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D U SUIVI À L ’ ACCOMPAGNEMENT

Dans le document Récits de formation (Page 126-128)

SPÉCIALISÉS : ENTRE CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ PROFESSIONNELLE

D U SUIVI À L ’ ACCOMPAGNEMENT

Chaque étudiant se trouve donc « accompagné » plus que « suivi » par un formateur référent au cours de sa formation. Le suivi, précise le dictionnaire alphabé- tique et analogique de la langue française, évoque « l’action de suivre, de surveiller, pendant une période prolongée, en vue de contrôler ». L’accent est alors mis sur le souci de maîtrise de l’autre au travers d’une « prise en charge » de l’étudiant orchestrée par un for- mateur supposé « maître du sens ». D’une autre ma- nière, l’accompagnement insiste sur la « prise en compte » du sujet en formation et cherche à promou- voir l’image d’un formateur cheminant avec le sujet aux fins de lui permettre de « mettre du sens » sur les changements que déterminent chez lui le processus de formation dans lequel il se trouve engagé. Chris- tine Abels, formatrice, remarque à propos de cette notion d’accompagnement : « Étymologiquement, accompagner provient de conpane, c’est-à-dire com- pagnon, et signifie partager le pain. […] Il s’agit de s’ajouter à, de se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui […]. En musique, l’ac- compagnement est l’action de jouer une partie musi- cale de soutien à la partie principale, ceci dans l’ob- jectif de soutenir la mélodie. » Elle poursuit :

« L’accompagnement a un sens de partage, d’être avec, à côté de l’autre et non à sa place ; chacun est considéré comme sujet et acteur, aucun n’est objet de l’autre4. »

On voit que dans cette perspective, l’accompagne- ment ne saurait être envisagé comme uniquement centré sur l’un ou l’autre des protagonistes. L’un et l’autre se trouvent impliqués dans un parcours dont les formateurs de l’ITS soulignent la singularité. Au plan théorique, l’accompagnement dont il est ici question paraît devoir s’inscrire dans ce que Georges Lerbet nomme les pédagogies en deuxième per- sonne5. Pour expliquer rapidement, la notion de pé- dagogie en première personne recouvre les dispositifs d’enseignement qui se trouvent quasi exclusivement centrés sur le maître et sur le savoir dont il est por- teur. Les pédagogies en troisième personne s’incar- nent dans les méthodes dites « d’école active » et dont les pratiques se centrent préférentiellement sur « l’élève apprenant ». Enfin, le concept de pédagogie en deuxième personne opère une centration sur la re- lation enseignant/enseigné dans laquelle « le rôle d’autrui semble être, avant tout, de produire une aide catalytique à l’apprentissage de l’autre, quand aide il y a. D’où il résulte en corollaire que la pédagogie appa- raît comme une facilitation relationnelle liée au par- tage d’expériences d’apprentissage6».

Cette situation d’accompagnement n’est cepen- dant pas exempte de difficultés. À ce propos, Mireille Cifali pointe les « mirages » de l’accompagnement : « Le terme est flatteur, il semble mettre un profes- sionnel à l’abri d’une violence inscrite habituellement dans la rencontre et propulser des qualités comme

l’altruisme, le respect, la bienveillance. On donne de l’importance à l’autre, pas à soi ; on accompagne, on n’impose pas ; on fait œuvre de générosité, on n’est pas dans une autorité répressive ; on donne priorité aux capacités et projets de l’autre, on n’impose pas de l’extérieur ; on ne laisse pas l’autre dans sa solitude, on entre en complicité de présence… La mariée n’est- elle pas trop belle ? Nous savons qu’aucun geste n’est à l’abri du négatif, de la destruction et de la perver- sion. Que même l’amour peut contenir de la haine et viser la destruction de l’autre. Alors l’accompagne- ment ? Belle posture, certes, mais où commencent dérives et pièges ? Peut-être justement dans le fait qu’on veut y éviter l’affrontement, l’imposition, l’in- sistance, l’influence, et même la violence ; dans le fait qu’on tente d’y annuler les hiérarchies du savoir en délayant la relation d’autorité et qu’on développe un respect de l’autre et de son projet qui peut aboutir à une paralysie, si on le laisse tel qu’il est sans oser le bousculer pour qu’il sorte de là où il s’est peut-être enfermé7. »

En outre, au moins trois paradoxes de l’accompa- gnement méritent d’être identifiés :

– Comment composer à partir d’une situation contractuelle imposée par une relation de pouvoir qui ne s’avoue pas toujours clairement ? « J’accompagne quelqu’un en vue de la construction de son autono- mie professionnelle (et sans doute personnelle ?) mais le seul fait de l’accompagner inscrit mon action dans une posture de disparité statutaire qui, d’une certaine manière, dénie l’autonomie du sujet » précise l’un des formateurs.

– L’injonction faite au sujet en formation est fon- damentalement paradoxale souligne un autre : « Sois autonome. » Or, le sujet est placé dans un cadre de formation relativement prescriptif dont le formateur est censé avoir la maîtrise mais dont certains aspects dépassent le sujet en formation. Il y a ici une somma- tion d’émancipation qui, paradoxalement, ne peut passer que par une situation de domination relative.

– Enfin, dans le cadre de l’accompagnement dis- pensé à l’institut, nous cherchons à favoriser l’émer- gence d’un sujet singulier et, dans le même temps, nous visons à le « désindividualiser » en proposant un maillage de groupe supposé garant de la construction d’une identité professionnelle collective.

Comment composer avec ces difficultés ? Nous avons vu que l’accompagnement proposé repose sur la notion de partage d’expériences d’apprentissage et qu’il s’effectue plus particulièrement dans le cadre d’un dispositif de groupe où les participants se trou- vent accompagnés par un « formateur référent ». L’accompagnement dont il est question s’appuie donc sur deux niveaux distincts et néanmoins articu- lés entre eux : l’accompagnement par « les pairs » et l’accompagnement par le référent. Dès lors, le groupe réalise un espace de parole où le formateur accom- pagne les étudiants en privilégiant l’interaction entre les participants et en évitant d’incarner une position de « toute puissance » quant à la maîtrise des savoirs théoriques et pratiques. En outre, si la présence du formateur introduit, de fait, une disparité statutaire, l’intention est de tendre vers une parité relationnelle dans le groupe. Ce dernier point n’est pas sans rappe-

ler ce que Carl Rogers, s’appuyant sur la notion de re- lation d’aide, théorisait en matière de pédagogie : « J’ai finalement l’impression que le seul apprentis- sage qui influence réellement le comportement d’un individu est celui qu’il découvre lui-même et qu’il s’approprie8. »

L’

ACCOMPAGNEMENT À L

AUTONOMIE ET À

Dans le document Récits de formation (Page 126-128)