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Conclusion du chapitre

3.1. L’anacarde, une filière d’exportation libéralisée

3.1.1. Fluctuation des prix, mais véritable volatilité ?

Les cours internationaux de la noix brute d‘anacarde fluctuent fortement. D‘après les chiffres de la CNUCED, les prix internationaux ont connu une croissance régulière de 1970 à 1980, ce qui correspond à la phase de développement du commerce international de ce produit (Figure 18 ). Depuis, les prix internationaux de la noix n‘ont cessé de fluctuer avec une variation de 45 % entre le pic de 1999 (3,18 $/livre) et la chute de 2001 (1,45 $/livre)24. La CNUCED calcule un indice d‘instabilité 25

des prix qui s‘élève à 36 % entre 1970 et 2004, et qui est associé à de la volatilité.

Figure 18 : Une forte fluctuation des prix depuis 1980 de la noix de cajou brute (source CNUCED, 2011)

Or, la volatilité traduit des changements brusques et imprévisibles des prix qui caractérisent de nombreux marchés de produits agricoles. L‘analyse dominante et portée par les grandes institutions internationales, est que la volatilité est inhérente aux marchés des produits agricoles. Elle résulte de la confrontation entre une production variable et une demande alimentaire faiblement élastique. La volatilité des prix suppose donc que les prix fluctuent mais n‘observent pas de hausse ou de baisse

24 Données harmonisées non disponibles à l‘échelle internationale entre 2005 et 2014. L‘évolution des prix de vente de l‘anacarde ouest-africaine sera détaillée dans la sous-partie suivante avec des données plus actuelles. 25

Cet indice d‘instabilité des prix calcule le pourcentage de déviation des variables par rapport à la ligne de tendance exponentielle pour une période donnée.

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70 constante, ce qui est aujourd‘hui contesté par certains auteurs 26. Dans le cas de l‘anacarde, il y a bien une forte fluctuation des prix mais leur imprévisibilité se questionne. Selon Griffon et al (2006), la volatilité des prix peut être la conséquence de trois effets :

- « de l’incertitude sur l’offre, sa saisonnalité et la saisonnalité de la demande ; - de la segmentation géographique des marchés qui rend l’offre rigide ;

- de l’imperfection de l’information » (Griffon et al., 2001 ; 55).

L‘incertitude sur l‘offre est fortement dépendante de la production de l‘hémisphère nord (Asie, Afrique de l‘Ouest), qui concentre 80 % de l‘offre dans les premiers mois de l‘année (de février à mai). La production de l‘hémisphère sud concerne des volumes plus faibles, disponibles sur le marché en fin d‘année (de septembre à décembre). L‘offre de noix dépend donc principalement de la variation de la production dans les plus grands pays producteurs : Inde, Côte d‘Ivoire, Vietnam et Brésil. Les facteurs climatiques peuvent affecter les niveaux de production de certaines régions. L‘absence de pluies pendant le cycle végétatif limite les ramifications de l‘arbre ; des vents ou des pluies violentes pendant la floraison ou la fructification limiteront fortement les rendements. Ce fut le cas en 2008 au Brésil, où la production nationale a chuté de 25 % suite à des pluies tardives. De plus, comme les prix fluctuent beaucoup d‘une année à l‘autre, les volumes produits par ces grands pays peuvent fluctuer fortement en retour. Cependant, comme il s‘agit de cultures pérennes, la production s‘ajuste moins rapidement aux variations de prix que les cultures annuelles où les superficies emblavées chaque année sont soumises à la stratégie du producteur face à sa perception de l‘évolution des prix.

La demande en amande de cajou est plutôt rigide sur les marchés américains et européens, car la part de la matière première dans la composition du prix est faible (11 %), car la plus grande partie est consacrée à la chaîne de distribution (51,7 %), comme le montre la Figure 19 de la répartition de la valeur ajoutée d‘après les données de Ricau (2013). Une augmentation forte du prix de la matière première aura relativement peu d‘impact sur la demande. La demande des régions asiatiques (Inde et Vietnam) est moins rigide car le produit est mis sur le marché par des détaillants avec une faible marge. Cependant, aux États-Unis comme en Asie, la noix de cajou est souvent mélangée à d‘autres noix (noix, amande californienne) et les transformateurs adaptent la composition du mélange en fonction du prix de la noix. La saisonnalité de la demande n‘est pas très marquée, bien que le produit soit davantage consommé lors des festivités qui sont réparties dans l‘année 27. La demande est donc

