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C ONCLUSION : ÉTHIQUE DE LA MÉTIS

Dans le document Récits de formation (Page 111-114)

ACCOMPAGNEMENT MÉTISSÉ

C ONCLUSION : ÉTHIQUE DE LA MÉTIS

En cohérence, me semble-t-il, d’une part avec le principe de « considération positive incondition- nelle » de C. Rogers, et d’autre part avec la méthode du « recadrage » développée par Watzlawick, la stra- tégie de l’accompagnateur peut se concevoir sous l’angle paradoxal. Dans la proximité des travaux de C. Rogers, l’accompagnement au dépassement nous semble assimilable à une démarche paradoxale qui conçoit l’aide comme une contrainte. Avec Watzla- wick, le « recadrage » ouvre la possibilité d’entrevoir l’accompagnement comme la faculté de proposer une réponse à la demande de l’accompagné, voire de ren- voyer l’accompagné dans un autre domaine ou contexte que celui dans lequel la demande est formu- lée. Autant dire que le paradoxe du recadrage consiste à répondre sans répondre ou bien alors à ré- pondre ailleurs et pour toujours à la question inscrite dans l’ici et maintenant. Ainsi le recadrage suppose un changement spatial et ou temporel.

De façon quasi symétrique à ces deux méthodes de psychothérapie, le mythe d’Ulysse et celui d’Hermès renvoient aux deux mêmes paradoxes. Les dieux ai- dent Ulysse à se dépasser en le contraignant presque toujours démesurément ; on peut dire qu’en cela, les dieux de l’Olympe exhibent une « considération posi- tive inconditionnelle » à l’égard d’Ulysse. En ce qui concerne le dieu Hermès, sa ruse pour accompagner le pèlerin égaré est assimilable au recadrage : Hermès aide le voyageur à trouver lui-même son chemin en regardant les astres, c’est-à-dire en changeant de contexte ou de repère.

En psychothérapie comme en mythologie, nos ar- gumentations de l’accompagnement convergent afin de montrer l’efficience du paradoxe. Mais pour un es- prit accoutumé à la logique aristotélicienne, un ac- compagnement paradoxal n’est ni efficient ni compa- tible avec une éthique de la relation humaine étayée sur la confiance authentique réciproque. Plus précisé- ment, l’éthique peut se concevoir comme l’exercice du respect du principe d’authenticité17, c’est-à-dire comme le processus d’assomption de soi-même et de l’autre, de l’idem et de l’ipse, pour dire comme Morin18. Cette acception de l’éthique ne dramatise pas d’elle-même le recours à la métisdans l’accompa- gnement. C’est seulement au travers du prisme d’une pensée binaire et manichéenne que nous optons prio- ritairement pour une interprétation dramatique et aliénante de la métis. L’assomption des paradoxes de l’accompagnement, tant pour l’accompagnant que pour l’accompagné, correspond à une conception tra- gique qui conjoint des processus antagonistes : alié- nation versus libération, aide versus contrainte, etc. Avec cet esprit tragique, le doute s’installe quand à l’efficience des stratégies d’accompagnement direct : quel respect a-t-on de la personne à la place de la- quelle on résout le problème ? Dans le même temps, l’accompagnement métissé gagne des points d’éthique, pour ainsi dire : on peut concevoir que si l’accompagnateur respecte profondément l’accompa- gné, alors il ne lui fera pas systématiquement l’affront de l’assujettir en lui donnant la solution aux pro- blèmes rencontrés. Sur ce dernier point, la concep- tion de l’éthique de l’accompagnement ne fait pas le déni du respect de l’autoréférence de l’accompagné,

en revanche il reste en suspend la question de savoir quand l’accompagnateur doit aider sans métissage.

Dans le domaine de l’éducation comme de la for- mation, on s’accorde assez facilement sur l’idée géné- rale selon laquelle la problématique de l’accompagne- ment enchevêtre les stratégies de l’accompagnateur et celles de l’accompagné. Cet accord de principe est souvent lié à la reconnaissance de l’irréductibilité des stratégies de l’un à celles de l’autre. Mais malgré que l’on ne réduise pas l’enseignement à l’apprentissage, tout semble néanmoins se passer comme si l’on cher- chait à savoir comment l’élève apprend, ce qu’il pré- fère, etc., pour pouvoir lui enseigner les leçons de manière adéquate. Sans rejeter la légitimité acadé- mique des méthodes pédagogiques qui tentent de re- médier aux problèmes des élèves en leur facilitant la tâche pour apprendre, on peut toutefois s’interroger sur l’éthique d’un accompagnement qui semble vou- loir faire l’économie de l’expérience de l’épreuve, de l’erreur et de l’errance dans le développement de la personne.

