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IV. QUATRIÈME PARTIE : RESULTATS

4. ANALYSE DES DONNÉES

4.1 Un repérage complexe

a) Lié à la victime

Certains médecins de l’étude signalent avoir des difficultés pour interroger certaines personnes âgées, notamment lorsqu’elles présentent par exemple un trouble psychiatrique ou neuro-dégénératif, ce qui peut conduire à une mise en doute de leurs paroles.

Et globalement, il parlait encore un peu mais il exprimait absolument pas, il m'a jamais dit « elle m'a tapé » (MG 1)

C’est une pauvre petite chose, petite dame qui est certainement dans une souffrance, maintenant elle est moins dans la communication donc elle est peut-être entre euh...rêve et réalité même. Voilà elle est juste recroquevillée comme ça, elle bouge pas, elle ferme les yeux, on sent qu’elle se détend un petit peu de temps en temps...et puis si je touche le fauteuil ou que je prends sa tension paf...et puis il n’y a plus de communication. (MG 2)

J’ai un cas en ce moment d’une patiente, qui a des petits troubles cognitifs donc je ne sais pas

Difficultés de communication avec

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si je peux trop la croire, (MG 9)

Oui un Parkinson assez évolué, pouvant encore bouger un peu...ne parlant pas beaucoup alors… (MG 12)

Ah ben..pff, non mais clairement oui. Elle répondait Oui/non...souriante et tout mais en fait...je dois reconnaître que moi j’y allais beaucoup pour les renouvellements ou alors ponctuellement pour des petits problèmes organiques, la relation ne s’est pas… (MG 12) Elle m’a dit “ Oui le gardien il m’a volé “ ...alors je me demandais si c’était délirant ou pas et comme je ne savais pas, j’ai demandé à... (MG 13)

Bon il y a des gens qui sont psy donc est ce que c’est autre chose je ne sais pas… (MG 13) Après je me dis peut-être il y a un trouble psychique, quelle est la part de réalité là-dedans ? Parce qu’il y a des gens ils délirent hein...ils voient que tout le monde les vole alors que personne ne leur prend rien. (MG 13)

La majorité des personnes âgées victimes de maltraitances ne révèlent pas spontanément aux soignants les sévices ou privations qu’elles subissent. Les médecins interrogés ont tendance à adopter une attitude passive d’attente plutôt que de poser directement la question à la personne âgée. Certaines personnes âgées sont également dans le déni et ne souhaitent pas dénoncer un membre de leur famille.

Et globalement, il parlait encore un peu mais il exprimait absolument pas, il m'a jamais dit «

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elle m'a tapé », lui il était habitué, il s'en fichait en fait. (MG 1)

Non il se plaignait pas du tout, il a jamais dit « je veux partir » (MG 1)

Moi je constatais effectivement qu'elle lui parlait comme un chien et que parfois je le trouvais sale...mais lui ne s'en plaignait pas (MG 1)

Elle est capable de s’exprimer donc elle pourrait se plaindre hein.. (MG 2)

Donc effectivement, la mère très âgée, vivait plutôt en dessous de la maison...bon, mais elle ne s’en ai jamais plaint à moi (MG 8)

Certaines pathologies chroniques sont plus fréquentes lors du vieillissement et les sujets âgés sont fréquemment polymédiqués, certains symptômes pouvant alors mimer des maltraitances et mener à de fausses interprétations.

Oui mais faut pas se planter parce qu’entre distinguer des ecchymoses et des hématomes de chute et puis des ecchymoses et des hématomes de maltraitance, quand ils sont sous aspirine ou anticoagulants...euh c'est compliqué quand même (MG 1)

Bon et à la fois elle peut se faire mal parce qu’on la retrouve tournée dans son lit, elle s’est blessée toute seule hein aussi donc c’est vachement compliqué... (MG 2)

Mais une femme agitée, qui est dans un lit avec des barreaux, qui essayait de passer par-dessus de temps en temps, qui pouvait se faire des bleus à cause de ça, voilà. (MG 3)

Symptômes peu spécifiques

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Donc on s’est dit bon effectivement c’est quand même curieux, elle s’est pas assommée elle-même contre la barrière...en tout cas moi quand je vais la voir dans la journée et quand les infirmières sont là elle est pas du tout agitée. Visiblement la nuit elle est agitée, les voisins se sont plaints qu’elle faisait du bruit...mais bon, donc j’étais un peu embêtée (MG 4)

b) Lié au médecin

La plupart des médecins interrogés rencontre des situations de maltraitance, très diverses, mais a des difficultés à les reconnaître et les nommer. Les limites acceptables de la définition de la maltraitance semblent floues pour les professionnels de santé de notre étude.