26 Certains chercheurs avancent que la volatilité des prix des produits agricoles s‘accompagne de façon inédite d‘une hausse constante des prix depuis la crise alimentaire de 2007-2008. « La meilleure illustration de ces

pressions constantes est le fait que les marchés aient eu besoin de l’une des pires crises économiques depuis la seconde Guerre Mondiale (avec un taux de croissance de la production mondiale passé de +5,4 % en 2007 à +2,9 % en 2008, puis à -0,5 % en 2009) pour parvenir à faire baisser les prix et que, malgré cette crise, les prix des produits alimentaires ne soient pas revenus à leurs niveaux d’avant 2006. En outre, lors de la reprise de la croissance, ils sont immédiatement repartis à la hausse. » (Daviron, 2012)

27 « Diwali » en Inde, « Thanksgiving », Noël et Nouvel An aux Etats-Unis et en Europe, Ramadan dans les pays musulmans, Nouvel An chinois

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71 plutôt rigide et peu saisonnée face à une offre saisonnée et soumise à l‘incertitude du facteur climatique.

Figure 19 : Répartition moyenne de la valeur ajoutée pour la noix d'origine ouest africaine, transformée en Asie et consommée en Occident (USA ou Europe) (Ricau, 2013)

La segmentation géographique des marchés s‘explique par la dissociation nette entre pays producteurs de noix et pays transformateurs et consommateurs (Figure 20). Ainsi, l‘Inde, le Brésil et le continent africain (dont la Côte d‘Ivoire contribue pour 32 % en 2012) sont les premiers pays producteurs. Le continent africain ne contribue que de façon résiduelle à la transformation, alors que l‘Inde transforme plus de la moitié des noix produites dans le monde, suivie du Vietnam et du Brésil. La consommation conforte l‘Inde en première position, avec un marché intérieur en pleine expansion (Rosenthal, 2008), mais les Etats-Unis y font leur entrée suivi de l‘Union Européenne. Malgré une demande intérieure très forte, l‘Inde est également l‘un des leaders des exportations mondiales de noix transformées, bien qu‘il soit descendu en seconde position en 2011, derrière le Vietnam qui gagne des parts de marché (190 000 tonnes de noix transformées exportées en 2010 pour le Vietnam et 151 000 tonnes pour l‘Inde, loin devant le Brésil avec 42 000 tonnes). Ainsi, en 2011, 50 % des noix consommées aux Etats-Unis proviennent du Vietnam (US Departement of Agriculture, in Red River Foods, 2011 ; 11).

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72 Figure 20 : Répartition des volumes entre production, transformation et consommation de noix d'anacarde (African

Cashew Initiative, 2012)

Cette segmentation du marché indique l‘existence d‘un maillon très important dans l‘évolution du prix : celui de la transformation. La capacité d‘achat des transformateurs influence fortement l‘évolution des prix, particulièrement au niveau des ports indiens de Kolam, Mangalore et Cochin, et de celui d‘Hô Chi Minh-ville au Vietnam, où se trouvent les principales unités de transformation au monde. Ces unités sont capables de transformer les productions nationales et internationales, mais elles nécessitent des partenariats avec des établissements bancaires pour acheter les stocks de noix brutes. Par exemple, avec la crise financière depuis 2011 et la forte hausse des prix de la noix brute, les transformateurs ont eu des difficultés à acheter des noix brutes, cela a provoqué un stockage important en amont chez les exportateurs. De plus, leur capacité à emprunter dépend des contrats qu‘ils obtiennent avec les importateurs finaux, or dans le contexte de crise financière, les importateurs américains ont réduit les termes des contrats de vente de 6 mois à 1 à 2 mois (comm. personnelle Ricau, 2013). L‘équilibre entre l‘offre et la demande s‘effectue donc principalement en Inde et au Vietnam dans ces quatre ports commerciaux.

L‘imperfection de l‘information s‘explique en partie par le manque de communication des agents. Contrairement aux marchés de l‘hévéa, de l‘huile de palme ou du cacao, il n‘existe pas de cotation internationale, ni de contrat international à terme ou d‘option 28

. Les importateurs de noix brute ne peuvent pas se garantir contre les fluctuations des prix avec ce type d‘instrument de marché. Ils se renseignent donc directement à la fois du côté de l‘offre auprès de leurs fournisseurs sur le marché

28 Un marché à terme a été mis en place en Inde pendant quelques années, mais l‘initiative a échoué du fait du manque de liquidités. Selon les experts du secteur, le marché de l‘anacarde est trop petit en nombre d‘acteurs et en volumes traités jusqu‘à présent pour qu‘un marché à terme puisse fonctionner (comm. personnelle Ricau, 2013).

