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d’innovation et au territoire

4.3. L’innovation agricole, dans un espace géographique

4.3.4. Approche de l’innovation par le territoire

Les différentes théories de la localisation des activités, des innovations et de leur diffusion, nous amènent à considérer l‘espace en tant que milieu organisé et approprié par la société, c‘est-à-dire comme un territoire. Les concepts de milieux innovateurs, tout comme celui des SYAL ont d‘ailleurs largement intégré le territoire dans leurs réflexions. L‘utilisation abusive de ce terme a rendu la notion polysémique58, c‘est pourquoi j‘ai jugé utile59

d‘en rappeler ses grands principes au regard des questionnements que posent l‘innovation. En premier lieu, je retiendrai la définition de Brunet (1993),

« le territoire est un espace approprié, avec sentiment ou conscience de son appropriation » (Brunet

et al., 1993 ; 480). Le territoire est composite, il est à la fois (i) espace de ressources (ii) identité, (iii) espace de proximité, (iv) de réseau, (v) et fait système spatial60.

58 Parfois même appelé « boîte noire typique de la science sociale » (Vanier, 2009 ; 12)

59 Démarche qualifiée d‘« exigence minimale mais impérieuse » par Gumuchian et Pecqueur (2007) 60

Il existe de nombreuses catégorisation des composantes du territoire ; il est « un espace exploré, analysé et

idéalisé » selon C. Alvergne (Alvergne, 2008 ; 19), il est « matérialité, appropriation, configuration spatiale et auto-référence » pour Lévy et al (Lévy et Lussault, 2003 ; 910), il est l‘imbrication de trois facettes : existentielle, physique, et organisationnelle selon Le Berre (Le Berre, 1995), il est l‘articulation entre un espace support, un espace vécu et un espace cognitif pour D. Gautier (Gautier, 2011). Les cinq composantes énoncées

sont donc une autre catégorisation que je propose et qui présente l‘avantage de questionner l‘innovation sous divers points de vue.

Chapitre 4 : des entrepreneurs au système d‘innovation et au territoire

139 (i) Le territoire est un espace de ressources : Le territoire possède ses propres ressources naturelles, matérielles et humaines. Ces caractéristiques offrent des moyens de production qui permettent au territoire de développer plus facilement certaines activités. Par exemple, les zones rurales ayant accès à des cours d‘eau, situées à proximité des grandes villes ouest-africaines et desservies par des voies routières auront tendance à fortement développer le maraîchage. Le modèle de Von Thünen suggère ainsi une organisation auréolaire des cultures en fonction de la rente de localisation (la distance au marché, les caractéristiques des cultures en termes de périssabilité et de coût de transport (Géneau de Lamarlière et Staszak, 2000 ; 322, 335)). En géographie économique si l‘on ajoute à ce modèle les contraintes liées à l‘hétérogénéité spatiale, les producteurs orientent leur choix vers certaines activités en fonction des avantages comparatifs que le territoire présente. Plus récemment, Gumuchian et Pecqueur ont contribué à considérer le territoire non plus comme support de ressources mais comme une ressource à part entière. Les ressources du territoire ne sont pas toujours accessibles, elles peuvent être activées ou latentes ; matérielles ou immatérielles (Gumuchian et Pecqueur, 2007). Ils citent l‘exemple d‘un gisement de minerais qui est une ressource inactivée tant qu‘elle n‘est pas exploitée, ce qui nécessite un investissement en termes d‘infrastructures et des compétences particulières et adaptées au milieu pour maîtriser les techniques d‘extraction. Ainsi la ressource « territoriale » doit résulter du « jeu d’acteurs constitués en territoire » et refléter certaines stratégies spécifiques des acteurs en fonction des caractéristiques du territoire. Gumuchian et Pecqueur excluent donc les ressources exogènes et génériques (c‘est-à-dire reproductibles à l‘identique quel que soit le territoire). Le territoire est donc source de production et d’invention.

