• Aucun résultat trouvé

IV. QUATRIÈME PARTIE : RESULTATS

4. ANALYSE DES DONNÉES

4.7 Subjectivité du médecin généraliste

Le médecin généraliste constate et signale, s’il l’estime nécessaire, les actes qu’il considèrent comme dangereux pour la santé ou la sécurité de la personne âgée. Il doit toutefois se garder de tout jugement de valeur mais est-ce vraiment envisageable dans le cadre de la relation intime triangulaire médecin-patient-famille ?

155

Alors que les médecins interrogés ont conscience de la nécessité de ne pas juger, ils ressentent inévitablement des émotions qui impactent peut-être leur prise en charge.

Ben pour ce couple là où finalement le mari exprimait pas grand-chose, moi je sortais de la visite...j'étais pas... avec un sentiment de frustration et de tristesse, me dire que pauvre papi il a rien demandé, il est malade et en plus il se fait malmener, maltraiter par sa femme et finalement il s'est rien passé derrière quoi (MG 1)

J’appelle la tutrice régulièrement en disant il faut tout faire désinfecter, il y a des cafards...c’est dégoûtant moi je pose même pas mon sac j’ai peur d’en rapporter ici...dégueulasse ! C’est inadmissible ! La fenêtre se ferme plus, la porte je pense que vous donnez un coup comme ça et elle s’ouvre...c’est lamentable ! (MG 2)

Oui...après c’est ça le problème aussi c’est que je me disais, comme il est antipathique, j’ai pas envie de juger sur sa personnalité… (MG 4)

Enfin c’est atroce, c’est une histoire absolument atroce… (MG 10)

Alors je m’interroge beaucoup, c’est difficile de prendre part, on est toujours très subjectif...peut être que je m’apercevrai dans 10 ans que je me suis complètement trompé, que les deux autres m’ont embobiné et que c’est elle la victime et les deux autres qui sont des monstres… (MG 10)

Forte implication émotionnelle

156

Le rôle central du médecin généraliste dans la triangulation avec la personne âgée et sa famille peut être un atout mais également un obstacle dans la prise en charge de la victime, notamment pour le signalement. La connaissance du contexte familial peut conduire le généraliste à des interprétations ou intuitions baisées. Il existe une forme d’impossibilité de penser la maltraitance chez certains médecins, qui avancent leur connaissance de l’entourage comme un argument permettant d’écarter un tel diagnostic : penser l’impensable devient insupportable.

Elles allaient plus loin en disant qu’il y avait peut-être des attouchements par le fils, ça me paraissait totalement impossible...euh, voilà. (MG 3)

Il me paraissait totalement incompatible qu’il frappe sa mère...ça me paraissait pas possible... (MG 3)

Non, c’est lourd...et effectivement c’est d’autant plus lourd que généralement on suit la famille, c’est aussi un peu souvent ça l’écueil… (MG 7)

Alors je m’interroge beaucoup, c’est difficile de prendre part, on est toujours très subjectif...peut être que je m’apercevrai dans 10 ans que je me suis complètement trompé, que les deux autres m’ont embobiné et que c’est elle la victime et les deux autres qui sont des monstres… (MG 10)

C’est peut-être une question, je ne dis pas que c’est moi qui ai raison, mais c’est comme ça que je l’ai perçu. On a tous notre subjectivité, c’est très difficile d’être totalement neutre

Connaissance de la famille

157

et...et voilà. (MG 10)

Dans les situations d’épuisement de l’aidant, les médecins ressentent souvent de l’empathie voire s’identifient à l’aidant de la personne âgée, les conduisant parfois à minimiser les actes de maltraitance. Certains font même des rapprochements avec leur propre histoire personnelle. Par ailleurs, un des MG a évoqué la pathologie psychiatrique de l’aidant comme possible frein au signalement.

Donc euh maltraitance, maltraitance est ce qu’on ne va pas de temps en temps...est ce qu’on peut être euh moins patient, ras le bol de faire ce boulot tous les jours de 9h à machin...comme quand on garde des enfants, c’est fatiguant… (MG 2)

Et il y en a deux qui s’en occupent et qui vivent avec elle, à son domicile, pas de vacances depuis des années, pour s’occuper de la mère en permanence, de temps en temps elle leur fait des crises d’anxiété, elle pleure etc...ce qui peut les agacer (MG 3)

Et il y a un jour où la fille schizophrène, alors que j’étais en visite à domicile, m’a dit “ l’autre jour je n’allais pas bien, j’ai frappé maman, est ce que vous pouvez regarder si elle a pas mal au bras etc...je suis désolée, je suis désolée “ Après, elle, elle est malade d’un autre côté...et puis elle était consciente d’avoir fait mal à sa mère (MG 4)

CB : Donc là vous n’avez pas fait de signalement ?

