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Conclusion du chapitre

3.3. Les différents types d’acteurs et la typologie des filières

3.3.1. Un circuit de commercialisation très segmenté

Les pisteurs sont des acheteurs localisés en zone rurale. Leur fonction est de concentrer des volumes de productions qui sont atomisés par une offre disséminée sur l‘ensemble du bassin de production. Ils sont en contact direct avec les producteurs avec qui ils négocient les prix. À ce niveau de transaction l‘unité de mesure est généralement la boîte, qui équivaut à 1,5 kg de noix brutes 39

, ou la tine qui correspond à 6 boîtes. Le pisteur peut prospecter dans une vaste zone regroupant plusieurs communes (« pisteurs mobiles » selon Ricau 2010) ou se baser dans un ou plusieurs villages dont il est originaire (« pisteur-résident » ou « sous-pisteur » selon Ricau 2010). Dans ce cas, il peut être producteur d‘anacarde lui-même et acheter d‘autres noix auprès d‘autres producteurs du village. La confiance accordée au pisteur-résident est plus grande et les enquêtes montrent que les producteurs favorisent toujours un pisteur du village plutôt qu‘un « étranger », à prix d‘achat égal. Les pisteurs peuvent être autonomes ou préfinancés par des grossistes, car ils débutent généralement la saison sans avoir beaucoup de trésorerie. Les pisteurs autonomes peuvent revendre les noix à des grossistes ou même à d‘autres pisteurs lorsqu‘ils proviennent de zones isolées. Dans ces cas, ils sont parfois les seuls interlocuteurs de la filière pour certains producteurs isolés. Lorsqu‘un producteur juge qu‘il a bien négocié le prix avec un pisteur, il peut en faire profiter un autre producteur du village en le lui présentant et en s‘assurant que le pisteur annonce bien le même prix. Les pisteurs pré-financés effectuent des repérages afin de cibler des villages où plusieurs tonnes de noix peuvent être achetées et transportées rapidement. Lorsqu‘ils ont pré-négocié l‘achat des noix avec les producteurs, ils

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86 obtiennent le financement du grossiste et viennent avec de petits camions (3 à 5 tonnes) pour collecter rapidement la noix dans le village ciblé et avant que d‘autres pisteurs n‘interviennent40.

Les grossistes sont localisés dans les centres urbains (Orodara, Bobo-Dioulasso, Banfora, Niangoloko, Gaoua, Léo). Ils ont une capacité de stockage et une facilité de transport pour les gros volumes de noix (capital matériel important ou sous-traitance du transport). En pleine saison, ils peuvent envoyer un camion de 40 tonnes par semaine vers leur exportateur (directement en Côte d‘Ivoire ou à Bobo-Dioulasso). Ils fonctionnent sur un réseau large de pisteurs, répartis dans des zones bien précises. Ils peuvent être préfinancés par les exportateurs qui fixent le prix de la noix. Le grossiste contacte alors ses pisteurs et annonce son prix en tenant compte de sa marge.

Deux circuits se différencient pour l‘exportation : la noix brute et la noix transformée. Pour la noix brute, il existe deux types d‘exportateurs :

- des sociétés commerciales étrangères (indiennes pour la plupart) ou des filiales de sociétés étrangères qui se chargent du transport et de l‘exportation de la noix ;

- de grands commerçants indépendants qui exportent les noix hors du Burkina vers les ports africains, de façon plus ou moins licite. Ils ne sont alors pas les derniers maillons de la filière avant l‘exportation finale. Ils revendent ensuite le stock à un exportateur au niveau du port d‘Abidjan 41

.

Dans les deux cas, ces exportateurs sont généralement basés à Bobo-Dioulasso, pour être au plus proche des grossistes et des départs de transporteurs routiers.

Pour la noix transformée, ce sont directement les unités de transformation (société, coopérative, association) qui se chargent d‘exporter le produit transformé et conditionné. Pour ces unités de transformation, l‘approvisionnement en noix est très complexe et la concurrence est rude avec la filière de l‘exportation de la noix brute. Ce point sera détaillé ultérieurement (§3.3.4).