(ii) Le territoire est identité : Le territoire est à la fois l‘espace de fondement des pratiques sociales, de leurs émergences et de leurs évolutions. Ces liens de réciprocité entre acteurs et espace fondent son sentiment d‘appropriation. Selon Brunet (1992) « le territoire tient à la « projection » sur

un espace donné des structures spécifiques d’un groupe humain, qui incluent le mode de découpage et de gestion de l’espace, l’aménagement de cet espace. Il contribue en retour à fonder cette spécificité, à conforter le sentiment d’appartenance, il aide à la cristallisation de représentations collectives, des symboles qui s’incarnent dans des hauts lieux » (Brunet et al., 1993 ; 480). Le territoire fonde son

identité selon son histoire et des valeurs culturelles partagées, il est en construction permanente. La dimension idéelle du territoire est particulièrement mise en avant par G. Di Méo, pour qui le territoire s‘inscrit dans une correspondance entre l‘idéel et le matériel : « son édification combine les

dimensions concrètes, matérielles, celles des objets et des espaces, celles des pratiques et des expériences sociales, mais aussi les dimensions idéelles des représentations et des pouvoirs » (Di

Méo, 1998 ; 273 ; Valette, 2003 ; 31). Le territoire est différence, spécificité, créativité, et donc propice à l‘émergence d‘innovations.

(iii) Le territoire est un espace de réseaux : le territoire est le lieu d‘interactions privilégiées entre l‘espace physique et des groupes sociaux porteurs de projets de développement (Torre et Beuret, 2012 ; 5). Il regroupe en son sein des lieux mais aussi des individus, structures et organisations qui

Chapitre 4 : des entrepreneurs au système d‘innovation et au territoire

140 échangent, se coordonnent entre eux. Ces réseaux peuvent faciliter la circulation de l‘information ou bien la freiner lorsqu‘ils sont limités par des barrières (frontières, éléments naturels, etc.). Ces réseaux sont autant de canaux à la diffusion de l‘innovation (Pumain et Saint-Julien, 2010), qui confèrent au territoire la capacité de stimuler ou de freiner cette diffusion.

(iv) Le territoire est un espace de proximité : Ces réseaux sont permis à la fois par la structure du territoire mais aussi par la concentration spatiale d‘individus et d‘organisations qui vont favoriser les échanges, voire optimiser les moyens de production et d‘innovation comme les districts industriels et les SPL. À la différence de ces deux concepts, le territoire, du fait de sa relation à l‘espace, permet de se questionner sur la proximité de différentes manières : elle peut être géographique ou organisée. « […] le territoire est [aussi] une construction fondée sur des relations de proximité, qui en fixent les

contours. C'est la zone souvent redessinée par la dynamique des relations de proximité géographique et organisée » (Torre et Beuret, 2012 ; 5). La proximité géographique s‘exprime en fonction de la

distance, de l‘accessibilité, des capacités et de la perception des acteurs à accéder à des ressources matérielles (infrastructures) ou immatérielle (organisations)61. Les proximités organisées font référence à la manière dont les acteurs sont proches, en dehors de la relation géographique ; elles résultent d‘une logique d’appartenance des individus à un même graphe de relations ou à un même réseau (groupement de producteurs) ou résultent d‘une logique de similitude (c‘est-à-dire à une

adhésion mentale à des catégories communes de normes, langages et valeurs, ce qui réduit les distances cognitives ; comme les groupes sociolinguistiques en Afrique de l‘Ouest). Les proximités

sont donc un potentiel du territoire à activer ou mobiliser qui permettent la mise en place de relations

de « filiation, complémentarité, révélation » (Torre et Beuret, 2012).

(v) Le territoire est système spatial : l‘espace géographique fait système (Brunet, 2001 ; Durand-Dastès, 2005). Le territoire en tant qu‘espace géographique particulier est donc aussi un système spatial. Il est gouverné par les sociétés qui s‘organisent en système pour produire de l‘espace. Le système est une construction intellectuelle qui consiste à cloisonner une réalité complexe et qui présente justement l‘avantage de simplifier cette réalité. Le système spatial est composé « d’objets

spatiaux et dont les relations sont des flux matériels ou immatériels » (Durand-Dastès, 2005). On

considère alors que le territoire est un système alliant acteurs, ressources et espace, dont les liens forment les réseaux, l‘identité et les proximités. Le système spatial du territoire sera plus amplement détaillé dans le chapitre suivant car il est l‘un des piliers du cadre théorique que je propose de construire (chapitre 5, § 5.2.).

Le territoire sous ces cinq grandes composantes (ressource, identité, réseaux, proximité et système spatial) apparaît donc comme particulièrement éclairant pour questionner les liens avec l‘innovation.

61 Certaines proximités géographiques peuvent être subies, c‘est à dire qu‘elles sont imposées à des acteurs et produisent des externalités négatives (proximité d‘une décharge, d‘une mine, etc.).

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Conclusion du chapitre : vers une articulation entre système