• Aucun résultat trouvé

Q UELQUES COMMENTAIRES

Dans le document Récits de formation (Page 77-80)

TEMPORALITÉ ET CONSTRUCTION DU SUJET PAR LE RÉCIT

Q UELQUES COMMENTAIRES

Les présentations faites au cours de ce colloque font ressortir deux constats extrêmement significatifs. D’une part les histoires de vie ont fait leur chemin comme pratique d’intervention ; elles ont notamment développé un corpus théorique pluriel et des métho- dologies diverses ; déjà – et il faut s’en étonner – elles ont près de vingt années derrière elles. D’autre part, il

y a lieu de faire appel, comme on l’a fait au cours de ces deux jours, à ce qu’ont trouvé les littéraires, les psychologues, les sémiologues et peut-être les musi- ciens (allons savoir ce qu’on pourrait comprendre de la notion d’accompagnement en les consultant) qui se sont penchés ou se penchent encore sur des propos connexes ou semblables aux nôtres, par exemple, l’éclatement du récit, la formation, l’accompagne- ment de la personne qui fait son récit ou son histoire. En effet, ce va-et-vient entre les disciplines demeure un moyen et une source d’échanges féconds et enri- chissants pour nos pratiques, si variées soient-elles ; Edgar Morin ne disait-il pas que le savoir se trouve dans les interstices entre les disciplines ? La nécessité de fonder nos pratiques sur des théories qui font sens et qui éclairent nos interventions est toujours ac- tuelle.

Je suis arrivée ici en me demandant quel était le lien entre la Bildung et ma pratique des récits de transition et de la relecture de vie ; je repars, comme

Les réactions cela arrive souvent lorsque je participe à un colloque,

avec plus de questions que je n’en avais à mon arri- vée.

nSur la Bildung

Quelle notion de Bildung a-t-on véhiculée pen- dant ces deux jours ? La notion de Bildunginvoquée par Christine Delory-Momberger ne semble pas la même que celle à laquelle se réfèrent Patrick Paul et M.-C. Thibault. Laquelle retient-on ? Ensuite, quels sont les recoupements féconds et pertinents pour nous entre Bildung et récit de formation ? Qu’est-ce que ces recoupements nous donnent à comprendre ? En quoi cela affecte-t-il nos pra- tiques ?

nSur le récit versus le roman et le roman de forma- tion

Quelles sont les caractéristiques du roman de for- mation et du roman tout court ? Quelle est la diffé- rence entre le récit et le roman ? Quels sont les re- coupements entre le récit de formation et le roman de formation ? Le fait de creuser plus avant ces ques- tions et de considérer ce que des chercheurs d’autres disciplines apportent comme éléments de réponse, nous permettrait sans doute de concevoir distincte- ment le récit de formation et le roman de formation et de faire des liens féconds avec nos pratiques.

Depuis le colloque, j’ai eu l’occasion de lire la préface du volume Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe1, préface écrite par Bernard Lortholary qui y expose sa notion du roman de formation : « Au lieu que le roman en gé-

néral mène son héros jusqu’à ce moment final de vé- rité où il se retourne – et le lecteur avec lui – sur toute son existence, où celle-ci se “transforme en destin” et prend un sens désormais irrévocable, le roman de formation s’arrête en quelque sorte à mi- chemin. De l’enfance ou de l’adolescence, il ne conduit pas sons héros jusqu’à la fin de sa vie, mais seulement jusqu’au terme de sa jeunesse : au mo- ment où il devient adulte, parvient à la maturité, trouve sa place dans la société et arrête sa vision du monde2. »

Cette citation laisse entendre que les temps de vie couverts par le roman de formation sont ceux de l’adolescence et du début de l’entrée dans le monde adulte. Dès lors, qu’advient-il de tous ces adultes de plus de trente ans qui font leur récit de vie ? Seraient- ils en dehors de la formation ? Quels sont les temps de la vie humaine recouverts par le roman de forma- tion et par le récit de vie en formation, entendu que nous reconnaissons quatre grandes saisons de la vie adulte, d’une durée approximative de vingt ans, soit :

– L’enfance et l’adolescence (entre zéro et dix- huit/vingt ans).

