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4. ANALYSE DES RESULTATS

4.4 Analyses de cas

4.4.4 Un environnement habituel : Matéo

Matéo est un élève en difficulté. Bien qu’il progresse, ses résultats scolaires ne sont toujours pas suffisants. Ils peuvent sans doute s’expliquer par un comportement, un fonctionnement et une implication inadaptés dans les apprentissages scolaires. Toutefois, selon l’un de ses enseignants, l’élève aurait tout à fait les possibilités pour réussir à l’école. Ce qui lui manque ,surtout, c’est la motivation.

Lorsque l’on s’entretient avec l’élève au sujet des arbres de connaissances, on s’aperçoit assez vite que le dispositif n’a pas d’effets positifs sur ses perceptions et son implication et pourrait même avoir certains effets négatifs. Tout comme une autre élève, nous avons l’impression qu’il ne ressent pas de véritable changement entre le travail fait en classe et celui effectué au sein du dispositif. Certes, il admet que l’outil permet de favoriser la coopération mais affirme, toutefois, qu’il met en avant les inégalités entre les élèves. Matéo avoue se comparer à ses camarades et ne pas se sentir très à l’aise dans cette démarche de travail autonome.

Par ailleurs, ses dires nous poussent à penser qu’il ne se sent pas véritablement libre lorsqu’il travaille dans le cadre du dispositif. Les réponses de Matéo se distinguent souvent de celles données par les autres élèves. Il nous semblait alors essentiel d’aborder de plus près le cas de cet élève afin de mettre en avant certaines limites et certains risques que peut comporter le dispositif des arbres de connaissances en contexte scolaire.

Le regard des autres

Ce qui ressort principalement de l’entretien de Matéo c’est son souci quant au regard des autres. A travers ce dispositif, il tente de démontrer aux autres que lui aussi est capable de faire des choses. D’ailleurs lorsqu’on l’interroge sur la fonction du dispositif, l’élève nous répond qu’il permet de « dire aux autres de quoi on est capable et savoir de quoi on est pas capable ». Il avoue alors de temps en temps vouloir choisir des brevets faciles pour montrer à ses camarades qu’il y arrive et pour que les enseignants le félicitent. La poursuite des buts de performance est assez flagrante dans son discours. Nous pouvons supposer que ce choix est motivé par sa sensation d’être en quelque sorte constamment évalué. En effet, lorsque nous lui demandons les raisons qui ont poussé les enseignants à mettre en œuvre un tel dispositif, l’élève répond : « Pour qu’il sache ce qu’on est capable de faire, savoir si on a le niveau ».

La question que l’on pourrait alors se poser est la suivante : quelles sont les raisons qui le poussent à se sentir évalué ? Une hypothèse serait de penser que l’élève ne se détache pas de ce système scolaire au sein duquel, nous le savons, l’évaluation tient une place importante. Il ne différencierait alors pas le travail quotidien du travail au sein du dispositif.

Par ailleurs, nous pouvons ressentir un sentiment négatif chez l’élève lorsqu’il craint d’être mal jugé. Dans l’entretien, l’élève fait en effet référence trois fois à un épisode qui semble l’avoir marqué. Il revient sur un élève qui lui a fait prendre du retard. Voici sa réponse lorsque nous lui demandons ce qu’il se dit lorsqu’il aperçoit que les autres possèdent plus de brevets que lui : « Je dis rien car c’est pas ma faute c’est la faute à celui qui a fait mon brevet car il disait n’importe quoi comme poisson qui existe même pas… Ça m’a fait perdre trop de temps ». Matéo renvoie la faute de son retard à un autre élève et il peine à tolérer que celui-ci le freine dans sa « lancée ». L’élève se sent alors gêné et énervé de ne pas avoir autant de brevets que les autres. Cette rancœur, si nous pouvons l’appeler ainsi, nous amène à penser que l’élève cherche absolument à ne pas se retrouver dans les « faibles ».

