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Le registre médiatique de l’espace

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 118-124)

IDENTIFIER LES MARQUEURS POSSIBLES DU STATUT D’OBJET DE PATRIMOINE DANS L’EXPOSITION

1. Le registre médiatique de l’espace

Rappelons-le, la description du registre médiatique de l’espace n’est pas censée rendre compte des opérations de mise en espace dans l’exposition, puisque ces dernières touchent plusieurs registres. En revanche, elle doit permettre d’isoler des autres registres médiatiques les éléments de l’exposition qui lui sont propres afin de rendre compte de l’implication de l’espace, ou non, dans la production du sens de l’exposition.

Plusieurs éléments ont pu être mobilisés dans le but de décrire le registre de l’espace dans l’exposition permanente du musée du quai Branly, et dans l’objectif de comprendre comment l’espace participe aux effets de sens produits par l’exposition. En premier lieu, le corpus de photographies décrit plus haut (voir p. 105). Celui-ci fournit une représentation de l’espace qui se veut la plus fidèle possible, le relevé photographique ayant été réalisé de manière systématique et dans le but de rendre compte de la tridimensionnalité du dispositif.

Aux images photographiques s’ajoutent des documents graphiques. D’abord le plan d’orientation distribué aux visiteurs qui, en tant que représentation de la matérialité de l’espace « renvoie à un référent qui est l’espace réel de l’exposition » (Gharsallah, 2008 : 42).

Même s’il « donne une représentation bidimensionnelle et indiciaire de l’espace représenté, insuffisante pour décrire une configuration spatiale en trois dimensions » (Ibid. : 43) et que l’échelle n’y est pas indiquée, il rend possible la vision d’ensemble de l’espace d’exposition et

rend compte de son organisation. On retrouve ce plan dans l’exposition sur les « tables d’orientation », comme les nomme le musée. Elles délivrent le même type d’indications spatiales que le plan d’orientation mais à deux échelles différentes, nous aurons l’occasion de le voir plus en détail. Leur situation dans l’espace d’exposition a également été décrite et analysée.

1.1 L’espace, producteur, ou non, d’effets de sens

Interrogeant les moyens susceptibles d’être mis en œuvre pour optimiser la communication à l’intérieur des expositions scientifiques et techniques, Davallon décrit deux emplois antagonistes de l’espace dans l’exposition. Soit l’espace est « un simple support fonctionnel pour les objets (instruments, échantillons, schémas, textes, panneaux) qui sont

“posés” là, et le décor n’est alors qu’une enveloppe neutre » ; soit « l’espace (lieu, enveloppe et décor) participe aux effets produits par l’exposition au même titre que les objets exposés » (1999 : 68). Davallon envisage donc la possibilité que le registre de l’espace soit signifiant ou non.

De l’absence de participation de l’espace à la construction de sens dans l’exposition dépend même la nature médiatique de l’exposition, si l’on en croit Davallon. Ainsi, l’exposition-média serait caractérisée par une « intégration » entre espace et exposé quand le « degré zéro » de l’exposition le serait par leur séparation (Ibid.). Si l’on s’interroge sur la participation du registre de l’espace à la production du sens des objets sur le plateau des collections, il nous semble toutefois que la non-participation éventuelle de l’espace à la construction du sens de l’exposition ne lui enlève pas sa dimension médiatique. Elle en fait plutôt un dispositif médiatique où l’espace remplit, au minimum, la fonction sémiotique de séparer le dispositif de ce qui lui est extérieur. Cela dit, nous croyons, comme le soutient Davallon, que le fonctionnement du dispositif d’exposition sera différent en fonction de l’intensité de l’implication de l’espace. En effet, si le registre de l’espace ne participe pas, ou peu, à la construction du sens des objets, on peut penser que celui-ci sera produit avant tout par les autres registres.

1.2 Analyse sémiotique du registre médiatique de l’espace

Pour examiner le rôle spécifique de l’espace dans la production du sens sur le plateau des collections, en dehors des autres registres, il faut envisager de « faire appel à des moyens

d’investigation qui portent sur l’espace lui-même en tant qu’élément du dispositif signifiant » (Ibid. : 69), comme le souligne Davallon. Il propose alors de procéder à une analyse sémiotique de l’espace,

« le propre de l’analyse sémiotique [étant] de porter sur les caractéristiques de l’objet qui sont à la base de la production d’effets de sens (= le dispositif et son fonctionnement) et non sur l’inventaire des effets produits (= la représentation) » (Ibid. : 70).

Davallon propose, à cet effet, trois moyens d’investigation. Pour les interpréter, il faut d’abord admettre que :

« La signification naît de la conjonction de la mise en forme d’une matérialité (de ce que l’on appellera le “signifiant” ou peut-être plus exactement dans le cas qui nous occupe : le plan de l’expression) et d’une forme du contenu qui est en fait le “signifié”

ou le plan du contenu. » (Davallon, 1999 : 49.)