Enfin il n'y avait pas de signe physique à part la négligence, c'était plus de la négligence sur le plan physique que de la maltraitance... (MG 1)

Le fils c’est quand même pas compliqué, j’ai fait un bon de transport, les ambulanciers ils viennent au sixième, ils la mettent sur une chaise et ils l’emmènent...c’est toujours pas fait. Alors est ce que c’est une forme de maltraitance ? (MG 2)

Mais elle, elle a pas compris qu’il était diabétique, elle lui fait manger de la nourriture chinoise, des sauces sucrées et salées...alors est ce que c’est une forme de maltraitance ? (MG 2)

Autoriser un mariage comme ça, est ce que c’est pas une forme de maltraitance ? Moi je sais pas quoi… (MG 2)

Limites floues de la maltraitance

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Qu’est-ce que vous appelez maltraitance ? C’est à dire ? Des coups..euh…? (MG 3)

De la famille qui détourne...ou plutôt je dirais de la famille qui maintient la personne âgée...alors qu’elle s’en occupe pas beaucoup… (MG 3)

Parce que le bail HLM...parce qu’ici c’est surtout ça, appartient à la vieille dame, et ils peuvent parfois insister pour maintenir beaucoup plus que normal au domicile (MG 3)

Moi j’ai dit aux enfants elle serait beaucoup mieux placée, aucun des autres dans la grande famille qu’elle a ne veut participer aux frais d’une maison de retraite. Alors c’est à la limite si vous voulez… (MG 3)

Oui, là je pense à un truc...Mais alors, je sais pas si on peut parler de maltraitance (MG 5) Après, ça peut être large la maltraitance, c’est à dire que en fait vous pouvez aussi avoir des gens qui, par rapport aux enfants...il y a parfois un refus de prise en charge soit en EHPAD, soit pour des raisons financières...et donc la personne va rester dans sa structure au domicile, qui n’est peut-être pas forcément la structure la mieux adaptée pour elle...alors est ce que c’est une maltraitance euh bon ? (MG 8)

Après qu’est-ce que de la maltraitance...ça peut aussi faire réfléchir. (MG 9)

Et du coup ils voulaient des investigations que moi je considère comme abusives...ça passe ou pas dans ce cas ? (MG 9)

Oui ce serait plus à moduler, peut-être qu’il y a des situations...mais on ne peut pas parler de maltraitances, parce que ce sont des gens qui sont quand même la plupart du temps dévoués à s’occuper de personnes qui ne sont plus du tout autonomes (MG 12)

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Certaines personnes âgées ont du mal à accepter la nécessité d’être assistée par des aides professionnelles ou familiales au domicile. Elles peuvent ainsi exprimer un mal être se traduisant par de nombreuses critiques à l’égard des équipes de soins, ces critiques étant parfois bien sûr justifiées. Certains médecins éprouvent alors des difficultés à distinguer la “critique banale” d’une situation de maltraitance, et en viennent à mettre en doute la parole de la personne âgée. D’autres invoquent les troubles cognitifs ou psychiatriques de la personne âgée, qui fragilisent sa parole.

En fait, généralement, les patients...il y a toujours des critiques vis à vis des services de soins, et c’est parfois difficile de faire la part des choses...qu’il y ait des troubles cognitifs ou non… (MG 9)

J’ai un cas en ce moment d’une patiente, qui a des petits troubles cognitifs donc je ne sais pas si je peux trop la croire, (MG 9)

Elle m’a dit “ Oui le gardien il m’a volé “ ...alors je me demandais si c’était délirant ou pas et comme je ne savais pas, j’ai demandé à. (MG13)

Bon il y a des gens qui sont psy donc est ce que c’est autre chose je ne sais pas… (MG 13) Après je me dis peut-être il y a un trouble psychique, quelle est la part de réalité là-dedans ? Parce qu’il y a des gens ils délirent hein...ils voient que tout le monde les vole alors que personne ne leur prend rien. (MG 13)

Mise en doute de la parole de la PA

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Certains médecins de l’enquête mettent en cause la responsabilité de la personne âgée pour expliquer les symptômes constatés. L’agitation ou les plaintes à répétition sont ainsi mentionnées par certains généralistes, et conduisent à une forme d’occultation des maltraitances potentielles.