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73 international ou national indien et du côté de la demande par le nombre de commandes sur le marché local et américain, ce qui rend ce marché assez opaque. De plus, il semblerait que des traders asiatiques soient très présents sur le commerce de la noix brute, ce qui amplifie la fluctuation des prix. Un groupe d‘experts mandatés par l‘Union Européenne conclut qu‘il n‘y a pas de réelle transparence dans le mode de fixation des prix de l‘anacarde. Il avance cependant que « des contrats de vente

différée, basés sur des accords de filière transparents combinés à une bourse de négoce peuvent cependant améliorer le marché de l’anacarde au niveau mondial » (Lebailly et al., 2012 ; 10).

Il semblerait donc qu‘il y ait bien une véritable volatilité des prix de l‘anacarde, face au manque de structuration du marché (manque d‘information) et à sa fragmentation spatiale. Cette volatilité dépend davantage des variations de l‘offre que de la demande, mais aussi des comportements des transformateurs.

Un autre facteur vient s‘ajouter aux trois précédents et contribue à amplifier la volatilité des prix de la noix brute : la fluctuation du taux de change entre le FCFA (à parité fixe avec l‘euro) et le dollar américain. La Figure 21, montre en effet que le dollar s‘est déprécié par rapport à l‘euro depuis les années 2000, avant de remonter dans les années 2008.

Ricau et al (2010) montrent l‘effet de ce taux de change en comparant (Figure 22) :

- les prix d‘achat moyens de la noix ivoirienne en Inde en dollar américain (prix CFR 29

) ; - avec les prix bord-champs ivoiriens théoriques en FCFA, calculés par déduction des marges et

frais minimum que l‘auteur a analysé dans la chaîne de valeur 30

.

La figure montre le décrochage des prix bord champs par rapport au prix international, suite au renforcement artificiel du FCFA entre 2000 et 2008. Ce taux de change défavorable aux exportations de la zone franc s‘est concrétisé par une chute des prix bord-champs théoriques de 97 % entre les années 2000 (406 FCFA/kg) et 2008 (206 FCFA/kg).

29 Prix CFR (Cost and Freight) correspond au prix de livraison d‘une marchandise, chargée sur le bateau du port d‘exportation, sans les frais d‘assurance pour le transport (Ricau and Konan 2010, Incoterms 2010).

30

« Pour cette estimation on a comparé les années 2000 et 2008 au cours desquelles les prix sur le marché

international de la noix de cajou brute étaient similaires. On a donc présupposé que l’ensemble des coûts de commercialisation sur cette période n’a pas subi de variation conséquente » (Ricau et Konan, 2010 ; 33).

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74 Figure 21 : Evolution du taux de change entre le dollar américain et l’euro de janvier 1990 à juin 2013 (taux de conversion moyen mensuels, www.fxtop.com)

Figure 22 : Impact de l'évolution défavorable du taux de change FCFA/USD sur les prix bord-champs en zone FCFA (source, Ricau 2010)

Le taux de change étant à parité fixe entre l‘euro et le FCFA, les répercussions des fluctuations des prix internationaux sur les prix de la zone FCFA sont une conséquence directe de la politique monétaire européenne. Cet effet est d‘ailleurs valable pour toutes les productions exportées de l‘UEMOA ou de la CEMAC (cacao, coton, hévéa, huile de palme etc.). Le taux de change entre la roupie indienne et le dollar américain impacte également le prix d‘achat de la noix brute africaine. Si la roupie indienne s‘apprécie face au dollar, les transformateurs vendront moins de noix transformées et donc les prix d‘achat des noix brutes seront plus faibles et inversement (Ricau, 2013 ; 23).

Par ailleurs, il n‘y a aucune régulation des prix de la noix brute d‘anacarde par les gouvernements des pays producteurs, il s‘agit d‘un marché totalement libéralisé. Les variations de prix se répercutent directement sur les acteurs de la filière (producteurs, grossistes, exportateurs). C‘est donc un cas différent de celui de la filière du coton en Afrique de l‘Ouest ou du cacao en Côte d‘Ivoire. Pour le

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75 coton burkinabè ou malien ce sont les sociétés cotonnières, dans lesquels l‘État a une part importante du capital, qui fixent le prix d‘achat en début de campagne. Si le prix international baisse trop fortement, l‘État peut limiter cette baisse ou bien augmenter ses subventions aux intrants (semences et engrais), sous la pression des syndicats des producteurs de coton qui sont très puissants. Il en résulte que les variations de prix sont théoriquement moins fortement ressenties par les cotonculteurs que par les acteurs nationaux de la filière anacarde. La filière cacao en Côte d‘Ivoire avait mis en place une caisse de stabilisation pour amortir les fluctuations internationales des prix du cacao. Suite à plusieurs années de prix très faibles du cacao ainsi qu‘une gestion opaque de ces financements, le FMI et la Banque Mondial ont mis fin à ce système en 1999 31.