Le premier des trois types d’investigation élaborés se penche sur l’organisation du contenu sans tenir compte ni de l’organisation de l’expression ni de la relation entre l’organisation de l’expression et celle du contenu, autrement dit la « relation sémiotique (i.e. la relation productrice de la signification elle-même, le fondement même de la signification) » (Ibid. : 72). Il sera donc écarté. Le second type d’investigation prend en considération cette relation sémiotique et « considère les composants comme autant d’unités de signification ». Son objectif : « retrouver les caractéristiques de l’organisation de l’espace (les aspects) qui sont en relation de présupposition avec les unités du contenu repérées » (Ibid. : 72). Il fait donc intervenir l’analyse de l’organisation de l’espace en relation avec des unités de contenu identifiées préalablement. Pour cette raison, il ne peut pas convenir à l’analyse du registre de l’espace indépendamment des autres.

La troisième et dernière proposition, dans sa tentative de développer une approche de « la dimension systématique de la production du sens dans l’exposition prise dans son ensemble » (Ibid. : 73), a été retenue dans cette phase d’analyse des registres médiatiques de l’exposition car elle ne part plus du plan du contenu ou de la relation entre contenu et expression dans une unité de signification, mais du plan de l’expression, de la matérialité de l’espace, autrement dit de ses qualités plastiques et formelles. Suivant cette proposition, l’espace, dans sa matérialité, doit être segmenté, cette segmentation permettant d’identifier des « catégories »

de production du sens par l’espace, et donc d’analyser la production de la signification à partir de l’espace lui-même et non plus de la représentation de l’espace chez le visiteur (Ibid. : 74).

A priori, l’identification des catégories signifiantes du registre de l’espace peut être envisagée soit de manière diachronique, dans l’étendue du dispositif d’exposition, soit de manière synchronique, par emboîtement. La première permet de rendre compte de la façon dont les catégories apparaissent au visiteur au cours de la visite, la seconde de montrer l’articulation des catégories récurrentes. Étant donné le point de vue de la recherche, c’est la seconde méthode qui a été privilégiée.

1.3 La logique des emboîtements, outil pour l’analyse

Dans l’objectif de décrire l’espace expositionnel, Gharsallah a élaboré une logique de découpage de l’espace qui tient compte de la complexité et de l’hétérogénéité de l’exposition et qui permet de rendre compte de l’articulation dans l’espace des éléments qui la composent.

Cette logique procède par emboîtements successifs où « l’emboîtement constitue […] un principe organisateur des entités spatiales du musée et de l’exposition » (Gharsallah, 2008 : 48). L’identification des différents niveaux d’emboîtement existants dans l’exposition doit participer à révéler le sens délivré par l’espace sur le plateau des collections. Concrètement,

« le protocole propose de segmenter l’espace muséal en suivant le principe d’emboîtement, c’est-à-dire selon un procédé régressif allant du général au particulier » (Ibid.). De la même façon, nous avons procédé à la description des éléments spatiaux en partant du plus général, le plateau des collections tout entier, pour finir par le particulier.

Les catégories d’emboîtement définies par Gharsallah susceptibles d’être identifiées dans l’étude de l’espace d’exposition sont, du plus vaste au plus petit, « l’enveloppe », « la séquence », « l’unité », « la sous-unité » et « l’élément »58. Précisons tout de suite que ces différents niveaux d’emboîtement ont été pensés initialement dans l’objectif de décrire les opérations de mise en espace et pas seulement d’identifier les catégories spatiales productrices de sens, comme c’est le cas ici. Par conséquent, Gharsallah envisage d’identifier les niveaux d’emboîtements par leurs « limites tangibles », mais aussi par leurs « limites virtuelles » (Gharsallah, 2008 : 51), que nous interprétons comme les limites déterminées principalement par les autres registres médiatiques que le registre de l’espace. Elle ne prévoit, toutefois, pas

58 Pour Gharsallah, le premier niveau d’emboîtement n’est pas l’enveloppe mais « l’environnement » qui

« désigne l’espace extérieur et physique de l’exposition ou du musée, autrement dit, le contexte spatial du bâtiment » (Gharsallah, 2008 : 49).

que les limites puissent être virtuelles pour l’ensemble des niveaux d’emboîtement. Ainsi, elle décrit « l’enveloppe » comme :

« une notion employée dans un double sens. Dans son sens le plus général, elle désigne tout ensemble de parois qui entoure quelque chose pour former un volume.

[…] Dans un contexte expositionnel, l’enveloppe expographique est un lieu articulant plusieurs espaces, qui accueillent des objets destinés à être montrés au public selon une logique spatiale bien définie » (Gharsallah, 2008 : 50).

Elle ne prévoit donc pas que l’enveloppe puisse avoir des limites virtuelles, ce qui est le cas pour la « séquence », le niveau immédiatement inférieur d’emboîtement :

« Équivalente à un thème dont les limites sont déterminées principalement par le sens.