Bon et à la fois elle peut se faire mal parce qu’on la retrouve tournée dans son lit, elle s’est blessée toute seule hein aussi donc c’est vachement compliqué... (MG 2)

Mais une femme agitée, qui est dans un lit avec des barreaux, qui essayait de passer par-dessus de temps en temps, qui pouvait se faire des bleus à cause de ça, voilà. (MG 3)

Il y avait une dame dont le fils lui-même lui volait des trucs mais elle était tellement dans la plainte que… (MG 13)

Deux médecins interrogés semblent éprouver des difficultés à interpréter certaines attitudes des personnes âgées qui reflètent pourtant un état de souffrance psychique ou physique.

Après est ce qu’on peut aller...est ce qu’on peut pousser (hésitation) son côté un peu très récalcitrant est pas proportionnel à ce qu’elle vivrait mal quelque chose ? Est-ce que je ne me

Recherche d’autres causes aux symptômes

Méconnaissance des signes d’alerte

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ferme pas d’avantage comme une coquille parce qu’on m’agresse ? Non mais je sais pas… (MG 2)

Je pense que juste on ne connaît pas assez bien le truc… (MG 5)

Les médecins s’interrogent ici sur les limites de leur rôle dans ces situations délicates, notamment sur leur droit de pénétrer dans l’intimité du cercle familial. Le généraliste doit alors trouver un équilibre entre devoir de protection et respect de la vie privée de la personne âgée.

Alors peut être que c'était un couple qui fonctionnait comme ça et que j'avais pas à juger aussi, c'est compliqué parce que nous on y met notre culture, notre ressenti et puis finalement le mari s'est jamais plaint (MG 1)

Alors je sais pas trop ce qu’il s’est passé, je suis jamais rentrée voir…mais ce monsieur est très apprécié

Je lui ai dit “ mais votre fils il est là ?” et je voyais pas de deuxième lit...et je suis jamais allée...vous voyez comme quoi les médecins s’en occupent pas...je suis pas allée beaucoup plus loin... (MG 2)

Et puis après il y a la question du respect...c’est très compliqué de savoir où on respecte et où on respecte pas...c’est à dire qu’on ne peut pas avoir que le point de vue du médecin. Non mais quand quelqu’un est en danger physiquement, bien évidemment...mais vous voyez quand

Peur de s’immiscer dans la sphère intime

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c’est plus subtil que ça, puisqu’on dit que c’est compliqué à détecter...c’est très compliqué on peut pas faire d’ingérence dans la vie privée, c’est comme les signalements...c’est toujours “j’y vais, j’y vais pas” ...est ce que je respecte ? (MG 2)

Certains médecins interrogés ont tendance à sous-estimer le problème, faisant évoquer soit un manque de connaissance, soit une forme de déni du phénomène. Un médecin a mentionné spontanément un cas où la personne âgée était bien traitée par un entourage très présent, ce qui lui permet peut-être plus ou moins consciemment d’occulter les situations de maltraitances.

Globalement mes vieux sont plutôt sympas, gentils, bien pris en charge (MG 1)

Parce qu'on a un problème avec cette question...mais il y a des études qui l'ont montré en plus, en gros quand on pose la question aux patientes ça les dérange pas de répondre à la question par contre quand on pose la question aux médecins ça les dérange de poser la question (MG 1)

Et puis heureusement que c’est pas si fréquent quoi (MG 2)

Elles allaient plus loin en disant qu’il y avait peut-être des attouchements par le fils, ça me paraissait totalement impossible...euh, voilà. (MG 3)

Il me paraissait totalement incompatible qu’il frappe sa mère...ça me paraissait pas possible... (MG 3)

Sous-estimation du phénomène

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Il y a d’autres cas...j’ai une patiente qui est décédée, toute la famille s’est mobilisée, la petite fille qui était étudiante venait le midi pour manger avec sa grand-mère, après le soir c’était la maman, le matin c’était le papa...enfin, il y a des familles où c’est génial aussi. (MG 6)

Concernant les personnes âgées, moi je trouve que globalement ça se passe plutôt bien… (MG 10)

Certains médecins questionnés semblent sous-estimer l’impact possible de certains types de maltraitances sur la santé des personnes âgées, notamment négligence et maltraitance financière. Par ailleurs, l’absence de souffrance exprimée par la personne âgée, notamment lorsqu’elle présente des troubles cognitifs, semble être un argument pour ne pas signaler chez l’un des MG interrogé.

