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V. CINQUIÈME PARTIE : DISCUSSION

1. FORCES DE L’ETUDE

1.1 Des résultats en accord avec la littérature

Même si cette étude est qualitative, nous pouvons constater dans notre faible échantillon que les médecins de soins primaires signalent très peu les situations de maltraitances de personnes âgées qu’ils rencontrent dans leur pratique quotidienne, ce qui corrobore les quelques données chiffrées disponibles concernant le faible taux de signalement par les généralistes. [78] [83] Ainsi, dans l’étude quantitative de Kennedy menée en 2000 dans l’Etat de l’Ohio, auprès de 500 médecins de soins primaires, 94 % de ceux ayant été confrontés dans l’année à un cas suspect de maltraitance n’ont pas signalé la situation aux Agences de protection des Adultes. [82]. Deux études qualitatives américaines ont déjà mis en évidence des obstacles au signalement, qui concordent avec une partie de nos résultats.

Ainsi, en 2006, des chercheurs américains réalisent une étude qualitative en Californie à Los Angeles, par entretiens semi-dirigés, auprès de 20 médecins de soins primaires, afin d’évaluer leur perception et expérience du signalement obligatoire. [84] Il ressort de cette étude trois paradoxes :

- D’un côté, la confiance qu’a le patient en son médecin peut faciliter la révélation des faits de maltraitance et peut être aussi leur signalement. Mais d’un autre côté, la relation triangulaire entre le médecin, le patient et sa famille pourrait être affectée par une telle mesure, d’où le besoin ressenti d’avoir des preuves solides avant de lancer un signalement.

- Le deuxième paradoxe concerne la qualité de vie du patient : les médecins craignent les potentiels effets négatifs du signalement pour leurs patients, notamment une

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- Enfin les médecins ont l’impression d’avoir un plus grand contrôle de la situation grâce au signalement mais craignent dans le même temps la mise en cause de leur responsabilité. La crainte des répercussions négatives du signalement pour la personne âgée, le risque de mettre en péril la relation triangulaire médecin/personne âgée/famille ainsi que le risque de mise en cause de la responsabilité des médecins sont des obstacles que nous avons retrouvés dans notre étude. Ces résultats sont toutefois à prendre avec précaution car le système de signalement aux Etats Unis est différent : il est obligatoire pour les médecins dans un grand nombre d'Etat et a pour destinataire unique les services sociaux. En l’absence de signalement, les médecins s’exposent à des sanctions disciplinaires, ce qui n’est pas le cas en France. En 2012, une autre étude américaine qualitative menée auprès de 8 médecins généralistes, 9 infirmières et 6 travailleurs sociaux du Comté de l’Iowa, a mis en évidence d’autres obstacles au signalement [85], que nous retrouvons également dans notre enquête :

- Manque de temps

- Besoin d’avoir un diagnostic de certitude et des preuves solides

- Manque de connaissance sur les maltraitances des personnes âgées

- Méconnaissance de la procédure

D’autres barrières sont retrouvées dans la littérature, notamment dans des études quantitatives [82] [86] et concordent avec nos résultats : symptômes peu spécifiques, déni de la victime, mise en doute de la parole de la personne âgée.

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signalement que nous retrouvons dans notre enquête, notamment : les difficultés pour définir la maltraitance, la méconnaissance du cadre législatif, des procédures de signalement, une tendance à considérer la maltraitance comme une problématique principalement sociale, une crainte des représailles de la famille, et l'ambiguïté du rôle du médecin généraliste, à la fois astreint au secret professionnel pour maintenir une relation de confiance avec son patient et en même temps confronté à l'obligation de protection de la personne âgée vulnérable. [79]

1.2 De nouveaux obstacles mis en évidence

Notre étude a mis en lumière d’autres limites potentielles au signalement :

- Un repérage laborieux : les difficultés de communication avec la personne âgée, les modalités d’exercice en soins primaires et la sous-estimation de la prévalence du phénomène par les généralistes sont autant de barrières à l'identification des situations de maltraitances en ville. Certains médecins utilisent des mécanismes de défense comme le déni et la minimisation des conséquences des violences, les conduisant à occulter partiellement ou totalement ce problème dans leur pratique. Sans un repérage adéquat, il semble difficile de lancer une procédure de signalement si nécessaire.

