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Conclusion du chapitre

3.4. Les réseaux et l’accès { l’information en situation d’incertitude

3.4.1. Facteurs d’évolution des prix { l’échelle locale

À l‘échelle des bassins de production burkinabè et ivoirien, c‘est au niveau des exportateurs que les prix sont fixés. Un stockage important et une baisse des achats des exportateurs à Bobo-Dioulasso ou ensuite à Abidjan peuvent provoquer une chute des prix bord-champs46. De même, le blocage du port d‘Abidjan peut avoir les mêmes effets, comme expliqué précédemment. À l‘inverse, le besoin d‘assurer un minimum de stock quelle que soit la qualité des noix peut faire monter les prix, ce qui est parfois le cas en début de campagne au mois de janvier. La concurrence entre les pisteurs et entre les grossistes maintient généralement le niveau des prix assez haut en pleine période de récolte, pour redescendre en fin de récolte à partir du mois de mai. De plus, la fin de la récolte correspond à des qualités de noix inférieures du fait de l‘arrivée des pluies. À partir du mois de juin, certains grossistes descendent automatiquement leurs prix de vente aux exportateurs, de peur de perdre la confiance de ces derniers, qui contrôlent automatiquement la qualité reçue, contrairement aux grossistes. Les grossistes répercutent alors cette baisse des prix sur leurs pisteurs et c‘est de cette façon que le prix chute en fin de saison.

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100 Encadré 2 : Extrait du bulletin N’Kalô sur le marché de l’anacarde en fin de saison 2011

« Autant le dire ! C’est sans grande surprise que l’on assiste à une belle fin de campagne dans la région des Hauts Bassins. Les derniers stocks ont été convoyés vers les ports cette semaine à des prix intéressants car restés stables par rapport à la semaine écoulée, malgré une qualité qui laissait à désirer.

Ainsi à Orodara, les livraisons de gros se sont faites à 600 FCFA la boite de 1,5 Kg, (400 FCFA/Kg). Dans la ville de Bobo Dioulasso, les grossistes ont pu négocier jusqu’à 625 FCFA la boite soit 410 FCFA/Kg de noix brute, avec les acheteurs ghanéens, qui ont finalement quitté le marché cette semaine.

Les magasins y sont vides et les grossistes nous affirment avoir clôturé leurs activités concernant les noix de cajou pour cette année.

[…] Cette année, les spéculateurs les plus aventureux n’ont pas eu de mauvaises surprises, cependant l’expérience de cette campagne, ne saurait être dupliquée aux prochaines, car le marché de l’anacarde est expliqué par de très nombreux paramètres qui ne sont pas maîtrisables à l’échelle nationale et qui ne se répètent pas d’une année sur l’autre ». (Manéré Ouedraogo et Pierre Ricau, 2011)

Comme le soulignent les analystes de l‘encadré n°2, l‘évolution des prix locaux pendant la saison ne suit pas toujours ces cycles « classiques », comme ce fut le cas pour l‘année 2012. Parfois les grossistes anticipent le début de la saison et spéculent en achetant des noix pendant le mois de janvier avant même que les exportateurs ne se manifestent. Ils constituent alors des stocks, achetés à faible prix, mais de qualité très variable selon qu‘il s‘agit des premières récoltes ou des récoltes stockées depuis la saison précédente. En 2012, les grossistes ont beaucoup spéculé en début de saison, incités par des prix de fin de saison 2011 très élevés. Les comportements spéculatifs des grossistes ont conduit à une augmentation prématurée des prix. Le service N‘Kalô rapporte qu‘au cours des mois de février et mars 2012, les prix du marché local de tous les pays africains étaient alors devenus plus élevés que ceux du marché international (Figure 29). Dans une deuxième phase les importateurs de noix brutes ont anticipé les récoltes annoncées comme faibles du fait d‘évènements pluvieux désastreux en Côte d‘Ivoire. Les prix internationaux ont donc augmenté, se rapprochant des prix bord-champs qui n‘avaient cessé d‘augmenter. Les importateurs se sont rués vers la Côte d‘Ivoire pour tenter de constituer des stocks au plus vite, ce qui a contribué à augmenter les prix bord-champs. Dans une troisième phase, les prix internationaux ont chuté car les commandes des importateurs de noix transformées ont été plus faibles que prévues. En parallèle, les grossistes voyant un début de baisse des prix ont immédiatement relâché les stocks qu‘ils avaient accumulés, entraînant une chute des prix champs alors que les producteurs s‘attendaient à ce que les prix restent élevés. Les prix bord-champs ont donc été déconnectés des prix internationaux dans la première période de la saison, ils se

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101 sont rapprochés à mi-saison pour chuter brutalement ensuite. Les producteurs qui ont trop attendu n‘ont donc pas bénéficié des prix hauts.

Figure 29 : Evolution hebdomadaire du prix de l’amande de cajou entre janvier et août 2012, capture d'écran du service Nkalô (2013)

La forte variabilité interannuelle et saisonnière de la noix brute au Burkina Faso et en Côte d‘Ivoire est indiquée dans la Figure 30 ci-dessous. Les prix moyens des années 2011, 2012 et 2013 sont différents et leurs évolutions ne forment pas toujours de courbe « en cloche ». Enfin, les formes des courbes et les valeurs obtenues entre les deux pays ne sont pas toujours semblables.

