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Le contexte pertinent : l’exposition permanente

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 93-96)

PREMIÈRE PARTIE

1. Le contexte pertinent : l’exposition permanente

Le musée du quai Branly rassemble désormais l’ensemble des collections nationales d’objets extra-occidentaux. À ce titre, il constitue un contexte pertinent. Cependant, il ne peut être question de considérer l’ensemble des activités du musée du quai Branly qui sont extrêmement nombreuses et diversifiées. Dans la mesure où nous interrogeons le statut des objets, il paraît judicieux de prendre en compte un dispositif au sein duquel les objets sont présents. Toutefois, ce critère permet de considérer encore plusieurs aspects de l’activité du musée liée aux objets : les réserves, les expositions temporaires et l’exposition permanente.

Les premières sont exclues ici car elles sont accessibles à un nombre d’agents restreint et, de ce fait, ne peuvent participer à l’assignation collective du statut des objets. On pourrait objecter que le musée est doté d’un dispositif appelé la « tour des instruments de musique » qui rend visible aux visiteurs la collection d’instruments de musique. Mais nous considérons cette réserve muséographiée et partiellement visible, disposée dans une tour de verre qui traverse le musée de haut en bas, comme un véritable dispositif d’exposition, puisque

« l’objectif visé par la disposition architecturale de cette réserve et par le système de classement adopté est de présenter une vue d’ensemble des principaux types instrumentaux connus et joués sur chacun des quatre continents, des matériaux privilégiés pour leur construction, de la diversité des formes et des couleurs, mais

aussi du travail que représentent, pour l’ethnomusicologue et le muséologue, la gestion et la conservation d’une telle collection » (Leclair, 2007 : 33).

Par ailleurs, si la reconstitution des parcours d’objets extra-occidentaux dans les collections, ponctués par les changements institutionnels et les expositions, illustre l’évolution de notre rapport aux collections extra-occidentales, comme on a pu le montrer avec les travaux de Jacomijn-Snoep (2005) ou Murphy (2009), elle révèle aussi que le même objet peut se voir assigner des statuts forts différents en fonction du contexte muséographique auquel il est intégré et que l’exposition est à la fois le lieu physique et le témoin, comme le montrent les archives, de ces assignations successives. Reste encore à déterminer la forme d’exposition la plus favorable à l’étude du statut des objets au musée du quai Branly.

Les expositions temporaires sont ici écartées, principalement parce que leur vocation est de présenter chacune une partie des collections sous un aspect précis, ce qui ne permet pas de rendre compte d’un statut de l’objet extra-occidental dans toutes ses dimensions, mais aussi parce que de nombreuses expositions temporaires sont des coproductions. Associées à la variété et au nombre des expositions réalisées entre juin 2006 et juin 2011, plus de quarante48, ces caractéristiques nous invitent à ne pas considérer l’approche du statut de l’objet muséal extra-occidental par le biais de l’exposition temporaire.

Reste enfin l’exposition permanente. Le musée du quai Branly emploie parfois cette expression pour qualifier son dispositif d’exposition le plus pérenne, mais il est principalement désigné comme le « plateau des collections ». Même si celui-ci a déjà connu des changements depuis son inauguration en 200649, le plateau constitue bien ce qu’il y a de plus permanent au musée en matière d’exposition, avec la tour des instruments de musique.

En outre, après l’ouverture du musée, la controverse soulevé par le projet n’a plus porté sur la forme institutionnelle choisie ni sur son parti pris interdisciplinaire ni même sur son programme d’expositions temporaires. Mis à part les réactions suscitées par le bâtiment conçu par Jean Nouvel, une grande partie des remarques s’est concentrée sur le plateau des collections, signifiant ainsi que le discours que porte le musée sur ses collections à travers la muséographie permanente reste à interroger. C’est ce que s’emploie à faire Bernard Formoso qui écrit, dans la revue Ethnologie française :

48 La liste des expositions passées est accessible en ligne sur le site Internet du musée du quai Branly :

<www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/expositions-passees.html> (Dernière consultation le 14 juin 2010).