La Figure 23 ci-dessous montre la forte volatilité des prix de l‘anacarde, comparée à d‘autres produits agricoles. Le graphique n°1 indique les niveaux de prix d‘achat au producteur par tonne, relevés par la FAO pour chacune des productions concernées. Le prix de la noix brute d‘anacarde n‘étant pas disponible pour le Burkina Faso, c‘est celui de la Côte d‘Ivoire qui est présenté. Ce premier graphique montre tout d‘abord que la valeur de l‘anacarde est beaucoup plus forte que les autres cultures, mais n‘indique pas le niveau de rémunération du producteur puisque les charges intermédiaires et les amortissements ne sont pas comptabilisés. Les prix de la noix brute d‘anacarde ont connu une forte hausse dans les années 2000 et de fortes variations avant et après cette date. Les prix du coton sont les prix plancher annoncés chaque année par le Ministère de l‘Agriculture et auxquels les sociétés cotonnières s‘engagent à payer les producteurs en fin de campagne, avec plus ou moins de bonus (appelée « ristourne »). La baisse régulière de ces prix depuis 2005 s‘est traduite par une crise en 2006-2007 dans ce secteur. Les prix des céréales (maïs et sorgho) sont beaucoup plus faibles et semblent suivre les mêmes tendances. Ceux de Côte d‘Ivoire ne sont pas trop éloignés de ceux du Burkina Faso, ce qui justifie la comparaison des prix de l‘anacarde entre la Côte d‘Ivoire et le Burkina, du moins dans ses grandes tendances, bien que l‘on soit sur un marché de consommation nationale pour ces céréales et un marché d‘exportation pour l‘anacarde. Le graphique 2 permet d‘analyser les fluctuations des prix de ces productions en les ramenant à une base 100. Sans entrer dans une analyse économique fine de l‘évolution des prix agricoles, il est possible de voir que ceux de l‘anacarde varient très fortement par rapport à ceux des autres productions. L‘anacarde montre des variations à la hausse et à la baisse plus fortes, avec le pic de 1994 et les chutes de 1992, 2002 et 2008. Le graphique 3 indique d‘ailleurs un coefficient de variation beaucoup plus fort sur l‘ensemble de la période avec un ratio de 0,40. Les prix des céréales subissent une volatilité plus forte que les prix du coton, ce qui n‘est pas très visible sur le graphique 2 mais plus net avec le coefficient de variation des

31 La libéralisation du cacao n‘est que partielle en Côte d‘Ivoire, puisque le gouvernement pratique une politique de taxation importante et en augmentation, défavorable au producteur (Ruf, 2009). Pour la dernière campagne (2012-2013), un système de semi-régulation du prix a été mis en place à nouveau, où 70% de la production est vendue sur les marchés à termes et 30 % et gérée par une caisse de stabilisation. Son fonctionnement n‘a pas été concluant, du fait de la difficulté à fixer un prix d‘achat au producteur non déconnecté du marché international et de la porosité des frontières (comm. personnelle Ricau 2013).

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76 prix. Les prix du coton ont été relativement régulés par les sociétés cotonnières, ce qui n‘a pas été le cas des céréales 32.

Figure 23 : Les prix de l'anacarde, très volatiles par rapport à d'autres productions (coton, maïs, sorgho), 1/ prix en FCFA/tonne en monnaie courante, 2/ indice des prix base 100 et 3/ coefficient de variation (ratio de l’écart-type par rapport à la moyenne des prix sur la période), sources : FAO Stat, 2013 et Ministère de l’agriculture du Burkina Faso et UNPCB in AFD 2007 pour le coton

Dans ce contexte de libéralisation totale de la filière, ce sont surtout les producteurs d‘anacarde, en asymétrie d‘information et de pouvoir de négociation, qui amortissent ces fluctuations de prix, ce qui sera détaillé dans les sections suivantes. Ils sont donc les premiers touchés par cette volatilité des prix.