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L A QUESTION DE LA CONSTRUCTION DU SUJET PAR LE RÉCIT ET DE LA TEMPORALITÉ

Dans le document Récits de formation (Page 80-83)

TEMPORALITÉ ET CONSTRUCTION DU SUJET PAR LE RÉCIT

L A QUESTION DE LA CONSTRUCTION DU SUJET PAR LE RÉCIT ET DE LA TEMPORALITÉ

Elle se pose de multiples façons et dans des re- gistres divers. Je vais la poser, dans ce deuxième temps, non au niveau général des grandes catégories, mais à un niveau plus modeste mais non moins com- plexe qui est le suivant : lorsqu’une personne raconte un souvenir, celui-ci inévitablement est raconté dans un temps narratif qui se joue des temps de la chrono- logie factuelle des événements.

Quel traitement du souvenir fait-on ? Y a-t-il une façon d’intervenir, pour quiconque accompagne la personne qui fait la relecture de ce souvenir, de ma- nière à permettre à cette personne d’intégrer les vécus inachevés que recèle ce souvenir, autrement dit, de manière à favoriser la construction du sujet… par- don, de la personne elle-même (je préfère nettement le terme de personne à celui de sujet, ce qui met au premier plan une posture psychologique-existen- tielle). Quel traitement faisons-nous du souvenir, en entrevue individuelle ou en groupe, de manière à fa- voriser le développement de la personne ?

Marie-Christiane Thibault, le matin du deuxième jour, nous a présenté une typologie du récit d’expé- rience où elle décrivait les différentes phases du récit comme suit :

– Mobilisation autour d’une expérience, d’un mo- ment.

– Surgissement du souvenir, de l’expérience. – Distanciation, conscientisation.

– Conceptualisation du sens de cette expérience pour nous.

À ces quatre moments, je vais rattacher quatre mots : amorce, immersion, réaction et intégration.

Ces quatre mots représentent les étapes qui consti- tuent les quatre temps du processus de relecture de vie tel que décrit par Hétu3.

La relecture de vie est une forme du récit de vie d’abord apparue chez les Britanniques et les Améri- cains dans un champ d’émergence précis, celui des gérontologues, infirmières, psychologues, con- seillers et médecins auprès des personnes vieillis- santes, également intervenants auprès des mou- rants. Avec le temps, la pratique de la relecture de vie s’est élargie à une population autre que celle des personnes âgées et à des enjeux autres que celui de l’intégrité entendue au sens d’Erikson ; ainsi en est- il des périodes de transitions, de remises en ques- tion et de bilan, des périodes de fragilité et de vul- nérabilité qui donnent parfois lieu à une relecture de vie. Le médecin Robert Butler (1963)4 postule qu’il existe chez les personnes âgées une expérience intérieure ou un processus mental qui consiste à passer sa vie en revue en vue d’atteindre l’intégrité. Rappelons que Erik Erikson définit l’intégrité comme suit : « C’est au sens le plus simple bien sûr, un sentiment d’être cohérent et entier […]5. »

Le but du récit est de se réconcilier avec son passé et d’accepter son unique cycle de vie. La relecture implique de verbaliser son passé et de se resituer face à ce passé ; elle exige également de se laisser at- teindre par les implications des souvenirs évoqués.

nPremière étape du processus de relecture de vie : l’amorce

Il s’agit de se mobiliser autour d’une expérience,

d’un moment précis de notre vie, nous dit Thi- bault… de se mettre en état de se souvenir et de se laisser travailler par le souvenir. Une personne peut fort bien être habitée par ses souvenirs sans qu’il n’y ait de relecture de vie. Pour qu’il y ait relecture, il faut cette mobilisation de l’énergie de la personne. Ceci peut se faire à tâtons, progressivement, à l’oc- casion d’une sollicitation extérieure d’une personne, à partir de l’émergence du souvenir dans la vie psy- chique.

