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des interactions entre innovation agricole et territoire

5.4.6. Le cas particulier des indicateurs de gouvernance foncière

La gouvernance foncière est un facteur potentiel de blocage de l‘interaction entre le territoire et les besoins du SI. La façon dont les producteurs ont accès à la terre et ce qu‘ils ont le droit d‘y produire influence leur capacité à introduire l‘innovation dans leur système de production. La mesure du fonctionnement de la gouvernance du territoire sera donc approfondie, au travers de l‘analyse du faisceau de droits acquis sur la ressource, selon le type d‘individu qui en fait la demande, et selon le type de gouvernance foncière qui régule les relations dans le village.

5.4.6.1. Les maîtrises foncières pour l’analyse des droits sur la ressource foncière

En zone rurale en Afrique de l‘Ouest, l‘accès aux ressources foncières est régi par un « faisceau de droits » accordés à chaque individu (l‘ayant-droit), selon sa position sociale au sein du village (Hochet et Arnaldi di Balme, 2013 ; Chauveau et al., 2006 ; Lavigne Delville et Karsenty, 1998). Généralement c‘est le chef de terre, autorité coutumière, qui décide de l‘allocation des ressources aux différents lignages et familles. À son arrivée, le migrant doit se référer à un tuteur autochtone (ou à un tuteur allochtone à qui les autorités du lignages ont délégué la gestion d‘une portion du terroir) qui l‘introduit auprès du chef de terre (Lavigne Delville et al., 2002). Historiquement, le chef de terre assure la gestion intergénérationnelle de la terre en l‘attribuant aux familles autochtones et aux migrants. Il peut la reprendre en cas de litige pour la réaffecter à une autre famille.

Dans ce cadre général de gestion des ressources foncières, l‘arbre occupe une place particulière. Le foncier sur les arbres, les terres agricoles ou forestières doivent être distingués (Bertrand, 1991). Cependant, comme le soulignent Berry (1988) et Fortman (1985), en pratique les droits acquis sur les arbres se transforment en droits sur la parcelle sur lesquels ils sont plantés. Ainsi, les droits acquis sur les anacardiers deviennent des droits de contrôle sur la terre agricole. En plus d‘être un marqueur de l‘appropriation foncière, la plantation d‘un arbre en Afrique Sub-saharienne, donne au planteur seul (et à ses descendants) le droit d‘user de ses fruits (Gastellu, 1980 ; Le Roy et al., 1996). Dans les transactions initiales de la très grande majorité des sociétés villageoises du sud-ouest burkinabè, il est donc stipulé au migrant qu‘il n‘a pas le droit de planter des arbres, fruitiers ou non. Lors de la renégociation ultérieure des droits, les arguments développés par les autorités coutumières se

Chapitre 5 : Construction d‘une grille d‘analyse des interactions entre innovation agricole et territoire

167 concentrent sur l‘objectif initial du prêt de terre aux allochtones, qui est d‘octroyer une parcelle pour permettre aux nouveaux arrivants de subvenir à leurs besoins alimentaires. Pour les autochtones, planter des anacardiers c‘est réaffirmer très fortement leurs prérogatives dans la gestion des terres du village. Pour les migrants, planter des anacardiers c‘est revendiquer des droits élargis sur la terre ; au-delà de la seule subsistance alimentaire, c‘est affirmer leur droit à tirer un profit économique des ressources de leurs villages d‘accueil. L‘anacardier cristallise et concrétise les revendications des migrants sur la terre (Gausset, 2008).

Face à la diversité des droits accordés aux individus (droit de passage, de collecte, de culture temporaire ou permanente, de transmission, de vente, etc.) et à l‘articulation avec le droit positif (loi foncière), de nombreux auteurs ont jugé nécessaire de distinguer d‘autres modes de gestion qui ne relèvent ni de la propriété privé ni de la propriété publique. À partir des travaux de Schlager et Ostrom (1992) sur les modes de gestion et d‘appropriation des biens communs, repris par Le Roy et al (1996) puis par Benjaminsen (2002) (au sujet des rapports de forces qui s‘établissent avec l‘expansion des surfaces de coton), je propose d‘adapter la grille des maîtrises foncières (voir annexe 10). Dans le cas particulier des terres sur lesquelles des plantations d‘anacardiers peuvent potentiellement être établies, seuls les droits en lien avec la présence ou avec l‘interdiction de planter des anacardiers ont été définis. Le droit de gestion a été scindé en deux types de droits : la gestion partielle et la gestion totale, permettant de distinguer le droit de planter des cultures annuelles ou pérennes. La définition des six types de droits est la suivante :

- Le droit d‘accès : passage autorisé dans le verger d‘anacardiers ;

- Le droit de prélèvement : extraction des ressources fourragères au sein du verger ;

- Le droit de gestion partielle : exploitation de la terre mais limitée aux espèces annuelles. La plantation d‘anacardiers n‘est donc pas permise.

- Le droit de gestion totale : exploitation économique de la terre, dont celle du verger d‘anacardiers, comprenant la récolte et la vente des noix ;

- Le droit d‘exclusion : attribution (prêt, don) ou non des terres et du droit de planter des anacardiers ;

- Le droit d‘aliénation : vente ou transmission intergénérationnelle de la terre.

Cette typologie permet d‘analyser la nature des droits d‘accès entre les différentes catégories d‘individus et d‘en suivre l‘évolution. Les lignages autochtones et allochtones n‘ont pas toujours les mêmes droits d‘accès à la ressource, ce qui se répercute également sur la capacité d‘implanter des plantations pérennes. Pour davantage d‘explications quant à la structuration des règles foncières et leur application au cas des plantations d‘anacardiers, se référer aux annexes n° 9 et 10.