L‘année 2011 montre une forme classique en Côte d‘Ivoire, alors qu‘elle présente une chute passagère des prix au Burkina Faso (les valeurs des premières semaines de cette année-là ne sont pas disponibles). L‘année 2012 montre une forme atypique en Côte d‘Ivoire puisque les ventes se prolongent jusqu‘en 2013, ce qui n‘est pas le cas au Burkina Faso. Comme expliqué précédemment, les prix ont débuté assez haut au Burkina Faso en 2012, comparé à ceux pratiqués en Côte d‘Ivoire à la même période. Cette année-là, les noix ont continué à se vendre à faible prix en Côte d‘Ivoire après la fin de saison car les producteurs avaient beaucoup stocké.

Sur l‘ensemble des trois saisons, les prix sont en moyenne plus élevés au Burkina Faso qu‘en Côte d‘Ivoire. Cette tendance serait nouvelle selon les analystes de la filière ouest-africaine. En effet, malgré la distance plus importante entre le Burkina Faso et les ports d‘exportation, ce dernier bénéficie de prix bord-champs plus élevés (310 FCFA/kg en moyenne en 2011 contre 288 FCFA/kg en Côte d‘Ivoire, 251 FCFA/kg en 2012 contre 181 FCFA/kg en Côte d‘Ivoire et 168 FCFA/kg en 2013 contre

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102 136 FCFA/kg en Côte d‘Ivoire). La cause pourrait être liée au taux de transformation des noix, puisque les sociétés viennent concurrencer l‘achat des noix brutes et contribuent à augmenter les prix. En effet, le Burkina présente un taux plus élevé de transformation qu‘en Côte d‘Ivoire (5 % en Côte d‘Ivoire contre 15 % au Burkina en 2013). La structuration des producteurs pourrait également être un élément d‘explication puisqu‘elle permet de mieux négocier les prix mais elle est difficile à évaluer entre les deux pays qui ont tous deux des unions nationales de producteurs.

La raison prépondérante avancée par les analystes est encore une fois guidée par les maillons en aval de la filière : les exportateurs. Comme expliqué précédemment, les exportateurs privilégient actuellement l‘exportation depuis le Ghana pour réduire leurs coûts et les risques au niveau du port. Mais cela ne suffit pas à expliquer l‘augmentation des prix bord-champ jusqu‘au Burkina Faso. Les exportateurs indiens se basent de plus en plus au Ghana, pays plus stable et anglophone, alors que la faible production de ce pays augmente la concurrence entre les acheteurs. Les coûts de transports diminuent par rapport à l‘exportation depuis le port d‘Abidjan car les prix des transports par camion au Ghana sont moins élevés qu‘en Côte d‘Ivoire, où l‘essence est plus chère et où le marché du transport souffre à cette période d‘une saturation avec le transport du cacao, du coton et de l‘anacarde ivoirienne. Enfin, la qualité des noix au Ghana et au Burkina est plus appréciée, alors que les vergers ivoiriens commencent à vieillir et que les producteurs et les grossistes sont sensibilisés aux pratiques de stockage de qualité. L‘importation de noix depuis le Ghana bénéficie donc d‘une légère prime sur le marché international par rapport à la Côte d‘Ivoire (50 à 100 USD supplémentaires par tonne). Les commerçants ghanéens ont donc un pouvoir d‘achat supplémentaire par rapport aux commerçants ivoiriens. À Bobo-Dioulasso les grossistes ont de meilleures offres pour l‘exportation ghanéenne qu‘ivoirienne et les prix se répercutent alors jusqu‘aux prix bord-champs ce qui explique cette différence de prix depuis 2011 entre la Côte d‘Ivoire et le Burkina Faso (comm. personnelle Ricau, 2013).

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103 Figure 30 : Evolution des prix bord-champs au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire pour les années 2011, 2012 et 2013 relevés par le service N'Kalô (N'Kalô, 2013), l‘absence de prix bords-champs au Burkina Faso en début de campagne 2011

s‘explique par la mise en place plus tardive du relevés de prix dans le pays par N‘Kalô.

Aux côtés des variabilités inter-annuelles, saisonnières et sous-régionales des prix, il peut y avoir des hausses très localisées et ponctuelles, du fait de la présence d‘acteurs particuliers. À Orodara, chaque année en début de saison, les prix sont globalement plus élevés (200 à 266 FCFA/kg contre 133 FCFA/kg dans les autres régions début février 2013) puisque les nombreuses transformatrices souhaitent assurer leurs stocks avant que les prix ne montent trop. Elles s‘approvisionnent donc à proximité.

Ces différents éléments s‘expliquent assez facilement a posteriori, mais ils conduisent à des campagnes difficiles à prévoir pour les producteurs. De nombreux facteurs entrent en jeu à des échelles internationale, sous-régionale, nationale et locale. Cette incertitude est au cœur des préoccupations des producteurs d‘anacarde qui entendent vendre au mieux leur production.

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