nDeuxième étape du processus de relecture de vie : l’immersion

C’est le surgissement du souvenir, de l’expérience passée, puis son dévoilement progressif, et son dé- ploiement. La personne tourne autour du souvenir, elle se laisse envahir, parfois même habiter par le souvenir. Le souvenir peut se révéler par bribes, ou de manière massive ; il se dérobe, se masque, puis ré- apparaît. Le travail psychique consiste à lui faire de la place (attitude de réceptivité et d’attention). Ce n’est pas incidemment que l’on retrouve ici une ter- minologie chère à Heidegger et aux phénoméno- logues – apparition, déploiement, dévoilement, ma- nifestation –, et par conséquent à la méthode phénoménologique. Au cours de cette étape, il im- porte de retrouver la situation, les lieux, les per- sonnes, les enjeux, les événements, les émotions re- liées au souvenir investigué.

nTroisième étape du processus de relecture de vie : la réaction

conscientisation. Ce moment tel qu’elle le décrit res- semble beaucoup à l’étape que Jean-Luc Hétu appelle la réaction : la personne prend le temps de réagir, af- fectivement et intellectuellement – à ce souvenir tel qu’elle le comprend maintenant : elle approfondit les sentiments qu’elle éprouve et la nouvelle manière dont elle comprend aujourd’hui (ce qui c’était passé à l’époque). Telles sont les deux dimensions essen- tielles de la réaction.

nQuatrième étape du processus de relecture de vie : l’intégration

Cette étape comprend une mise en perspective de l’expérience, mise en perspective englobante, de na- ture à la fois cognitive et affective. Elle permet la syn- thèse et se rapproche de ce que M.-C. Thibault a ap- pelé ce matin la « conceptualisation du sens de cette expérience pour nous ».

Ces quatre temps, tels que définis et décrits par Jean-Luc Hétu, constituent un modèle de compré- hension fort riche qui permet à l’intervenant – ou à l’accompagnateur ou accompagnatrice – de savoir quand, comment et pourquoi intervenir de telle ou telle manière à tel moment du récit. Il permet de fa- voriser la réminiscence, en sachant quel but nous poursuivons lorsque nous accompagnons quelqu’un en processus de relecture.

Le modèle de Jean-Luc Hétu a l’avantage de nous permettre d’améliorer notre façon d’accompagner une personne qui fait son récit. Il parle concrètement de ce que nous pouvons faire (et aussi ne pas faire) en vue d’aider la construction du sujet par le récit. Reste

à vous de voir en quoi il peut vous être utile et en quoi il fait sens pour vous !

RENÉEHOUDE

Ph.D., professeure titulaire Département des communications, UQAM, Montréal

1. Coll. « Folio » n° 3077. 2. Op. cit., p. 12.

3. Cf. le modèle élaboré par Jean-Luc Hétu in Bilan de vie,

quand le passé nous rattrape, Montréal, Fides, 2000.

4. BUTLER(R.-N.), “ The Life-Review : An Interpretation of Re-

miniscence in the Aged ”, Psychiatry n° 26, 1963 pp. 65-76.

5. ERIKSON(E.-H.), The Life Cycle Completed, A Review, New York, Norton, 1982, p. 65.

Les réactions

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IBLIOGRAPHIE

BIRREN(J.-E.), Aging and Biography, Explorations in

Adult Development, Springer Publishing Co. Inc.,

New-York, 1996, 351 pages.

HETU(J.-L.), Bilan de vie, Quand le passé nous rattrape, Montréal, Fides, 2000, 190 pages.

HOUDE(R.), « Les Approches biographiques et le dé- veloppement adulte », ch. XIIIin Les Temps de la vie, le développement psychosocial de l’adulte, 3e

édition, Mont- réal, Gaétan Morin, 1999, pp. 357-385.

VRIES(B.), BIRREN(J.-E.) et DEUTCHMAN (D.-E.),

« Method and Uses of the Guided Autobiography » in HAIGHT (B.-K.) et WEBSTER (J.-D.), The Art and

Science of Reminiscence, USA et UK, Taylor and Fran-

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