• Aucun résultat trouvé

I. PREMIERE PARTIE : Maltraitances des personnes âgées au domicile

5. CARACTERISTIQUES DE LA MALTRAITANCE CHEZ LE SUJET AGE

5.3 Les mécanismes de la maltraitance

5.3.2 Facteurs de risque de maltraitance

En parcourant la littérature, certains facteurs de risque apparaissent comme ayant un fort niveau de preuves, alors que d'autres restent encore à confirmer, et certains sont toujours contestés. Les facteurs présentés ci-dessous sont associés à des formes de maltraitance mais aucun lien direct de cause à effet n’a pu être prouvé.

a) Facteurs de risques individuels

Chez la victime :

- Sexe féminin : il semblerait que les femmes âgées soient plus souvent victimes de maltraitances que les hommes, notamment dans les sociétés patriarcales où son rôle social est considéré́ comme inférieur. Ainsi, dans certaines sociétés traditionnelles, les veuves âgées sont parfois expulsées de leur logement, privées de leurs biens ou encore victimes de mariages forcés. [17] Une autre explication avancée par Mark Lachs et Karl Pillemer est l'espérance de vie plus longue des femmes [16], qui serait associée à un risque de perte d'autonomie et troubles cognitifs, favorisant le développement de maltraitances. La maltraitance des femmes âgées peut également correspondre à la prolongation de violences conjugales au cours de la vieillesse.

46

La première étude nationale de prévalence en Grande Bretagne, réalisée par Biggs S. et Manthorpe J. en 2006, chez 2111 personnes âgées de 66 ans et plus, a montré que les femmes étaient 3,8 % à déclarer avoir subi une forme de maltraitance sur l’année écoulée contre 1,1 % des hommes. Cependant, il existait des variations en fonction du type de maltraitance. [24] Une étude nationale de prévalence en Irlande, réalisée par Naughton C. en 2012, auprès de 2021 personnes âgées de 65 ans ou plus, vivant au domicile, a également montré que les femmes étaient plus fréquemment victimes de maltraitances, tout type confondu, (2,4 %) que les hommes (1,9 %). [22]

Une autre étude de prévalence nationale américaine, menée en 2004 par Laumann E., chez 3005 personnes âgées entre 57 et 85 ans, révélait déjà que les femmes étaient deux fois plus nombreuses à signaler des maltraitances verbales que les hommes. Néanmoins, aucune différence statistiquement significative n’était mise en évidence pour les maltraitances financières, concernant le genre. [90]

Certaines études modèrent l'impact du genre sur les maltraitances et montrent que les hommes âgés sont également victimes de maltraitances, notamment financières et physiques. Ainsi, une étude européenne de prévalence chez 4467 personnes âgées de 60 à 84 ans, menée par Melchiorre et Al. en 2009 dans 7 pays différents, a montré que les hommes ont globalement été plus fréquemment victimes de maltraitances (22,8 %) que les femmes (20,6 %) sur 12 mois, notamment en ce qui concerne les maltraitances psychologiques (20 % vs 18,9 %), physiques (2,8 % vs 2,6 %) et financières (4,1 % vs 3,7 %). [23]

Le genre est donc un facteur de risque encore discuté aujourd’hui.

- Âge avancé : le rapport européen de l’OMS sur la prévention de la maltraitance [12] présente les personnes les plus âgées comme les plus à risque de subir des sévices et

47

négligences, tandis que les revues de littérature américaines de Lachs et Pillemer [16] [17], et le rapport américain d’une commission d’expert en 2003 commandé par le National Research Counsil considèrent les personnes les plus « jeunes » comme les plus à risque. [26]

- Troubles cognitifs et démence : toutes les revues de littérature, notamment celles de Mark Lachs, gériatre, et Karl Pillemer, sociologue et gérontologue, en 2004 [7] puis 2016 [17] et celle de Dong en 2015 [25], s'accordent pour affirmer qu'il s'agit d'un facteur de risque majeur de maltraitance. Les troubles du comportement et l'agressivité́ qui peuvent y être associés induisent parfois chez l'aidant un stress et une réponse par de l'agressivité́ réciproque et de la violence. Nous verrons par la suite l'importance de la formation et de l'information des aidants afin qu'ils apprennent à répondre de façon adaptée à ces situations difficiles impliquant un proche agressif.