CB : Et si c’est une dame qui a des troubles cognitifs ?

(Sourire) Plus compliqué, il faudrait vraiment pour moi analyser la situation avant de lancer

quelque chose, il faudrait que je vois vraiment la situation de la famille...si elle a des troubles cognitifs, qu’elle est pas trop consciente de ce qu’il se passe, qu’elle ne souffre pas et que retirer ce revenu à une famille qui va se retrouver dans un état catastrophique, après le

dé-part de la grand-mère, c’est compliqué… (MG 3)

Alors après, la dame n’ayant pas de trouble cognitif, ça dépend comment elle le vit aussi...si elle vous dit “ Il me martyrise machin “ effectivement oui...maintenant si c’est une question d’argent… (MG 8)

Minimisation des conséquences sur la

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Non, elle mangeait tous les jours, elle avait toutes les aides donc si vous voulez...elle mangeait...il y avait un peu d’incurie mais c’est tout. (MG 11)

c) Lié au mode d’exercice

Lors de l’examen d’une personne âgée vulnérable, que ce soit au domicile ou au cabinet, un aidant, professionnel ou familial, est souvent présent ce qui rend le secret médical difficile à appliquer et ne favorise pas la révélation des maltraitances.

C’est compliqué quand la femme est toujours à côté, parce qu'elle m'a jamais laissé seule un seul instant avec son mari… (MG 1)

Alors le problème c’est quand les enfants habitent chez les parents...où là c’est peut-être plus compliqué de surveiller ça, même s’il y a une curatelle… (MG 4)

Et puis de toute façon les visites, le fils était là quoi donc euh… (MG 12)

En tout cas avec elle, je n’ai pas vraiment établi une relation puisque de toute façon le fils était toujours là et les échanges limités… (MG 12)

Difficultés pour obtenir la confidentialité

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La recherche physique de signes éventuels de maltraitance se trouve compromise lorsque l’examen ne peut se faire dans des conditions optimales, par exemple lorsque la personne âgée est grabataire ou agressive. L’examen au domicile peut s’avérer impossible en l’absence d’aide professionnelle ou de l’entourage.

Et puis moi je les fous pas à poil forcément mes patients à domicile...je les déshabille pas complètement hein... (MG 2)

Certains médecins interrogés expliquent qu’ils ne sont pas présents au domicile de la personne âgée en permanence et ne peuvent donc pas toujours vérifier certains symptômes ou comportements, notamment pour les maltraitances psychologiques et négligences, qui sont plus délicates à repérer que les violences physiques. Cela peut traduire une connaissance partielle des signes de maltraitance mais aussi participer au mécanisme d’occultation des violences : « Je ne crois que ce que je vois »

Bon après on ne sait pas...les personnes âgées, moi je suis pas là tout le temps. Mais elles peuvent être très agressives… (MG 2)

Après il faudrait le faire aussi pour les violences verbales, morales...euh...mais c’est peut-être

Examen physique difficile

Absence de flagrant délit

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plus difficile à détecter vu qu’on n’est pas là...alors que les violences physiques sont plus visibles (MG 5)

Non c’est extrêmement compliqué parce qu’après je ne suis pas là pendant la toilette pour voir ce qu’il se passe… (MG 9)

d) Synthèse

Le premier obstacle au signalement est probablement les difficultés que rencontrent les généralistes pour dépister les maltraitances chez les sujets âgés, dues à plusieurs facteurs : un manque de connaissance des signes d’alerte, des difficultés pour définir la maltraitance, des difficultés de communication avec la personne âgée et la mise en doute de leur parole, la confrontation avec le silence des victimes, des symptômes peu spécifiques, des contraintes liées à l’organisation des soins à domicile et enfin une forme de déni avec une tendance à sous-estimer la prévalence du problème dans leur patientèle.