Empathie pour l’aidant

158

MG 4 : Non...sauf si elle était vraiment pas contrôlée, sur le plan psy, et que c’était arrivé à plusieurs reprises...là c’était arrivé qu’une fois, elle s’est excusée et puis elle se sentait vrai-ment coupable... (MG 4)

Ma mère était extrêmement agressive, elle battait les gens, elle les insultait, elle faisait des blagues racistes...ça y allait franco ! Et pourtant c’était une dame...mais avec la maladie, ça a lâché. (MG 8)

Mais je pense que la personne n’est pas tout à fait responsable de sa maltraitance là...je pense que c’est le travail qu’on lui fait faire, répétitif, avec toujours la même personne...les associations devraient faire tourner leur personnel, un peu... (MG 8)

Faut voir qu’il y a des situations où quand même les aidants sont à bout, faut plus les soutenir qu’autre chose et je crois que c’est vraiment là le problème… (MG 12)

Ponctuel c’est à dire qu’il lui a fait une petite tape sur la joue, ça a choqué l’aide à domicile, je trouve que là c’est un peu mal placé ce genre d’attitude...parce que bon, les patients déments, ça peut être quand même très dur...physiquement, moralement… (MG 12)

Donc qu’il y ait des moments où il y ait des “dérapages” par les gens qui sont épuisés… (MG 12)

On est des êtres humains hein, moi je le vois...moi il y a des moments où je suis obligé de m’arrêter parce que j’en peux plus, quand on a les problèmes des gens toujours à gérer, qu’on absorbe plus ou moins quoi...donc je m’imagine plus tard avec mes parents, dans une situation de dépendance...nous on vit quand même avec cette idée-là, on est toujours renvoyé à ça et c’est dur hein… (MG 12)

159

Plusieurs médecins mettent en avant l’agressivité de certaines personnes âgées, ou leurs comportements maltraitants dans le passé avec leurs enfants. Sans pour autant justifier les maltraitances, le ressenti qu’ont les médecins face à ces personnes âgées pourrait les conduire à ne pas signaler certaines situations. Ils semblent ainsi rechercher une forme de « co-responsabilité » aux maltraitances, participant au phénomène d’occultation des violences.

Alors après, la question, dans la réflexion, qu’on peut se poser c’est, cette dame...c’est toujours un peu compliqué...qu’est-ce qu’elle a fait par rapport à ses enfants quand ils étaient plus jeunes, est-ce qu’elle les a pas elle-même à son tour maltraité et que du coup les enfants font juste le minimum du juste minimum… (MG 6)

Après, je vous dis, sous la réserve de savoir comment les anciens traitaient les plus jeunes...c’est sous cette réserve-là, si les anciens ont été corrects avec les jeunes, les jeunes doivent être corrects… (MG 6)

Moi mon sentiment intime, mais ça je le livre ici comme ça, c’est que en fait c’est la grand-mère qui est extrêmement maltraitante envers la fille et le petit fils depuis très longtemps, que la fille a été littéralement lessivée par sa mère et que du coup par moments il y a de la violence en retour qui se retourne contre la vieille dame, qui en profite pour dire “ je suis une vieille dame maltraitée “ ...enfin voilà moi c’est l’intuition très forte que j’ai. (MG 10)

Bon après on ne sait pas...les personnes âgées, moi je suis pas là tout le temps. Mais elles peuvent être très agressives… (MG 12)

160

Elle l’avait quand même un peu martyrisé son fils...je crois que c’était un peu un retour de bâton aussi… (MG 12)

Un médecin a évoqué la possibilité d'une maltraitance médicale, provenant des soignants, concernant la violation des droits fondamentaux, notamment le placement en EHPAD forcé.

Après la seule violence...elle viendrait de moi, c’est pas de la violence vraiment mais je leur propose l’EHPAD (MG 13)

Alors peut-être ils acceptent à un moment ou à un autre...Oui, avec beaucoup de négociations, j’y arrive...tant qu’ils laissent pas le gaz ouvert chez eux, je ne les force pas… (MG 13)

Après il y a la famille qui est là, oui on arrive à les faire mettre...mais bon, sans trop les violenter quand même...parce que s’ils acceptent pas… (MG 13)

C’est très compliqué alors parfois on est un peu brusque, maltraitant même...si les gens vivent tout seul et qu’ils laissent le gaz ouvert toute la nuit...sinon on va faire sauter l’immeuble… (MG 13)

Le médecin adopte ici une attitude ambiguë puisqu'il explique rechercher le consentement de la personne âgée mais évoque toutefois la possibilité qu'elle puisse être victime d'une forme de violence lors de l'entrée en institution. Cette ambivalence peut témoigner d'une difficulté à accepter la possibilité d'être soi-même maltraitant, induisant une certaine réticence à signaler un tiers.

Le médecin maltraitant

161

Les médecins que nous avons interrogés ressentent pour la plupart de fortes émotions faces aux situations de maltraitance, notamment de la frustration et de l’impuissance, parfois de la tristesse ou de la colère. Leur connaissance du contexte familial, l’empathie qu’ils peuvent avoir pour l’aidant et la représentation négative d’une personne âgée agressive sont autant d’éléments qui peuvent entraver la procédure de signalement.

162