Les grossistes et les exportateurs sont rarement spécialisés dans l‘anacarde, ils participent également à la commercialisation du karité et du sésame, voire du riz, du maïs et des mangues fraîches. Ils sont flexibles et s‘adaptent aux évolutions du marché des produits concernés. Certains pisteurs travaillent donc toute l‘année pour des grossistes et changent de produits selon les périodes de récolte (comm personnelle Rousseau 2013). Grossistes et exportateurs s‘informent ainsi en permanence des prix et des stocks existants, en amont et en aval de leur position dans la filière, au Burkina Faso, mais aussi au Mali et en Côte d‘Ivoire (voir encadré 1).

40 Pour une description très détaillée de ces relations en cascades entre producteurs, pisteurs, grossistes et exportateurs en Côte d‘Ivoire, voir le document de Ricau et Konan (2010)

41 Nous les considérons ici comme des exportateurs du Burkina Faso, mais pour la filière ivoirienne ils sont considérés comme des grossistes.

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87 Encadré 1 : La réactivité des grossistes

Un grossiste rencontré à Bobo-Dioulasso en 2013 s‘informait du prix de la noix au sud du Mali, car son prix avait chuté après que les acheteurs ivoiriens eurent délaissé la zone, trop occupés par leur marché intérieur. Il a donc très rapidement affrété un camion pour s‘approvisionner auprès de différents grands pisteurs et importer les noix jusqu‘à Bobo-Dioulasso. La frontière étant très poreuse, il a demandé au chauffeur d‘emprunter des pistes lui évitant de passer par les douanes et réduisant ses coûts. D‘autres sources d‘enquêtes de terrain indiquent que l‘exportation vers le Ghana jusqu‘au port de Tema est facilitée lorsque les noix d‘anacarde sont conditionnées dans des sacs utilisés pour le cacao sur lesquels il est inscrit « Product of Ghana ». Il est donc relativement facile pour les grossistes de se fournir et de revendre dans la sous-région.

Pour le transport des noix brutes, c‘est généralement la voie routière est qui privilégiée, avec des camions de 40 tonnes. Le transport est à la charge de l‘exportateur pour l‘aller. La cargaison est généralement déchargée au port d‘Abidjan directement chez le transitaire ou dans le magasin de l‘exportateur, où elle peut être stockée dans l‘attente que les prix montent. Le prix du transport varie selon la saison, avec un coût plus élevé en décembre et janvier au Burkina Faso (du fait de la concurrence avec la fin de la récolte du coton) et en janvier –février en Côte d‘Ivoire (pic de récolte du cacao). Ricau (2010) a calculé que le coût de transport (prestation de service, frais de retour et barrages) sur le trajet Bouaké-Abidjan varie entre 15 et 30 FCFA/kg de noix brutes, ce qui est considérable. Pour les noix burkinabè transportées depuis Bobo-Dioulasso ou depuis un autre pôle urbain, il faut ajouter les coûts de transport jusqu‘à la frontière ainsi que le passage des douanes. Pour le marché des noix transformées, certains exportateurs traitent directement avec les groupements de producteurs et avec les unités de transformation, c‘est le cas de Burkinature SARL et de GEBANA qui exportent des amandes biologiques et équitables. Cette forte proximité est rendue possible par les faibles volumes engagés (transport par fret aérien, plutôt que par containers maritimes) et le marché de niche sur lequel ces exportateurs se positionnent.

Pour synthétiser, dans le mode de commercialisation le plus segmenté, les relations de fidélisation sont dominantes. Les exportateurs, qui sont les piliers de ces réseaux commerciaux, contractent en priorité avec les grossistes de confiance et respectueux de leurs engagements (volume, qualité, prix, délais). À leur tour, les grossistes feront travailler les pisteurs en qui ils ont confiance. Ces derniers achèteront les noix dans des villages où ils connaissent déjà quelques producteurs pour réunir rapidement de grands volumes. Dans leur étude, Ricau et al (2010) expliquent que certains grossistes ivoiriens souhaiteraient s‘émanciper des exportateurs et commercialiser directement à l‘international. Ils avancent que des sociétés nationales seraient viables mais ils ne bénéficient pas de la crédibilité nécessaire (faibles connaissances en commerce international et non-maîtrise de l‘anglais), ni des agréments, ou de l‘accès

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88 aux financements bancaires. Ces contraintes les poussent finalement à se maintenir dans les réseaux des exportateurs, quitte à réduire leurs marges, pour obtenir des préfinancements.