- Pathologie mentale : Susan Roepke-Buehler a montré dans une étude de cohorte américaine en 2015 que les personnes âgées souffrant de dépression sont deux fois plus souvent maltraitées que celles n'ayant pas de syndrome dépressif. [27] Corina Naughton retrouve la même tendance dans son étude de prévalence en Irlande avec 5,7 % de personnes âgées présentant des troubles mentaux victimes de maltraitances, contre 0,9 % des sujets âgés sans pathologie mentale. (p < 0,001) [22] Les maltraitances pouvant par la suite induire une anxiété́ voire une dépression chez la victime âgée, c'est un véritable cercle vicieux qui se met en place.

- Déficience physique et dépendance fonctionnelle : ces facteurs, bien que mentionnés dans les revues de littérature de Lachs et Pillemer [7] [17], sont encore contestés et nécessitent confirmation par des études de meilleure qualité́ méthodologique avec des groupes contrôles notamment. Il semblerait toutefois que la dépendance pour réaliser certaines activités de la vie quotidienne favorise les maltraitances, notamment financières et psychologiques, comme en

48

témoigne l’étude de prévalence d’Acierno en 2008 [28] : parmi les 5777 personnes âgées de 60 ans et plus interrogées, celles qui nécessitaient une aide pour accomplir certaines activités de la vie quotidienne (ADL) étaient presque deux fois plus à risque de subir des maltraitances psychologiques (Odds ratio = 1,83) et financières (Odds ratio = 2), de façon statistiquement significative.

Le Pr HUGONOT cite dans son deuxième ouvrage La vieillesse maltraitée (1998), des propos de Michèle Myslinski, psychologue, qui tente d'expliquer la naissance de la maltraitance à l'encontre des personnes âgées dépendantes.

Selon cette psychologue, l'apparition d'une dépendance secondaire à un problème de santé va générer un véritable traumatisme pour la personne âgée, qui aura tendance à développer une violence contre elle-même d'abord, pouvant se manifester par l'hyperstimulation de fonctions amoindries (par exemple la marche), l'indifférence à la douleur ou à la fatigue, une auto-dépréciation, le refus des aides proposées et un état dépressif. Puis cette « autoviolence » va se reporter sur les proches, favorisant ainsi le développement de comportements maltraitants. L'angoisse familiale vis à vis de cette « personne danger », ce « mort en marche » selon les mots de Michèle Myslinski, peut conduire à des comportements de contrôle extrême comme l'hyperprotection et l'hyperstimulation de la personne âgée. Citons par exemple l'interdiction de sortir ou le confinement au fauteuil en cas de déficience physique afin d'éviter les chutes ou encore le nourrissage forcé qui constitue une forme de gavage et une violence pour la personne âgée dépendante. [5]

La citation est disponible en ANNEXE 4, p 196.

A l'inverse, le stress familial peut également s'exprimer par un abandon total et un isolement social de la victime âgée.

49

- Faibles revenus : selon la revue de littérature internationale de Lachs et Pillemer en 2016, les personnes âgées possédant peu de ressources financières sembleraient plus à risque d'être victimes mais ce facteur reste à confirmer par des études de fort niveau de preuve. [17] On peut aisément imaginer qu'une personne âgée en difficultés financières soit dépendante de sa famille, générant un stress supplémentaire à celui de la vie quotidienne et pouvant conduire à des comportements maltraitants.

Chez l'auteur :

- Les addictions, notamment à l'alcool et à la drogue, sont des facteurs de risque de fort niveau de preuve, comme en témoignent les revues de littérature de Lachs et Pillemer en 2015 et 2016 [16] [17], l’étude nationale de prévalence irlandaise en 2011 conduite par Corina Naughton [22] ainsi que le rapport européen de prévention de la maltraitance publié par l’OMS en 2011. [12]

Elles peuvent induire une dépendance financière vis à vis de la personne âgée qui peut mener à̀ de la maltraitance, notamment lorsque l’aidant présente des difficultés socio-économiques. Par ailleurs, les troubles comportementaux associés à l'abus de substances peuvent conduire à des violences.

