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4. ANALYSE DES RESULTATS

4.4 Analyses de cas

4.4.1 Un environnement d’apprentissage : Audrey

Audrey est une élève ayant une grande facilité à l’école. Ses notes sont très bonnes, son fonctionnement et son comportement en classe sont irréprochables et elle s’implique généralement passablement dans les apprentissages. Elle pourrait être qualifiée de

« première de classe ».

Lors de l’entretien, Audrey nous a fait part de son entrain à travailler au sein du dispositif des arbres de connaissances. Ses réponses et ses propos sont en effet très positifs et en faveur de l’outil de différenciation. Elle soutient que le dispositif favorise la coopération entre les élèves, une meilleure entente et permet de montrer que tous les élèves sont égaux. Audrey apprécie également beaucoup la liberté qui lui est donnée et la possibilité de choisir elle-même les connaissances qu’elle désire acquérir. Le discours de l’élève s’inscrit dans la tendance de ceux qui perçoivent le contexte créé par les arbres de connaissances comme un réel environnement d’apprentissage.

Malgré son enthousiasme pour le dispositif, l’élève ne prétend pas s’impliquer davantage que lorsqu’elle travaille en classe, hors du cadre des arbres de connaissances. Toutefois, elle justifie sa réponse en expliquant qu’elle s’implique toujours quotidiennement et, qu’ainsi, bien qu’elle préfère travailler avec ce dispositif, son implication est identique. Ces propos sont récurrents chez les élèves ayant un bon fonctionnement.

Personne ne sait tout et personne ne sait rien

Les principes énoncés par Authier et Lévy reviennent souvent dans le discours de l’élève. En effet, celle-ci affirme de nombreuses fois que chaque élève peut apporter quelque chose à ses camarades dans la mesure où personne ne sait tout et personne ne sait rien : « […]

Personne sait rien et tout le monde peut apprendre quelque chose qui sait et que les autres ne savent pas ». Elle affirme alors que le dispositif permet de montrer que l’on est tous égaux, que chacun peut apporter quelque chose que l’autre n’a pas et c’est en ce sens qu’elle trouve ce type de travail très intéressant : « C’est bien ça parce qu’il y a pas de nuls, il y en a qui sont forts en sport, un peu moins à l’école. Et d’autres qui sont forts à l’école mais pas forts en sport ». Notons que nous n’excluons pas que le concept de désirabilité sociale ait pu avoir une influence sur la réponse de l’élève.

Ce qui est intéressant dans son discours, c’est que l’on aurait pu imaginer qu’en étant une bonne élève, cela lui aurait été égal que le dispositif montre que les élèves soient tous

égaux, celle-ci ne se sentant pas d’habitude moins compétente que ses camarades.

D’ailleurs, elle affirme que le dispositif ne lui donne pas le sentiment d’être plus forte et qu’il n’a donc pas d’influence sur sa perception de compétence. Alors pourquoi apprécie-t-elle tout de même cette égalité entre tous les élèves ?

L’hypothèse que l’on pourrait esquisser serait que cela crée une atmosphère de travail plus sereine et plus détendue dans la mesure où tous les élèves sont égaux et dans la mesure où les élèves apprendraient davantage à se connaître en partageant véritablement leurs intérêts : « On respecte plus les autres, on est plus proche d’eux, on se connaît un peu mieux et ça fait une meilleure ambiance. On explique pas seulement à nos amis, ça nous rapproche ». Ainsi, les moqueries et les inégalités disparaissent et laissent place au respect de chacun : « Comme ça on se moque de personne en disant "ouai lui il sait rien faire". Ça montre les qualités de tout le monde, on s’aide et on travaille mieux ». Selon elle, cela permet alors de créer un climat de classe basé sur la coopération ce qu’elle semble particulièrement apprécier et il s’agit pour elle d’un important facteur de motivation.

D’autres types de savoirs

Par ailleurs, si elle considère que tous les élèves sont égaux, c’est sans doute dû au fait que, pour elle, tous les savoirs ont la même valeur, même ceux qui s’éloignent de l’école. Nous le sentons d’ailleurs quand elle répond que les brevets qu’elle propose ainsi que les brevets qu’elle passe sont utiles à ses yeux :

Si j’ai l’impression que ça me sera jamais utile, je vois pas pourquoi je vais l’apprendre. Ça sert à rien. Bon c’est peut être pas utile tout de suite pour avoir une bonne note mais après ça peut sûrement.

L’élève évalue donc les savoirs en fonction de l’utilité qu’ils revêtent en dehors de l’école et pas uniquement en termes scolaires. Elle avoue ne pas choisir des activités si elles n’ont pas de sens ou d’utilité à ses yeux. Son but est donc d’apprendre et de progresser. Nous constatons alors qu’elle considère cela comme un véritable travail et non comme un moment de détente que les enseignants proposent pour laisser « souffler » les élèves. Elle affirme d’ailleurs particulièrement aimer avoir la possibilité d’apprendre des choses qui ne sont pas d’ordre scolaire. En outre, étant une bonne élève, le dispositif lui permet d’aller plus loin dans son apprentissage :

Par exemple, si t’es obligé de faire des choses en rapport à l’école et que

tu sais déjà bien tout, tu peux pas apprendre d’autres choses que tu sais pas. Là on nous laisse libre et on peut choisir ce qu’on sait pas.