Chapitre 5 : Construction d‘une grille d‘analyse des interactions entre innovation agricole et territoire

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Conclusion

L‘analyse fonctionnaliste permet de s‘affranchir des difficultés de l‘analyse structuraliste des systèmes et renforce l‘intérêt de l‘analyse systémique des SI et du territoire. Pour les SI comme pour les territoires, l‘analyse fonctionnaliste apporte un outil permettant de comparer les systèmes entre eux et non plus par rapport à un idéal qui demeure indéfinissable. Par ailleurs, identifier les modes de fonctionnement des territoires c‘est également se projeter dans les dynamiques territoriales. Lorsqu‘il s‘agit d‘analyser un processus d‘innovation, cette démarche diachronique est alors indispensable. Je propose donc un cadre d‘analyse des interactions entre les fonctions du SI et du territoire. Il est composé de deux jeux de fonctions, permises par le SI d‘une part et par le territoire d‘autre part. La survenue d‘un blocage au développement du SI dans un territoire en particulier sera alors expliquée par une incompatibilité entre une ou plusieurs fonctions des deux systèmes. L‘approche fonctionnaliste a cependant été critiquée pour sa tendance au positivisme. L‘intégration dans une vision heuristique du processus d‘innovation et des territoires permet d‘éviter ces travers. De plus, l‘articulation avec l‘analyse de la diffusion de l‘innovation s‘intègre dans le cadre d‘analyse et permet une approche complémentaire. La démarche adoptée pour renseigner cette grille d‘analyse est décomposée en trois étapes, qui consistent à décrire la structure du SI et du territoire, analyser le fonctionnement du SI et identifier les éléments de synergie ou de blocage, puis les mettre en correspondance avec les fonctions du territoire. Dans cette démarche, des indicateurs spatiaux et non spatiaux sont mobilisés.

Conclusion de la partie 2

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Conclusion de la partie 2

L‘essor d‘une innovation agricole dans un territoire particulier n‘est pas le fruit du hasard. En m‘appuyant sur la littérature des innovations et des territoires, je propose un cadre d‘analyse permettant d‘expliquer les raisons des succès ou des échecs des innovations agricoles.

Lorsque l‘innovation est mise en pratique et intégrée aux systèmes de production agricoles, c‘est avant tout le résultat d‘une décision individuelle. Mais la revue de littérature montre qu‘elle dépend tout autant de l‘ensemble des acteurs impliqués dans le processus de développement de l‘innovation, que dans le milieu dans lequel l‘innovation prend essor. Le SI est donc en interaction directe avec le territoire.

Le chapitre 5 présente la construction de ce cadre d‘analyse fonctionnel des interactions entre SI et territoire. L‘approche fonctionnelle permet de s‘affranchir des multiples formes et structures de SI ou de territoire et de se focaliser uniquement sur ce que permet d‘accomplir le système. À partir de la littérature, six fonctions ont été définies pour le SI :

- Création de marché ;

- Développement de connaissances et échange d‘informations ; - Mobilisation de ressources ;

- Construction de légitimité ;

- Développement d‘externalités positives ou négatives ; - Influence sur la direction de la recherche ;

ainsi que cinq fonctions pour le territoire : - Exploiter ;

- Habiter ; - Echanger ; - Approprier ; - Gouverner.

La mise en interaction des fonctions de ces deux systèmes peut ainsi conduire à une synergie ou à un blocage entre l‘innovation et le territoire. Leur interaction est mise en pratique selon les relations entre acteurs, avec les ressources et les institutions du territoire. Identifier ces processus et les fonctions qui entrent directement en interaction les unes avec les autres, sera l‘objet de la partie suivante. Couplée à une analyse de la diffusion spatiale de l‘innovation, cette grille d‘analyse contribue donc à considérer la mise en confrontation de deux systèmes : le SI et le système territorial.

Partie 3 : Mise à l‘épreuve de la grille territoriale sur les SI de l‘anacarde et du jatropha

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Partie 3 : Mise { l’épreuve de la grille territoriale

sur les SI de l’anacarde et du jatropha

La partie 2 de cette thèse a consisté à la construction d‘un cadre d‘analyse des interactions entre le SI et le territoire permettant d‘interroger les relations entre un SI et le territoire dans lequel l‘innovation s‘insère. Cette grille d‘analyse est constituée d‘indicateurs permettant de juger le niveau de fonctionnement des fonctions et des indicateurs de diffusion spatiale permettant de juger de l‘efficacité du SI. La partie 3 concrétise cette approche en appliquant ce cadre à différents territoires analysés, ayant un rapport spécifique à l‘anacarde (et donc à son SI) puis au jatropha.

Dans certains territoires, l‘anacarde a été massivement et rapidement introduite, alors que dans d‘autres les producteurs ont été peu nombreux, et dans d‘autres territoires encore on ne dénombre que quelques arbres éparses. Le chapitre 6 se focalise sur le SI de l‘anacarde à l‘échelle nationale et régionale et met en lumière les effets structurants et dynamiques de ce système. Le chapitre 7 s‘appuie sur ces résultats pour développer le cadre d‘analyse spatial et fonctionnaliste entre le SI de l‘anacarde et les territoires ruraux. Le chapitre 8 permet d‘appliquer ce cadre au jatropha, autre innovation agricole de culture pérenne. Enfin, le chapitre 9 permet d‘aboutir à une discussion des rapports entre SI et territoires et de questionner l‘intérêt de l‘utilisation de cette grille d‘analyse.

Chapitre 6 : Le système d‘innovation de l‘anacarde au Burkina Faso et son fonctionnement

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Chapitre 6 : Le système d’innovation de l’anacarde