- Une pathologie mentale de l'aidant, notamment l'anxiété́ et la dépression, est fortement associée aux comportements maltraitants. Ainsi, une étude observationnelle américaine menée par Cooper, a interrogé́ en 2010 220 aidants de personnes âgées atteintes de maladie d'Alzheimer : les aidants souffrant d'anxiété́ ou de dépression déclaraient plus souvent des maltraitances que les aidants n'ayant aucun trouble de l'humeur. [29]

- D’autres facteurs de risque potentiels liés à l'auteur sont retrouvés dans la littérature, notamment les difficultés financières et le chômage [16] : en effet, la précarité

socio-50

économique de l’auteur peut induire une forte dépendance vis-à-vis de la personne âgée et ainsi favoriser des comportements maltraitants. Par exemple, un fils cohabitant avec sa mère âgée, dépendant de son logement, peut refuser un placement en EHPAD alors que la situation médicale le nécessite, constituant ainsi une forme de maltraitance. La personne âgée se retrouve alors dans un environnement inadapté à ses besoins et son état de santé.

- Les antécédents de comportements violents ou une déficience physique sont également cités dans la revue de littérature de Lachs et Pillemer en 2015 [16] mais ces facteurs doivent être confirmés par des recherches de bonne qualité́ méthodologique.

Selon le rapport annuel de 2016 de la Fédération 3977, les facteurs de maltraitance chez le mis en cause sont un comportement agressif dans 30 % des cas, des relations familiales difficiles dans 19% des cas, un intérêt financier dans 18 % des cas, des troubles du comportement et des addictions dans respectivement 12% et 10% des cas. [11]

b) Facteurs de risques relationnels

- La dépendance financière et affective de l'auteur vis à vis de la victime âgée peut être source de conflits intrafamiliaux et mener à de la maltraitance, selon les revues de littératures récentes de Lachs, Pillemer [7] [17] et le rapport d’expert américains du NRC. [26]

Le Pr HUGONOT cite, toujours dans « La vieillesse maltraitée » (1998), le Dr Ida Hydle qui parle d'une « Théorie des échanges » en ces termes [5] :

La "théorie des échanges" (exchange theory) peut être le bon paradigme pour l'étude des sévices aux vieillards, tel qu'il a été́ utilisé dans l'étude sur la violence au sein de la famille en général. Les personnes qui sont dépendantes les unes des autres, comme c'est le cas dans une

51

famille, essaient toujours de maximiser leurs "gains" et de minimiser leurs "frais". De plus, une personne qui accepte des services se sent obligée envers celle qui lui a rendu le service. Toute rupture d'équilibre entre les "gains" et les "frais" peut entraîner la violence : la victime est physiquement et/ou psychologiquement dépendante de l'agresseur et l'agresseur est financièrement dépendant de la victime et le plus souvent lui-même en mauvaise condition physique ou psychologique ; autrement dit il existe une explication médico-sociale qui se base sur l'individu même

Ida Hydle évoque ici une forme de dépendance mutuelle entre la personne âgée et l'auteur des maltraitances, le plus souvent un membre de la famille proche. Une rupture de l'équilibre de cette relation d'interdépendance peut faire émerger des maltraitances.

- La cohabitation est un facteur de risque reconnu dans toutes les études [7] [16] [25] ainsi que par l’OMS. [21] Elle favorise les interactions entre la personne âgée, plus ou moins dépendante selon les cas, et son aidant (souvent un membre de la famille) et peut mener à divers conflits. La cohabitation est d'autant plus à risque que le logement est exigu et les difficultés économiques importantes, tant pour le sujet âgé́ que pour la personne qui partage son lieu de vie. Une exception toutefois est à relever, elle concerne les maltraitances financières qui surviennent plus fréquemment chez des personnes âgées vivant seules, d’après Lachs et Pillemer dans leur revue de littérature en 2004. [7]

- La qualité́ de la relation antérieure pourrait également jouer un rôle dans la survenue des maltraitances, mais reste à confirmer. On parle parfois de théorie de la violence intergénérationnelle. [7] Ainsi, les enfants devenus adultes, maltraités par leurs parents dans l'enfance, deviennent à leurs tours maltraitants lorsque le rapport de domination s'inverse avec l'âge. La violence serait donc, dans certaines familles, transmise de génération en génération comme un moyen de réaction à un stress ou une situation difficile.