Des « bons » et des « moins bons »

Pour Matéo, ce système montre que les élèves ont des différences de niveaux. Selon son discours, ce niveau est déterminé par deux critères : le nombre de brevets passés et la nature du brevet proposé. Nous avons effectivement pu constater que l’élève était gêné à l’idée de passer moins de brevets que ses camarades. Cela vient alors du fait, qu’à ses yeux, le nombre de brevets est un indicateur de niveau : « Bah oui… on passe les brevets…

l’élève affirme ne pas se sentir en compétition avec ses camarades ce qui est assez surprenant si l’on se base sur ses propos. Nous pouvons alors supposer qu’il ne souhaite pas nous le confier ou, tout simplement, qu’il ne souhaite pas « battre » ses camarades mais uniquement ne pas être « le moins bon » de la classe et qu’il n’est alors pas pour ainsi dire dans une optique de compétition. De plus, les élèves proposant des brevets relatifs aux disciplines scolaires sont considérés à ses yeux comme les bons de la classe :

Il y a des bons et des moins bons… Parce que les arbres de connaissances ça sert à savoir si on sait faire la même chose que les autres et si on sait pas faire la même chose. Il y en a des bons qui savent bien les maths, moi moins bien.

On a alors l’impression que le choix du brevet peut stigmatiser les élèves dans le sens où, lorsque ceux-ci ne choisissent pas de disciplines scolaires, ils sont considérés dès lors comme de « mauvais élèves ». A partir de ces propos, il n’est alors pas étonnant de constater que le dispositif n’a pas d’effet sur sa perception de compétence.

Ici, le dispositif des arbres de connaissances se voit alors directement confronté aux problèmes liés au système scolaire, à savoir que seulement certaines disciplines sont réellement valorisées. Un élève est bon s’il est fort en mathématiques et les élèves plurilingues, aux capacités manuelles, sont mis de coté de par le fait que leur compétence n’est pas réellement reconnue par l’école et ne leur permettra pas d’obtenir de bonnes notes.

L’élève avoue lui-même ne pas considérer que le brevet de portugais qu’il propose est utile.

Pourtant, nous savons l’importance que représente l’apprentissage des langues. Toutefois, à l’école, le portugais n’est pas enseigné et n’est pas évalué. Nous pouvons donc supposer que l’élève ne voit pas l’utilité dans la mesure où, à ses yeux, ce qui est utile c’est ce que l’école enseigne.

Toutefois, il n’y a pas que des aspects négatifs dans le discours de l’élève. En effet, on comprend que, malgré cela, il apprécie avoir la possibilité de travailler davantage avec ses camarades : « J’aime bien partager ce que j’aime faire avec les autres ». Il trouve alors, malgré tout, que cela crée une meilleure ambiance au sein de la classe.

Une trop grande liberté…

L’élève ne semble pas à l’aise dans la démarche autonome inhérente au dispositif. Il est le seul élève ayant affirmé souhaiter recevoir davantage d’aide de la part de ses enseignants.

Comme nous l’avons déjà laissé entendre dans le cadre de ce mémoire, les élèves rencontrant des difficultés scolaires sont bien souvent des élèves qui peinent le plus à se gérer de façon autonome. C’est le cas ici avec Matéo. D’ailleurs, d’un côté, l’élève avoue aimer cette responsabilité qu’on lui donne car, selon lui, cela change du quotidien mais, de l’autre, il trouve cela très difficile et prétend ne pas réussir. L’élève ne se sent pas en mesure de prendre, seul, sa progression en main. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande s’il aime avoir l’opportunité de choisir lui-même les savoirs qu’il désire acquérir, ce dernier répond qu’il préfèrerait que les enseignants interviennent et choisissent pour lui : « Parce qu’en fait j ai une sale habitude de prendre souvent le plus facile ou pas ce qu’il faut et comme ça si l’enseignant m’oblige je progresse ». Dans ces propos, nous retrouvons ici son envie de choisir des brevets faciles pour, sans doute, se détacher de son statut d’élève en difficulté et impressionner ses camarades. Précisons d’ailleurs qu’il s’agit du seul élève chez lequel nous n’avons trouvé aucun but dominant et qui poursuit donc à la même fréquence des buts de performance et des buts d’apprentissage.

Les contraintes scolaires

Ce qui attire également notre attention dans les propos de cet élève c’est quand il avoue ne pas choisir « ce qu’il faut ». Nous pouvons alors penser que l’élève fait directement référence aux normes scolaires pour définir ce qu’il faut ou ne faut pas faire. L’école a ses règles, ses lois, ses disciplines et l’élève semble avoir beaucoup de peine à s’en détacher lorsqu’il travaille au sein du dispositif. Sa peur de l’échec, de ne pas se diriger dans la bonne direction peut être ressentie dans son discours. Lorsqu’il interroge ses enseignants c’est en effet pour savoir s’il a le droit de faire telles ou telles choses : « J’ai besoin d’aide du professeur, je fais pas comment il faut tout seul ». Il consulte alors ses enseignants afin de savoir s’il peut faire sur tel sujet, s’il a le droit de poser de telles questions ou encore s’il a le droit d’écrire avec un stylo particulier : « Oui pour savoir si on a le droit d’écrire au stabilo, pour l’orthographe… aussi pour savoir si on la droit de faire sur ce sujet, de poser aussi ces questions par exemple ».

