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IV. QUATRIÈME PARTIE : RESULTATS

4. ANALYSE DES DONNÉES

4.5 Représentation du signalement par les médecins

Un médecin, de par ses expériences antérieures négatives de signalement pour des enfants en danger, émet implicitement des doutes quant à l’efficacité de cette mesure pour les personnes âgées. Un autre médecin évoque le cas d’une consœur dont la responsabilité a été mise en cause suite à un signalement, ce qui peut avoir un impact sur sa pratique.

Donc la seule fois où vraiment j'étais très inquiète, j'ai envoyé l'enfant aux urgences et sinon trois fois c'était la CRIP mais ça n'a absolument rien donné...c'est à dire que j'avais beau faire un Fax et appeler derrière, ils sont tellement débordés je pense...mes signalements n'ont rien donné. (MG 1)

Synthèse

Expériences antérieures négatives

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Et puis en plus moi j'étais déçue les trois fois...enfin le troisième signalement pour un enfant ça a été dramatique puisque le papa est mort en Janvier dernier, c'est le fils qui l'a trouvé, parce qu'il était alcoolique…les enfants orphelins deux fois, de leur mère et belle-mère...et j'avais fait un signalement en appelant aussi car le papa alcoolique se retrouvait tout seul avec trois enfants, de 7, 9 et 13 ans. Ils sont jamais venus, on m'a jamais rappelé... (MG 1) Ah ben oui, quand on fait un signalement, on n’a pas nous, professionnels, à se retrouver devant les tribunaux parce qu’on a signalé quelque chose...et cette collègue-là, que je connais bien, elle a passé des nuits entières à pas dormir...c’est une femme qui exerce seule dans un cabinet avec la peur d’être suivie dans la rue à la fin de son exercice etc... Je suis allé la chercher une ou deux fois parce qu’elle était terrorisée dans son cabinet. (MG 6)

Lorsque les maltraitances sont passives, c’est à dire sans l’intention de nuire, les médecins dans cette enquête privilégient d’autres alternatives que le signalement, notamment l’aide aux aidants. La procédure de signalement semble vécue comme offensive, avec mise en cause d’un proche qui n’a pas toujours conscience du caractère maltraitant de son comportement, par exemple lorsqu’il est atteint d’une pathologie psychiatrique.

Par ailleurs, concernant les maltraitances par des professionnels, les médecins interrogés privilégient la communication avec le professionnel concerné et si besoin l’avertissement de la structure qui l’embauche.

Et il y a un jour où la fille schizophrène, alors que j’étais en visite à domicile, m’a dit

Mesure non adaptée à certains types de

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“ l’autre jour je n’allais pas bien, j’ai frappé maman, est ce que vous pouvez regarder si elle a pas mal au bras etc…je suis désolée, je suis désolée “ Après, elle, elle est malade d’un autre côté...et puis elle était consciente d’avoir fait mal à sa mère (MG 4)

Et si l’auxiliaire de vie avait fait partie d’un organisme de soins à domicile, vous auriez fait quoi ? (CB)

Le premier réflexe que j’aurais eu aurait été de contacter l’organisme pour en parler...et éventuellement de faire un signalement oui... (MG 5)

Et puis il n’y avait pas vraiment de méchanceté, il y avait plus de bêtise...vous voyez ce que je veux dire...et puis de dépassement, que vraiment la volonté de nuire ou de faire mal… (MG 7) Et que vraiment il faut que je dénote une mauvaise volonté manifeste pour que vraiment j’ai envie de lancer une procédure. (MG 7)

Ça me semble difficile…Enfin, il faut essayer d’aider les gens là, donc ça me semble compliqué de signaler ça… (MG 8)

Faut voir qu’il y a des situations où quand même les aidants sont à bout, faut plus les soutenir qu’autre chose et je crois que c’est vraiment là le problème… (MG 12)

Un médecin exprime le besoin d'obtenir une réponse rapide d'un correspondant unique afin de protéger immédiatement la personne âgée. La mesure de signalement n'est pas considérée comme la plus appropriée pour faire face aux situations urgentes et graves, car longue et avec

Absence de protection immédiate

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des issues incertaines pour la victime. Dans ce cas, le médecin généraliste interrogé a préféré l’hospitalisation.