52

c) Facteurs de risque communautaires

- L'isolement social de la personne âgée est un facteur de risque majeur de tous les types de maltraitances, et constitue un véritable fléau dans notre société́. [7] [12] [16] En effet, l'absence de réseau social permet aux violences de rester cachées au sein de la sphère familiale et renforce à la fois le sentiment d'impuissance de la personne âgée, qui ne voit aucune alternative à sa situation, et celui de toute puissance de l’agresseur. Une enquête qualitative hollandaise de Mysyuk Y. et Al, publiée en 2016, a interrogé́ 17 personnes âgées de 63 à 90 ans, sans trouble cognitif, victimes de différents types de maltraitances, afin de connaître leurs perceptions et leurs expériences : les personnes âgées ont ainsi expliqué que l'isolement social et la solitude les rendaient plus vulnérables et dépendantes de leur agresseur, qui restait souvent leur seul contact extérieur. [30]

L'isolement social est donc à la fois cause mais peut également être la conséquence de certaines formes de maltraitances. Par exemple, lorsqu'une personne âgée est volontairement privée de contacts avec ses amis ou membres de sa famille, elle va petit à petit être isolée du monde extérieur et dépendre entièrement de son agresseur, renforçant son sentiment d'impuissance et pérennisant le rapport dominant-dominé.

- Le manque de soutien social de l'auteur des maltraitances est également à prendre en compte, car il est souvent à considérer comme une deuxième « victime ». [16] [21] Ainsi, lorsque l'aidant principal présente des difficultés professionnelles, économiques ou encore une pathologie mentale, l’isolement social risque d'aggraver sa détresse psychologique et favoriser l’émergence de comportements maltraitants dans un contexte d’épuisement. D'où̀ l'importance d'apporter une aide aux aidants, comme nous le verrons plus loin. Les difficultés socio- économiques et médicales éventuelles rencontrées par l’aidant ne peuvent en aucun cas

53

justifier un acte de maltraitance à l’encontre de la personne âgée mais doivent être systématiquement prises en compte par le généraliste afin de proposer des aides adéquates.

d) Facteurs de risque sociétaux

Certaines normes culturelles et sociales ont un rôle sous-jacent dans l'émergence des maltraitances à l'encontre des personnes âgées, que ce soit dans les pays développés comme ceux en voie de développement. Le rapport mondial Violences et Santé de l'OMS en 2002 [6] ainsi que le rapport européen sur la prévention de la maltraitance des âgés en 2011 [12] précisent ces facteurs :

- « L’âgisme » : le terme Ageism en anglais a été́ décrit pour la première fois en 1969 par Robert Butler, psychiatre et gérontologue américain, et désigne le processus par lequel des personnes sont systématiquement stéréotypées en raison de leur âge. Les représentations sociales négatives des plus âgés prédominent dans les sociétés occidentales, les personnes âgées étant souvent considérées comme des êtres faibles, dépendants et sans utilité́ économique, comme l’explique le rapport mondial de l’OMS sur le vieillissement et la santé. [31] L'image du « vieux dégradé́ », qui n'est plus capable de rien faire nous renvoie probablement à nos propres angoisses, notamment notre crainte de la mort, affirme Sambuc R. dans son rapport « Violences et santé » de 2004 [9]. Ainsi, la discrimination liée à l'âge contribue à la marginalisation des personnes âgées et à leur exclusion de la société́, favorisant probablement le développement de comportements agressifs et violents à leur encontre. L'âgisme constituerait, un peu à la manière du sexisme pour les violences conjugales, le terreau des maltraitances des aînés.