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d’innovation et au territoire

4.3. L’innovation agricole, dans un espace géographique

4.3.1. L’innovation agricole comme objet géographique

L‘innovation est longtemps restée le domaine de l‘économie, des sciences managériales et de la sociologie. En géographie, l‘innovation ne devient un objet d‘étude qu‘à partir du moment où elle est

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130 la littérature géographique et constate que le terme « innovation » arrive tardivement dans les ouvrages de géographie, alors que les dynamiques de modernisation et de transformation qu‘elle induit sont traitées bien antérieurement par la discipline. Ce saut conceptuel est permis par l‘entrée de la composante spatiale par l‘analyse du phénomène de diffusion. Dès lors, l‘innovation « peut être

comparée à d'autres phénomènes localisés, mise en relation dans l'espace avec d'autres phénomènes concomitants, favorables, opposés » (Gondard, 1991 ; 35). La thématique de l‘innovation a été

introduite chez les géographes français par C. Raffestin dans l'ouvrage de Bailly "les concepts de la

géographie humaine" (1984) qui s‘intéressait alors au modèle spatial de diffusion. Raffestin prend

appui sur les travaux du suédois Hagerstrand (1968) précurseur de ces analyses en géographie quantitative. Il distingue quatre phases de la diffusion à partir d‘un centre, dans une démarche très quantitative et inductive de l‘expansion spatiale55. Raffestin identifie trois champs d‘étude de la diffusion dans lesquels l‘innovation prend une place majeure : (i) le champ relatif à l’adoption de

l’innovation, (ii) le champ relatif au marché et à l’infrastructure, et (iii) le champ du développement qui combine les deux précédents en insistant sur l’impact de l’innovation dans le progrès économique et dans le changement social (Raffestin 1984, in Gondard, 1991). Paul Pélissier (1976) dans son

analyse des mécanismes d‘adoption de nouvelles techniques rizicoles à Madagascar démontre que l‘innovation (socio-technique) ne peut être comprise que dans son ensemble agraire et dans la gestion globale du terroir, induisant « l’exécution de combinaisons nouvelles dans l’espace », résultat « d’un

jeu de facteurs convergents » (in Gondard, 1991 ; 45). Il identifie plusieurs éléments favorables à

l‘adoption de nouvelles techniques : la densité de population, l‘ancienneté de l‘appareil de vulgarisation, la faible marginalisation de l‘espace, la faible exposition aux risques climatiques. Il met également en lumière les stratégies paysannes individuelles : « le comportement de chaque chef

d'exploitation […] lui est dicté par sa situation financière, ses disponibilités en terre et en main d'œuvre, enfin par la destination qu'il assigne à sa production » (Pelissier, 1976 ; 43). Son analyse est

spatialisée et resituée face aux logiques individuelles différenciées et territoriales : l‘exploitation agricole, l‘ensemble des activités de l‘agriculteur et les milieux qu‘il exploite : les bas-fonds pour la riziculture bénéficiant des conseils des agents de vulgarisation, les collines (tanety) pour les productions pluviales (dont le riz) et l‘articulation avec l‘élevage.

Pour G. Sautter, l‘innovation permet d‘entrer dans la modernité et met en relation deux systèmes aux logiques opposées. Ces logiques s‘expriment dans un système qui est composé de nombreuses variables qui doivent être ajustées entre elles afin de résoudre une équation complexe. "Les systèmes

de production locaux, mis au point par les populations, et les systèmes importés, dits "modernes", la

55 La première phase est représentée par un « fort contraste entre le ou les centres d'innovation et les zones

éloignées : l'innovation diffuse en fonction de la distance géographique et/ou de la distance socio-culturelle », la

seconde s‘exprime par un « mouvement centrifuge et[par]la dispersion de la nouveauté dans des aires de plus en

plus lointaines » ; la troisième est caractérisée par une « forte diminution des disparités », et la quatrième par une « saturation caractérisée par une augmentation asymptotique de la diffusion qui tend vers un maximum »

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résolvent de façon très différente. Derrière leurs "approches" respectives, des divergences fondamentales d'attitude se révèlent" (Sautter, 1978 ; 499). L‘innovation, comprise comme la

vulgarisation d‘un fait technique, serait donc soumise au filtre de la logique « paysanne », différente de celle de l‘« aménageur».

Pour resituer l‘irruption de l‘innovation dans les courants théoriques du développement, il faut souligner que ces questions ont alimenté les débats des développeurs et chercheurs depuis la période de la colonisation, particulièrement au sujet des innovations techniques. À l‘époque, il s‘agissait plutôt de vulgariser et diffuser des techniques éprouvées en Europe, dans le but d‘accroître la production pour alimenter les métropoles. Ce n‘est qu‘au cours des années 1980-1990 que le terme « vulgarisation » a évolué vers celui d‘« innovation » dans une approche plus ruraliste et cherchant à comprendre les raisons des échecs des politiques de vulgarisation antérieures. L‘intérêt s‘est donc reporté sur les facteurs d‘adoption des innovations, dans lesquels la rationalité de l‘agriculteur et ses stratégies propres prennent une place cruciale. Les logiques paysannes sont ainsi réhabilitées, dans les études des sociétés africaines à l‘initiative des géographes Pelissier (1976) et Sautter (1978), ce dernier intitule d‘ailleurs subtilement son étude par une figure stylistique originale « l’aménageur aménagé » (Sautter, 1978). Cependant, et encore actuellement, nombreuses sont les idéologies du développement considérant, de façon déterministe, l‘innovation comme une clé de voûte du développement endogène, que dénonce Chauveau (1999) dans laquelle il perçoit « une sorte de révolution tranquille qui trace le

destin des sociétés et la ligne d’action des «décideurs» » (Chauveau, 1999 ; 10).

Dans son essai, Gondard (1991) aboutit à la conclusion que l‘innovation (technique) en tant que telle n‘est pas un objet géographique. Elle provient d‘autres disciplines et c‘est au travers de la diffusion spatiale qu‘elle est traitée. Or, au regard des travaux de géographes qui ont marqué la discipline, l‘insertion de la thématique de l‘innovation a également permis de questionner les géographes sur l‘introduction d‘un artefact technique dans un système institué et dynamique, induisant des réarrangements spatiaux et sociaux. Comme expliqué précédemment, le changement de paradigme de développement a conduit dans les années 1990-2000 à ne plus considérer uniquement l‘innovation comme un transfert technologique, mais comme un processus social qui s‘applique désormais aussi aux innovations organisationnelles, institutionnelles et de production. L‘innovation est désormais un champ d‘application important en géographie en raison de ses effets sur les relations locales et sur les systèmes de production locaux.

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