DOMINIQUE VIOLET

Maître de conférences HDR, GREPCEA, UPPA

1. « Par apprentissage authentique, j’entends un apprentissage qui est plus que la simple accumulation des connaissances. C’est un apprentissage qui provoque un changement dans la conduite de l’individu » écrit Rogers (C.), 1968, p. 201.

2. JUNGER(E.), Sens et signification, Paris, Christian Bourgois,

1995.

3. MONTAIGNE, Essais, livreI, « De l’institution des enfants », chap. XXVI, Paris, coll. « Folio Classique », 2001, p. 223.

4. ROGER(C.), Le Développement de la personne, Paris, Dunod, 1968, 364 pages ; Roger (C.), Liberté pour apprendre, Paris, Dunod, 1969, 355 pages.

5. SNYDERS(G.), Où vont les pédagogies non directives, Paris,

PUF, 1973.

6. Op. cit., 1968, p. 275.

7. WATZLAWICK(P.), HELMICKBEAVIN(J.) & JACKSON(D.- D.), Une logique de la communication, Paris, Seuil, 1972, 280

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IBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

DÉTIENNE(M.) et VERNANT(J.-P.), Les Ruses de l’in-

telligence, la métis des Grecs, Flammarion, 1974.

DUPUY(J.-P.) et LIVET(P.), Les Limites de la rationa-

lité, Rationalité, étique et cognition, La Découverte,

1997.

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JUNGER(E.), Sens et signification, Christian Bourgois,

1995.

MONTAIGNE, Essais, De l’institution des enfants, livreI, chap. XXVI, Seuil, coll. « Folio Classique », 2001. MORIN (E.), Introduction à la pensée complexe, ESF,

1990.

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SNYDERS (G.), Où vont les pédagogies non directives, PUF, 1973.

VIOLET(D.), Paradoxes autonomie et réussite scolaire,

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WATZLAWICK (P.), HELMICK BEAVIN(J.) & JACK-

pages ; WATZLAWICK(P.), WEAKLAND(J.), FISCH(J.), Change- ments, paradoxes et psychothérapie, Paris, Seuil, 1975.

8. ELKAIM(M.), Si tu m’aimes ne m’aime pas, Paris, Seuil, 1989, 183 pages.

9. SERRES(M.), Le Tiers-instruit, Paris, Bourin, 1991, p. 23. 10. « …Il est important que le thérapeute ne donne au reca- drage qu’une valeur opératoire, le saut que permet ce type d’in- tervention n’a d’utilité que s’il offre une autre lecture de la situa- tion, ouvre d’autres possibles », écrit M. Elkaïm (1989, p. 176). 11. Cf. infra chap. V et cf. WATZLAWICK(P.), 1975, p. 103.

12. DUPUY(J.-P.) et LIVET(P.), Les Limites de la rationalité, I Rationalité, étique et cognition, Paris, La Découverte, 1997.

DUPUY(J.-P.), « Les Paradoxes de l’ordre conventionnel », in

BAREL(Y.) Système et paradoxe, Paris, Seuil, 1993.

13. ROGERS(C.), op. cit.

14. SERRES(M.), op. cit., 1991, p. 28.

15. DÉTIENNE(M.) et VERNANT(J.-P.), Les Ruses de l’intelli-

gences, la métis des grecs, Paris, Flammarion, 1974.

16. On se souvient que Prométhée fut puni par Zeus pour avoir donné aux hommes la lumière qu’ils ne parvenaient pas à at- teindre par eux-mêmes. Pour plus de précision sur le mythe de Prométhée, LECOURT (D.), Prométhée, Faust, Frankenstein,

Paris, Synthélabo, 1996. 17. ROGERS(C.), op. cit.

18. MORIN(E.), Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.

Dans le document Récits de formation (Page 111-114)