- La subjectivité du généraliste face à des situations qui induisent une forte implication émotionnelle. Divers mécanismes notamment l'empathie pour l'aidant épuisé et la perception négative d'une personne âgée agressive ou ayant été elle-même maltraitante dans le passé peuvent constituer des freins au signalement. Par ailleurs, l'identification du médecin à l'aidant ou le rapprochement avec ses expériences personnelles peuvent interférer avec sa décision de signaler.

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permet une meilleure appréciation du contexte des maltraitances et donc une meilleure évaluation de la situation, mais d'un autre côté elle peut conduire le médecin à des interprétations erronées, influencées par les relations entretenues avec l'entourage familial de la personne âgée. Le concept de médecin de famille est même remis en question par l'un des participants de notre étude : Ah mais bien sûr, c’est pour ça que cette position de médecin de famille, c’est à la fois une chance mais c’est en même temps intenable...le mieux ce serait en fait que chacun ait son propre médecin. Parce que sinon, c’est très très compliqué... (MG 10)

- Le signalement est parfois perçu comme une mesure de protection peu efficace, non

adaptée à certains types de maltraitances notamment les maltraitances financières, négligences passives, maltraitances psychologiques et maltraitances exercées par des professionnels de santé. L’aide aux aidants est privilégiée pour les maltraitances passives.

- La méconnaissance du réseau d'aide spécifique ALMA et du 3977, qui peuvent aider le généraliste dans la prise en charge et notamment aider à la prise de décision pour le signalement. Les chiffres de la Fédération 3977 confirment cette tendance. [11]

- Le manque de connaissances des structures sociales et médico-sociales de secteur, qui peuvent aider le généraliste en évaluant de façon pluridisciplinaire la situation et effectuer un signalement au Procureur si nécessaire.

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- Les jeunes médecins expriment un manque de légitimité et d'expérience qui peut les

freiner pour réaliser une procédure judiciaire. Le signalement semble nécessiter un apprentissage sur le terrain. Ils pointent également le fossé existant entre le devoir théorique de signaler et la complexité des situations qu'ils rencontrent en pratique.

- Les médecins interrogés, lorsqu’ils mettent en doute la parole de la personne âgée ou recherchent une co-responsabilité aux maltraitances ou mettent en avant leurs craintes des répercussions du signalement, s’empêchent, consciemment ou inconsciemment, de penser la violence et passent ainsi une sorte d’alliance avec l’agresseur. Le doute du médecin profite ainsi à l’auteur potentiel des maltraitances. Cette occultation des violences par le généraliste constitue un frein important, d’une part au repérage, et d’autre part, au signalement de situations suspectes de maltraitances.

1.3 Une méthode de recherche rigoureuse

Le fait d'avoir volontairement choisi de ne pas mentionner le terme de maltraitance en contactant les médecins généralistes nous a permis d'obtenir des réponses plus riches et spontanées. Le principe d'éthique a été respecté puisque les médecins ont tous donné leur accord par oral pour la réalisation des interviews.

La population d'étude est relativement équilibrée, avec une quasi parité hommes-femmes. Toutefois, il serait intéressant d’interroger des médecins ayant participé à une formation sur les maltraitances des personnes âgées, afin d’en évaluer l’efficacité et les bénéfices dans la pratique clinique.

167 d'informations sensibles.

La démarche d'analyse des données a été réalisée pas à pas, en corrigeant le guide d'entretien au fur et à mesure, et en élaborant des thématiques et sous thématiques correspondant aux idées émergeant des entretiens.

Les données originales ont été enregistrées sur un CD-Rom, afin de permettre la consultation par un tiers et l’évaluation de la reproductibilité.