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La règle constitutive de Searle : un outil pour l’analyse

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 55-58)

PREMIÈRE PARTIE

2. Le débat sur les collections extra-occidentales

1.4 La règle constitutive de Searle : un outil pour l’analyse

La proposition élaborée par Searle dans le but d’interroger les faits institutionnels permet de rendre compte du processus qui consiste à assigner un statut à un objet et des éléments impliqués dans cette assignation, principalement les contextes, les agents et les marqueurs de fonction. La règle de Searle fait du contexte un élément influant du processus d’assignation du statut. En même temps, elle n’en précise ni la nature ni l’échelle, permettant ainsi une interprétation large et flexible de la notion, et notamment de distinguer plusieurs échelles de contexte dont dépendent à la fois les agents impliqués, les fonctions et les

28 La rencontre « fortuite » entre Jacques Chirac, alors maire de Paris, et le marchand d’art Jacques Kerchache à l’île Maurice est notamment rapportée dans l’ouvrage de Sally Price Paris Primitive : Jacques Chirac’s Museum on the Quai Branly publié en 2007. Pour plus d’information sur Jacques Kerchache, voir Jacques Kerchache : portraits croisés de Martin Béthenod publié en 2003 et, pour une synthèse, l’article d’Emmanuel De Roux

« Jacques Kerchache, globe-trotter et tête chercheuse » publié au Monde dans l’édition du 14 avril 2000.

29 D’après les documents de communication du musée et le site Internet.

marqueurs. Elle invite ainsi à déterminer le ou les niveaux de contexte pertinent(s) pour interroger le statut des collections extra-occidentales.

Dans la mesure où notre interrogation porte d’abord sur l’assignation d’un nouveau statut par les agents décideurs, étant donné les conditions dans lesquelles le statut des objets a été déterminé, le contexte considéré doit permettre d’accéder aux marqueurs de cette assignation.

Mais cela ne suffit pas. Pour être pertinent, il doit aussi donner les moyens aux agents qui composent la communauté d’identifier, d’accepter et de reconnaître ce statut afin de l’assigner à leur tour (Searle, 1998 (1995) : 61), et donc principalement leur permettre d’entrer en relation avec les objets auxquels est assigné un nouveau statut.

Enfin, la règle de Searle prévoit que l’objet peut avoir pour fonction de signifier et que sa signification ne lui est pas intrinsèque, ce qui amène deux remarques. D’une part, en distinguant les caractéristiques intrinsèques des objets des caractéristiques qui leur sont assignées de l’extérieur, elle permet de se dégager du débat entre objet esthétique et objet ethnographique. Sous cet angle, celui-ci n’a plus lieu d’être, la signification dépendant du contexte dans lequel il est placé et ne pouvant être déterminée une fois pour toutes. D’autre part, en reconnaissant aux objets la fonction de signifier dans certains contextes, elle ne semble pas envisager que tout objet puisse signifier ni même qu’il puisse porter plusieurs significations.

Ce dernier point nous invite à clarifier notre propre approche de la signification de l’objet, et notamment à distinguer les objets de musée de la masse des objets qui sont « quelque chose qui sert à quelque chose » (Barthes, 2002 (1964) : 819), avant de dégager, dans le contexte du musée du quai Branly, les éléments impliqués dans l’assignation de la fonction des objets extra-occidentaux, et donc de leur statut.

2. Les approches théoriques de la signification de l’objet : définition et classement 2.1 Définir l’objet

Notre étude est fondée en partie sur la propriété qu’a l’objet de musée – qu’il soit extra-occidental ou non – de signifier. Comme on a commencé à en rendre compte en évoquant le projet sémiologique porté par Barthes, cette faculté est reconnue à l’objet en général. Ce constat invite à interroger ce que veut dire « signifier » pour un objet et ce qui distingue, dans sa façon de signifier, l’objet de musée de la foule des objets quotidiens.

Si l’on en croit les travaux qui lui sont consacrés, définir l’objet semble une étape incontournable pour entreprendre d’en étudier la signification. Dans un texte intitulé

« Sémantique de l’objet », Barthes interroge ainsi la définition de l’« objet ». Contrairement à beaucoup d’autres, il ne lui associe pas de qualificatif susceptible de limiter la prolifération du sens. Il rappelle d’abord la définition du dictionnaire selon laquelle

« l’objet c’est ce qui s’offre à la vue, c’est ce qui est pensé par rapport au sujet qui pense, bref, comme disent la plupart des dictionnaires, l’objet c’est quelque chose » (2002 (1964) : 818),

puis distingue deux groupes de connotation, « les connotations existentielles de l’objet » qu’il identifie notamment dans le traitement littéraire de l’objet, et « les connotations

“technologiques” de l’objet » auxquelles il s’intéresse particulièrement (Ibid. : 818-819). Il poursuit :

« L’objet se définit alors comme ce qui est fabriqué ; c’est de la matière finie, standardisée, formée et normalisée […] l’objet est alors surtout défini comme un élément de consommation » comme « un téléphone, une montre, un bibelot, une assiette, un meuble, un stylo. » (Ibid. : 819.)

Abraham A. Moles, introduisant un numéro de la revue Communications entièrement dédié à l’objet (1969), y désigne sous l’expression « objet quotidien » sensiblement les mêmes objets que ceux considérés par Barthes. Il énumère ainsi les « stylo, automobile, téléphone, radiateur » (Moles, 1969 : 2) et entreprend, lui aussi, de définir l’objet :

« En bref, qu’est-ce qu’un objet ? C’est un élément du monde extérieur fabriqué par l’homme et que celui-ci peut prendre ou manipuler. » (Ibid. : 5.)

Les dimensions de l’objet et sa capacité à être manipulé prennent une importance considérable dans la proposition de Moles puisque même « un meuble n’acquiert les qualités d’objet que quand il devient mobile, transportable ou transporté, comme un guéridon ou une chaise » (Ibid.). Dans la même revue, Pierre Boudon énumère de façon bien plus large ce qu’il considère comme objet, l’énumération allant de la « boîte d’allumettes » à la « maison » (Boudon, 1969 : 65). Plus généralement, c’est la définition juridique du « mobilier » qui domine lorsqu’il s’agit de limiter le champ des objets.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 55-58)