– La jeunesse (de dix-huit/vingt ans à trente- huit/quarante ans).

– Le mitan (de quarante ans à soixante/soixante- cinq ans).

– La vieillesse (plus ou moins soixante-cinq ans et plus).

Ceci nous amène à une autre question :

Le mot formation a-t-il la même acception dans l’expression « roman de formation » et « récit de for-

mation » ? Il semble y avoir des recoupements dans la mesure où il est question d’un apprentissage dans les deux cas, mais le roman de formation semble porter sur un temps particulier de la vie humaine, celui de l’entrée dans la vie adulte avec rétrospective au besoin sur l’enfance et l’adolescence tandis que le récit de formation – qui se produit pendant les sai- sons de la jeunesse et du mitan porte autant sur l’en- fance, l’adolescence et le mitan. Quant à la période de la vieillesse, je préfère parler de relecture de vie.

Par ailleurs, la notion avancée par Lortholary im- plique des idées qui se retrouvent chez les théoriciens du développement adulte : à titre d’exemple, l’idée de « trouver sa place dans le monde adulte » pour le jeune adulte est énoncée par Levinson tandis que celle de « former sa vision du monde » est proposée par Roger Gould. Quel ne fut pas mon étonnement de retrouver là des tâches de développement qui in- combent au jeune adulte lors de son entrée dans le monde adulte !

nSur construction du sujet et développement Comment se construit une personne ? Plusieurs pistes théoriques s’offrent à nous en vue d’appro- fondir notre conception de la transformation des per- sonnes.

J’en énumère succinctement trois :

– Une première piste : le Self de George Herbert Mead

Pour Mead, le Selfest l’articulation dialectique du Je (I) et du Moi (me).

Le Je est un pur processus, fluide et insaisissable. Ce Je est celui qui est sujet du verbe lorsque je parle

à la première personne et qui, trois minutes plus tard, se trouve plus vieux… de trois minutes. Lorsque je parle sur moi, que je dis des choses sur moi et partage mon image de moi, les contenus (cela) que je dis comme caractéristiques de mon être, appartiennent au Moi. Le Selfest le produit de l’interaction dialectique entre le Je et le Moi à tra- vers les relations interpersonnelles et intraperson- nelles.

– Une deuxième piste : la relation interperson- nelle comme matrice du développement des per- sonnes (Carl Rogers et la psychologie humaniste) pour qui la qualité des relations interpersonnelles et

Les réactions des communications interpersonnelles contribue,

affecte, bref, façonne le développement d’une per- sonne. Il y aurait donc des caractéristiques relation- nelles de la part de la personne de l’accompagnateur qui faciliteraient la construction de la personne qui faisait son récit.

– Une troisième piste : Harry Stack Sullivan, lors- qu’il présente la personnalité comme un phénomène profondément interpersonnel, nous propose une théorie qui nous aide à comprendre comment le sujet se construit par le récit.

– Une dernière piste : en s’inspirant d’un autre cor- pus théorique, celui de la sémiotique, il fait bon de se rappeler que, pour suppléer au modèle dyadique du signe mis en avant par Ferdinand de Saussure, mo- dèle dans lequel on trouvait le signifiant – les mots arbre, tree (en anglais), Baum (en allemand) ren- voyant à un signifié, ce à quoi réfèrent ces mots –, Charles Sanders Peirce a mis en avant un modèle triadique du signe à l’intérieur duquel se trouvent non seulement le signifiant et le signifié, mais aussi l’in- terprétant. Ce modèle, à la réflexion, affirme au plan sémiologique ce que Merleau-Ponty a tenté de mettre en relief : le primat du sujet dans la compré- hension de la relation qui s’établit entre l’homme et le monde.

Voilà autant de pistes théoriques qu’il importe de ne pas perdre de vue quand on tente de comprendre le complexe processus de la construction du sujet à l’occasion du récit de soi.

L

A QUESTION DE LA CONSTRUCTION DU

Dans le document Récits de formation (Page 77-80)