Le travail au sein du dispositif lui permet alors de choisir et d’acquérir des connaissances qui l’intéressent, que l’école ne donne pas l’opportunité d’approfondir, ce qu’elle trouve alors très enrichissant. A travers ses propos, nous pouvons percevoir le potentiel du dispositif en tant qu’outil de différenciation. Les élèves ne stagnent plus, ne sont pas contraints d’effectuer une énième activité sur un sujet qu’ils semblent déjà maîtriser.

Nous le savons, les élèves ayant de la facilité comprenant très rapidement les savoirs en jeu, peuvent vite s’ennuyer en classe. Audrey avoue elle-même que le travail en classe peut être

« ennuyant ». Les arbres de connaissances peuvent alors permettre à ces élèves de s’approprier une palette de connaissances extrascolaires et, ainsi, en mettant en œuvre le dispositif, l’enseignant tient compte des besoins différenciés des élèves ce qui peut ainsi maintenir leur implication à l’école. Les autres élèves s’inscrivant dans cette tendance sont en accord avec les propos d’Audrey, également ceux rencontrant des difficultés qui affirment alors pouvoir choisir des sujets qu’ils ne maîtrisent pas pour progresser.

Etre responsable

Alors qu’ordinairement à l’école de nombreuses choses sont imposées, au sein du dispositif l’élève est libre et autonome. Or, comme de nombreux élèves, Audrey apprécie également beaucoup la liberté qu’on lui donne ainsi qu’à ses camarades. Outre de choisir ce qu’elle désire apprendre et de gérer sa propre formation, l’élève nous fait part de sa motivation quant à la responsabilité qu’on lui donne : « Comme ça c’est bien d’apprendre quelque chose aux autres. C’est mieux c’est pas toujours la même personne qui nous apprend ».

Son plaisir de travailler avec les autres revient de façon assez récurrente dans son discours.

Elle aime le fait que l’enseignant ne soit pas le seul à détenir le savoir et que chaque élève endosse le rôle du maître car, ce qu’elle apprécie effectivement le plus, c’est de pouvoir enseigner elle-même à ses camarades. La confiance qu’elle a en elle-même joue à notre sens un rôle important. Elle avoue avoir une perception positive de sa compétence quels que soient les disciplines ou les domaines. On peut alors supposer que si elle apprécie autant enseigner à ses camarades, c’est qu’elle s’en sent tout à fait capable et que cela ne devient pas un facteur de stress qui pourrait influencer de façon négative son implication.

L’élève apprécie ainsi d’être tuteur ce qui est positif car le tutorat est un puissant vecteur

d’apprentissage (Connac, 2009). L’élève doit en effet mobiliser ses connaissances, les adapter au « novice », choisir ses mots et, par conséquent, s’approprie encore davantage les savoirs en jeu. Elle se sent alors responsable de l’apprentissage de ses camarades. En ce sens, elle affirme plus s’appliquer pour ne pas leur proposer une activité qui ne leur permettrait pas de progresser et pour ne pas trahir la confiance des enseignants. Nous voyons alors que l’autonomie est un facteur de motivation qui maintient l’application de l’élève dans ses apprentissages et qui la pousse à persévérer face à des difficultés.

De potentiels problèmes d’intégration…

Une des réponses d’Audrey, assez récurrente chez les élèves, peut toutefois interroger et remettre en cause la pertinence du dispositif et du travail autonome qui en découle. L’élève nous avoue choisir, de temps en temps, de passer les brevets de ses amis pour leur faire plaisir : « Mes copines me demandent souvent "tu peux faire mon brevet ? tu peux faire mon brevet ?" alors j’ose pas trop leur dire non. Je veux leur faire plaisir. Même s’il est pas très bien ». Mais alors qu’en est-il des élèves qui rencontrent des problèmes d’intégration dans la classe, des « têtes de turc » comme on l’entend souvent ? Au sein de cette classe, selon les propos de l’enseignant, il ne semble pas y avoir de problèmes d’intégration majeurs mais on pourrait alors s’interroger sur l’efficacité du dispositif à ce niveau dans une autre classe qui, elle, comporte un élève qui n’est pas accepté par ses camarades. Nous pouvons alors imaginer que, dans cette optique, peu d’enfants passeraient le brevet de ce dernier et celui-ci se sentirait donc encore plus exclu du groupe classe. Il s’agit d’un risque que l’on court avec ce dispositif fondé sur la liberté de chacun. L’enseignant doit alors en être conscient pour intervenir et, si nécessaire, réduire la liberté offerte aux élèves.

Finalement, pour conclure, nous pourrions soutenir, malgré l’aspect négatif relevé précédemment, que le dispositif a, pour les élèves s’inscrivant dans cette tendance, l’effet espéré et promis par Authier et Lévy. Le dispositif prend en compte les différences de chacun, met en évidence que tous les élèves sont égaux, favorise la coopération et l’échange de savoirs et permet de rendre autonomes les élèves.