C’est un espace tridimensionnel, qui correspond à un dispositif expographique, lieu d’une activité de communication. Ses limites peuvent être tangibles ou virtuelles. […]

Quand les limites de la séquence sont virtuelles, l’exposition est généralement aménagée dans un espace ouvert et décloisonné, qui privilégie le parcours libre » (Ibid. : 51) (nous soulignons).

En admettant qu’il existe sur le plateau des collections des séquences dont les limites sont virtuelles, seule la prise en compte des registres autres que spatiaux peut permettre de définir ces séquences comme des portions d’espace signifiantes. Le protocole ne peut donc pas être employé tel quel. Cependant, les niveaux d’emboîtement définis par Gharsallah permettent d’identifier des niveaux de production de sens par l’espace dans l’exposition sans s’appuyer sur le sens apporté par les opérations de mise en espace et par les registres des objets et scriptovisuel, mais en considérant les limites tangibles des catégories à l’intérieur du registre de l’espace.

La question posée ici consiste donc, d’abord, à savoir si l’on peut identifier l’enveloppe, les séquences – on peut imaginer qu’il y en a plusieurs au regard de la surface d’exposition du plateau des collections – les unités et les sous-unités dans l’espace du plateau des collections.

L’auteur explique ensuite qu’une séquence

« peut être composée de plusieurs unités, c’est-à-dire de sous-thèmes dans le thème, comprenant des objets articulés dans un espace tridimensionnel, ou un volume, pour former un dispositif. L’unité peut être physique ou fictive ; elle constitue un syntagme ayant un sens bien déterminé et qui peut fonctionner d’une manière indépendante ou

et son sens global. Selon l’échelle du musée ou de l’exposition, l’unité prend des configurations diverses regroupant des ensembles d’œuvres rassemblées selon une typologie bien précise. Les unités peuvent se confondre aux séquences ou disparaître complètement. » (Ibid.)

Là encore, il s’agit de voir s’il est possible de distinguer des unités « physiques », et non pas

« fictives », susceptibles de participer à la construction du sens de l’exposition dans sa dimension spatiale en observant les photographies et les représentations de l’espace que constituent le plan et les tables d’orientation.

Gharsallah prévoit également la possibilité de rencontrer des sous-unités signifiantes qui peuvent être soit la partie d’une séquence soit une petite unité. Elles sont constituées de supports de disposition spatiale, comme une vitrine, une estrade ou un socle, mais elles peuvent aussi être bidimensionnelles, comme un cadre (2008 : 52). Gharsallah précise :

« Il arrive que la sous-unité soit directement rattachée à la séquence, et qu’elle ne fasse pas partie d’une unité. Cette situation correspond au cas où un dispositif expographique d’une séquence ne peut pas être intégré à une unité, soit parce qu’il est spatialement éloigné de celle-ci, soit parce qu’il porte sur un sujet différent. » (Ibid. : 52.)

Seul le premier cas de figure peut être identifié à travers la démarche adoptée ici. Pour finir, ajoutons que « l’élément est la plus petite composante de la série. Il s’agit généralement d’une entité spatiale et sémantique isolée, […] particulièrement autonome » (Ibid.).

Notons enfin, dans l’objectif d’affiner les critères d’observations, que d’après les catégories construites par Gharsallah, ce sont principalement les limites, comme les cloisons, murs et autres vitrines, et les « seuils », en tant qu’éléments de séparation et donc d’organisation de l’espace, qui vont permettre de constater que l’espace participe, ou non, au sens de l’exposition. Ils constitueront donc un des éléments privilégiés de la description. Gharsallah précise en outre que le seuil peut prendre des formes très variées. Il doit montrer la transition, le passage d’un espace à un autre ou d’un niveau à un autre, c’est un marqueur de limites.

Selon les expositions et la mise en espace, il peut être matérialisé de multiples façons : porte, passage, sas, couleur, lumière, son, etc. (Ibid. : 52-53).

La segmentation du registre médiatique de l’espace est donc réalisée par emboîtement, de la catégorie spatiale la plus vaste à la catégorie spatiale la plus restreinte. À l’intérieur des niveaux d’emboîtement pris successivement en considération, nous avons finalement cherché

à repérer les aspects, c’est-à-dire « les qualités plastiques et formelles de l’espace », potentiellement signifiants et à observer leur impact, en termes de signification. Ces indicateurs sont de natures diverses : « couleur, topologie, volume, lumière » (Ibid. : 73), ou encore « supports spatiaux » (Gharsallah, 2008 : 52), tels que les estrades, vitrines et autres socles qui participent tous à distinguer les seuils, les enveloppes, les séquences et autres unités, sous-unités ou éléments. Les composants des catégories peuvent être identifiés non seulement par contraste, comme l’envisage Davallon (Ibid. : 73), mais aussi par similitude entre les qualités plastiques et formelles des différents fragments de l’exposition.

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