On est plus en sécurité dans notre activité, c’est pas une question de facilité...moi la procédure de signalement, si quelqu’un débarque ou me dit dans l’après-midi on va venir voir ce qu’il se passe, c’est bon. (MG 6)

Ce dont on a besoin c’est d’un répondant rapide... (MG 6)

Non, là-dessus pour nous, il faut que ce soit simple, qu’on ait une réponse hyper rapide, d’un service, d’un téléphone, qu’on nous dise “ Ok, on a bien noté, on prend en charge la personne, on passe ce soir ou on passe demain matin “ mais ça ne peut pas être plus que 12 à 24h de délai... (MG 6)

Quelques médecins interrogés considèrent que la maltraitance des personnes âgées est essentiellement un problème social et questionnent ainsi les limites de leur intervention. Ils ont souvent recours aux services sociaux, qui semblent plus compétents pour traiter ces situations. D’autres sont conscients du rôle social qu’ils ont à jouer, mais se dédouanent de ce dernier en invoquant la méconnaissance des procédures.

Moi je ne suis ni avocate, ni assistante sociale...je pense qu’on a un gros rôle social, surtout quand on va au domicile chez une personne âgée...euh...mais on ne connait pas tout. (MG 5) Non...non c’est pas à nous de gérer...nous, on gère la santé des gens, après euh les moyens

La maltraitance, un problème social

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financiers… (MG 6)

Il faut qu’il y ait un système qui, comment dire, nous délie un peu de tous ces problèmes un peu...psychologiques où on se responsabilise, on se culpabilise, on dit “ quand même, c’est pas bien… » (MG 6)

En général, j’essaie de rester sur le plan strictement médical et d’extraire la personne si je considère que vraiment elle est pas bien...l’hospitaliser, de trouver un long séjour après… (MG 7)

Est-ce que j’essaie de confronter le fils, est ce que c’est mon boulot de le faire ? (Sourire) (MG 9)

En fait, moi je m’occupe de soigner (MG 13)

Et finalement elle avait des dettes partout et on a réussi avec l’assistante sociale à la faire mettre en maison de retraite. (MG 13)

Quand il y a des trucs qui ne vont pas, il y a l’assistante sociale qui intervient...je les appelle, ils passent voir, ils m’alertent… (MG 13)

Les jeunes médecins de notre étude ont tendance à mettre en avant leur inexpérience sur le terrain et leur manque de légitimité face à des situations complexes, qui nécessitent de trouver les bons mots au bon moment. Pour la plupart, le signalement s’apprend sur le terrain.

Apprentissage sur le terrain

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Oui pour moi elle était un peu psy et puis j'ai aussi un problème de légitimité, c'est à dire que moi je venais de m'installer, je venais de reprendre la patientèle d'une femme qui était et acupunctrice et gériatre et moi je n'étais ni l'un ni l’autre...donc la petite minette de trente ans qui débarque et qui prend la suite, je pense que j'étais pas très crédible donc elle s'en foutait de ce que je pouvais dire… (MG 1)

Il y a aussi le fait qu’à l’époque, je n’étais que remplaçante et que du coup, c’était en transition de médecin, c’était un peu compliqué. (MG 4)

Moi ça fait pas très longtemps que j’exerce, et on apprend un peu sur le tas donc on fait souvent avec des conseils de gens autour de nous ou le fait d’avoir pris en charge une autre patiente m’a donné l’idée d’appeler le CLIC (MG 5)

Mais sinon, après oui on en parle à la fac, on nous dit qu’il faut faire un signalement mais en fait je pense que tant qu’on n’en a pas fait, c’est compliqué…parce qu’il y a beaucoup de choses qu’on apprend sur le tas aussi...et qu’on apprend à force de les pratiquer (MG 5) Mais après peut-être je suis encore toute jeune donc j’ai pas vu beaucoup de cas… (MG 9)

La procédure de signalement est considérée par la plupart des médecins interrogés comme une mesure lourde à mettre en place, dont ils doutent parfois de l’efficacité et qui ne paraît pas adaptée pour tous les types de maltraitances rencontrés. Par ailleurs, on constate une tendance des jeunes médecins à privilégier l’apprentissage sur le terrain et une mise en avant de l’expérience professionnelle.

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Enfin, d’autres généralistes considèrent le signalement des maltraitances des séniors comme un problème relevant des services sociaux, auxquels ils font régulièrement appel, questionnant directement le rôle que doit jouer le médecin de soins primaires dans ces situations délicates.