Par ailleurs, quand on l’interroge sur son fonctionnement lorsqu’il crée un brevet, l’élève nous explique comment il procède en utilisant constamment le verbe « devoir » :

En premier on doit prendre une feuille avec des carreaux et on doit écrire ce qu’on doit faire passer, ce que les autres vont savoir… Ensuite on doit faire corriger par le prof et après on doit écrire la même chose avec les corrections.

Nous pouvons alors penser que l’élève ne se sent pas vraiment libre lorsqu’il travaille dans le cadre du dispositif puisqu’il pense sans doute qu’il n’y a qu’une certaine manière de faire qui est tolérée. Nous supposons alors que c’est ce qui inquiète l’élève dans cette démarche de travail autonome. En effet, peut être a-t-il l’impression de devoir gérer seul son apprentissage, mais dans un cadre avec des intentions implicites, dans lequel une seule façon de faire est considérée comme juste et qu’il n’est pas sûr de cerner. Ce doute de faire

« juste » ou « faux » lui fait donc peur dans la mesure où il craint de replonger directement dans son statut de « mauvais élève » et ce sont les raisons qui le poussent à demander de l’aide à ses enseignants.

La question que l’on pourrait se poser est la suivante : est-ce que l’élève vivrait de la même façon ce travail autonome inhérent au dispositif s’il arrivait à se détacher des exigences scolaires ? La recherche menée ne nous permet pas de répondre à cette question et, bien que nous supposions que la réponse soit positive, elle restera néanmoins en suspens.

Des savoirs qui ont du sens… mais pas trop…

La question du sens des savoirs est également un paramètre qui nous pousse à penser que l’élève est totalement influencé par le système scolaire. En effet, lorsqu’on lui demande si les brevets qu’il crée ou qu’il passe sont utiles, il répond en douter. Pourtant, précédemment, il affirme qu’il apprécie apprendre aux élèves le portugais dans la mesure où celui-ci leur permettra de se débrouiller au Portugal : « J’aime bien comme ça ils peuvent progresser dans les langues. Comme ça s’ils vont en vacances au Portugal ils savent parler la langue ».

Nous pouvons alors être surpris de le voir considérer le portugais comme un apprentissage peu utile.

A notre sens, l’élève est conscient que ces apprentissages peuvent être utiles dans la vie courante mais, influencé par les exigences du système scolaire et des disciplines qu’il valorise, il juge inutile tout ce qui n’est pas enseigné à l’école. L’hypothèse la plus probable est que Matéo ne juge utile que ce qui lui permet de réussir à l’école et d’avoir de bonnes notes. En ce sens, comme nous l’avons déjà mentionné auparavant, le portugais n’étant pas enseigné à l’école, il serait alors jugé comme inutile par l’élève.

Par ailleurs, l’élève affirme que le dispositif lui permet de progresser mais lorsqu’on lui demande en quoi, il peine à répondre. Il sait que, comme toute chose à l’école, cela lui permet d’apprendre mais nous avons l’impression que l’élève ne saisit pas le sens du dispositif, qu’il fait des choses sans savoir exactement pourquoi et ce qu’elles lui apporteront,

puisqu’elles ne sont pas directement en lien avec l’école.

Aussi, il n’est pas étonnant d’entendre l’élève nous dire qu’il ne s’implique pas plus que d’habitude et qu’il n’a pas réellement de préférence entre les deux types de travail. La raison la plus probable, et nous l’avons déjà laissée entendre, est que l’élève ne différencie pas réellement le travail quotidien du travail lié aux arbres de connaissances. A ses yeux, il s’agit d’un travail de l’école dans lequel les élèves doivent être autonomes mais à travers lequel ils sont également jugés et évalués. Il ne semble pas être sensible à ce qu’Authier et Lévy tentent de mettre en avant avec la création de ce système et ne perçoit pas ses compétences extrascolaires comme des atouts.