49 Certaines vitrines ont déjà fait l’objet de changements depuis l’ouverture en 2006, dans le souci de préserver des objets fragiles, comme les textiles, mais aussi manifestement dans le souci de modifier des choix, notamment

« Le contre-esthétisme qui animait la démarche de Paul Rivet, de Michel Leiris, ou de Marcel Mauss et qui a un temps dominé le concept de collection ethnographique est désormais sacrifié sur l’autel du mystérieux spectaculaire et de la beauté impénétrable qui valent comme marques d’exception et donc comme arguments commerciaux.

Autrement dit, la forme est privilégiée au détriment de la fonction et donc du sens. La politique muséale du musée du quai Branly consacre cette tendance […] » (Formoso, 2008 : 672),

tandis qu’André Desvallées dédie un ouvrage entier, sur le mode du pamphlet, à la politique muséographique du musée (Desvallées, 2008) que Sally Price critique « amicalement » la muséographie à l’ouverture du musée (Price, 2007 : 180) et que, invitant les historiens dans le débat, Catherine Coquery-Vidovitch regrette « l’absence de référence historique » sur le plateau des collections (2008 : 126)50. Le numéro 147 de la revue Le Débat, auquel nous avons déjà fait référence, réunit lui aussi des contributions – plus contrastées – à propos du plateau des collections. Nous pensons notamment aux articles de Carmen Bernand (2007) et de Susan Vogel qui critiquent le plateau des collections et, en même temps, reconnaissent et cherchent à comprendre son succès auprès du public. Susan Vogel déclare notamment à son propos :

« En un mot, je déplore le message que délivre le quai Branly mais, dans le même temps, je loue l’approche du musée, que je trouve brillante, particulièrement pour les visiteurs non traditionnels […]. » (Vogel, 2007 : 191.)

Dans ce même numéro Stéphane Martin, répondant à un entretien, explique

qu’« il faut une fois pour toutes distinguer le terme “musée” du terme “plateau de référence”51. Pour [lui], le musée c’est l’institution, c’est-à-dire des espaces très différents […] et un projet culturel que le plateau ne reflète que partiellement » (Martin, 2007 : 18).

Poursuivant dans ce sens, Anne-Christine Taylor, directrice du département de la recherche et de l’enseignement du musée, précise de son côté que

50 Si le débat a surtout tourné autour des anthropologues, les historiens, eux aussi, défendent leur légitimité à porter un propos sur les collections du musée du quai Branly, comme Catherine Coquery-Vidovitch dans l’ouvrage collectif publié en réaction au discours de Dakar prononcé par le président Nicolas Sarkozy en 2007 :

« Dès l’abord, on est surpris de l’absence de référence historique : aucun des concepteurs n’avaient apparemment connaissance de l’histoire renouvelée de ces aires par les travaux des deux ou trois dernière décennies [...]. Il ne s’agit en aucune façon de revendiquer un “musée d’histoire”, mais tout bonnement d’éviter clichés et bévues » (2008 : 126).

51 Plus souvent appelé le « plateau des collections ».

« la partie désignée par le terme “plateau des collections” – ne constitue qu’une partie de l’établissement, tant par la surface occupée et le nombre de pièces montrées que par les moyens budgétaires qui lui sont alloués » (Taylor, 2008 : 679).

Néanmoins, avec près de trois mille cinq cents objets présentés de manière permanente et une certaine pérennité qui engage le musée – l’institution qui rassemble désormais la presque totalité des collections nationales françaises d’objets extra-occidentaux (le musée Guimet mis à part) – sur le temps long, il semble que le plateau des collections du musée du quai Branly constitue le contexte privilégié de l’assignation d’un statut aux collections extra-occidentales.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 93-96)