en ce moment et qui demande (ou ne demande pas) que j’assume qu’il est en train de parler du monde de notre expérience commune” » (Ibid. : 93),

ou pour essayer de « reconstruire la localisation spatio-temporelle originaire » du texte écrit (Ibid.).

L’influence de la matérialité du texte sur son interprétation reste donc en marge. Depuis, Emmanuël Souchier a montré, à travers le concept d’énonciation éditoriale, la relation étroite qu’entretiennent le texte et l’« image du texte » et invite à considérer

« le texte à travers sa matérialité (couverture, format, papier…), sa mise en page, sa typographie ou son illustration, ses marques éditoriales variées (auteur, titre ou éditeur), sans parler des marques légales et marchandes (ISBN, prix ou copyright)…, bref à travers tous ces éléments observables qui, non contents d’accompagner le texte, le font exister » (Souchier, 1998 : 139).

Conclusion du deuxième chapitre

Le processus d’assignation du statut de l’objet décrit par Searle permet de comprendre pourquoi et comment un objet matériel peut supporter une fonction de signification, une fonction-statut, et comment cette fonction-statut peut changer ou être multiple. Ce processus repose sur le principe selon lequel la signification de l’objet ne lui est pas intrinsèque mais lui est imposée de l’extérieur. Le contexte, c’est-à-dire à la fois les agents décideurs, les agents de la communauté et les marqueurs du statut, devient alors déterminant dans cette assignation.

Si on les rapproche du processus décrit par Searle, les recherches dédiées à la signification de l’objet ne considèrent souvent qu’une partie du contexte, en mettant en avant soit le rôle des agents décideurs, soit celui des agents de la communauté, soit celui des marqueurs dans l’assignation du statut des objets, autrement dit dans l’imposition d’une fonction de signification. Le processus décrit par Searle constitue donc le meilleur moyen pour décrire et comprendre l’imposition d’une fonction de signification – et donc l’assignation d’un statut – à un objet, l’objet conservé au musée faisant partie des objets soumis au processus d’assignation du statut qui ont exclusivement pour fonction de signifier. Pour interroger le statut de l’objet extra-occidental, et dans la mesure où reconnaître qu’un objet a pour fonction de signifier ne suffit pas à interpréter le statut qui lui est imposé, nous allons donc analyser les différents contextes dans lesquels les objets extra-occidentaux ont eu pour fonction de signifier dans le monde occidental jusqu’à aujourd’hui.

CHAPITRE 3

LES OBJETS DE MUSÉE CONSERVÉS PAR LE MUSÉE DU QUAI BRANLY SONT-ILS DES OBJETS DE PATRIMOINE ?

Il est désormais clair que nous reconnaissons à l’ensemble des objets, au sens le plus large du terme, c’est-à-dire en tant qu’« élément du monde extérieur fabriqué par l’homme » (Moles, 1969 : 5), la propriété de signifier. Nous voudrions maintenant attirer l’attention sur ceux conservés dans les musées. Ils occupent une place à part parmi les objets dans la mesure où ils ne naissent pas objets de musée, ils n’ont pas été fabriqués comme tels33 : ils le deviennent. Comme le souligne Davallon « les objets sont ou deviennent “objets de musée”

parce qu’il en est décidé ainsi à un moment ou à un autre par une instance ou une personne fondée à le faire. […] Les objets de musée sont des objets de musée parce que reconnus définis, traités comme tels » (1999 : 234). Autrement dit, un objet devient un objet de musée parce que les agents légitimes lui imposent ce statut selon certaines modalités, ce statut étant reconnu collectivement. Cela signifie que tout objet est susceptible, a priori, de devenir un objet de musée, à condition que l’intentionnalité des agents, en l’occurrence de l’institution muséale, qui, selon Davallon « “dit” ce que sont les objets » (Ibid. : 235), aille dans ce sens.

On peut alors s’interroger sur les conditions et les effets de cette déclaration, de cette assignation du statut d’objet de musée et sur ce qu’elle modifie de la fonction de l’objet.

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