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Par ce texte, Gaston Pineau nous présente ses premières impressions suite au séminaire

Dans le document Récits de formation (Page 74-77)

C

ES DEUXjours de séminaire sont un moment

collectif important dans la construction des histoires de vie en formation. C’est la première fois qu’on ose aborder ce gros mot de Bildung. Il fait peur à un certain nombre. Hier, on a fait des voyages presque sidéraux, si bien que le soir j’étais perdu. Perdu dans des temporalités multiples et perdu dans des sujets multiples. Du chevalier du

Moyen Âge au bourgeois du XVIIIeet à l’ingénieur

du XIXe siècle. Même les figures féminines de

l’Ouest – entre sorcières, vierges et maîtresses – ne m’aidaient à m’y retrouver, perdu que j’étais dans les romans et récits de vie et de fiction. Mais y a-t- il une différence entre toutes ces formes d’écriture ?

Il y a eu la nuit, j’ai un peu dormi. Je me suis dit qu’on était complètement fous de partir aussi éclatés que ça. Les communications de ce matin, qui étaient beaucoup plus contemporaines, m’ont ramené dans une temporalité plus proche, mais en renouvelant ma vision. Si bien que je pense qu’on a fait un beau

voyage en se dépaysant, redécouvrant le paysage d’une autre façon. Et puis tout ce qu’on a brassé, on l’aura par écrit. Donc nos récits oraux seront histori- cisés. On pourra revenir dessus. On pourra réfléchir un peu plus, on pourra transmettre à d’autres ce mo- ment, un peu interloquant pour moi.

Je reviens à la temporalité-construction du sujet par le récit. Je voudrais temporaliser le sujet, tant d’un point de vue individuel que d’un point de vue social. Il me semble que l’on a plus parlé d’un sujet avec un âge, malgré tout, adulte. On se trouve davantage sur la construction du sujet adulte. Construction qui varie suivant les temps sociaux. Boutinet catégorise de façon contemporaine éclairante cette construction de sujets adultes selon les temporalités sociales. Il y a des temporalités à évolution lente, qui sont presque constantes, et des temporalités à évolution rapide. C’est un contexte social qui joue beaucoup sur la construction des sujets adultes. Il dit que jusque dans

les années soixante, il y avait un modèle de sujet, qu’il appelle sujet étalon. L’éducation était vue en fonction d’un sujet étalon à construire. Puis l’évolution sociale, technique et culturelle, s’est accélérée. Le modèle d’adulte-étalon a sauté. Il est devenu celui d’un adulte en perspective mais qui recule au fur et à mesure qu’on avance. Actuellement, il n’y a même plus de perspective d’adultes, on ne sait plus trop ce que c’est. L’âge adulte est un problème. L’immaturité se pro- longe1.

Ces trois catégories m’ont aidé à comprendre un peu ce qui s’est passé hier et aujourd’hui. Hier, les communications étaient plus portées sur les tempo- ralités passées, depuis le XIIejusqu’au XIXesiècle, en

passant par le XVIIIe siècle. Les récits qui ont été

présentés, ce n’était pas le terme récit qui était em- ployé, c’était le terme roman, même si on commen- çait à s’interroger si c’était du roman ou des récits. Les titres parlent par eux-mêmes. C’était le roman

du Graal, le Bildungsroman pour le XVIIIe, et puis

avec Fabre, les romans d’aventure. Ils étaient vus comme des moyens de construire un adulte-étalon qui variait suivant les périodes. Au Moyen Âge, l’adulte modèle était le chevalier. Il prenait le pas comme référence sur le prêtre ou le moine. Au

XVIIIe siècle, le chevalier fut remplacé par le bour-

geois, pris entre le pragmatisme marchand et le ro- mantisme. Au XIXe, l’adulte-étalon, l’adulte modèle,

c’est plutôt l’ingénieur. On entre dans l’aventure technique.

On pourrait reprendre le titre Temporalité et construction du sujet – donc du chevalier, du bour- geois, de l’ingénieur – par le moyen littéraire du roman. J’aime à rappeler qu’au début cela voulait juste indiquer un changement de langue : du latin au roman, qui n’était pas le genre littéraire actuel.

Actuellement, on change de sujet. Il n’y a plus d’adulte-étalon. Ce sont des sujets courants, comme on l’a montré, qui essaient de se développer. Ils tra- vaillent avec des temporalités complètement éclatées en essayant de les conjuguer à la première personne du singulier ou du pluriel. Pour comprendre ces ap- prentissages adultes de conjugaison des temps, il faut faire appel à une herméneutique de la conscience historique plus fine qu’avant. Ricœur situe la construction du temps personnel comme un tiers- temps. Ce sont donc des temps personnels qui es- saient de se construire par des moments de rencontre forts, qui créent des articulations. On change donc de temporalités, ce sont des temporalités nouvelles qui apparaissent, personnelles et non héritées socia-

Martine Lani-Bayle, Christine Delory-Momberger et Gaston Pineau…

Les réactions lement.

On change aussi de moyens, avec le passage du roman comme genre littéraire à d’autres formes plus variés. Les premiers sont des romans d’éducation à fi- gures exemplaires pour socialement transmettre des modèles. Tandis qu’avec la notion de récit, on intro- duit l’oralité, le magnétophone et surtout l’interlocu- tion. Ce n’est plus juste un auteur qui parle, ce sont des acteurs qui s’interpellent, socialement. C’est une situation interactive majeure de construction des su- jets entre l’oral, l’écrit et les individus. Le magnéto- phone permet de travailler l’oral, de le transcrire, de le visualiser. L’image qui entre en jeu aide à passer d’un récit d’expérience à un récit de formation. Com- ment rendre formatrice cette expérience, la mettre en sens ? On remarque alors l’apparition de nouveaux modèles. On est sortis des modèles idéologiques sur- plombants et on entre dans la construction de mo- dèles d’autoconfrontations croisées.

S’il faut reprendre des figures littéraires pour nom- mer ces nouveaux moyens, je trouve que le roman, dans sa connotation bourgeoise, me semble trop pauvre pour rendre compte de tous les genres litté- raires qui sont à l’œuvre. Car nos histoires de vie sont parfois des tragédies, des drames, des comédies, de l’épopée, de la poésie, des chansons. Les Cahiers d’Études Léo Ferré, édités à Nantes par le même Petit Véhicule que cette revue, nous rappellent comment la chanson est un moyen majeur de construction ac- tuelle pour les jeunes. Et pour bien le comprendre, par nous, lettrés, il n’est peut-être par inutile de se souvenir de l’importance des chansons de geste des poètes médiévaux comme moyen de travailler le sens

des gestes. Même si ce ne sont pas les mêmes gestes, ni vécus par les mêmes personnes. Mais qui se plain- dra – à part les nostalgiques – de cette démocratisa- tion culturelle ?

On est donc dans un éclatement apte à féconder des moyens d’expression pour construire des tempo- ralités personnelles avec la variété de tous les sujets, de tous les individus. On est à l’orée d’un nouveau millénaire et de la construction de nouvelles tempo- ralités, de nouvelles sociétés, de nouvelles personnali- tés.

GASTONPINEAU

Professeur en sciences de l’éducation, université de Tours

1. BOUTINET(J.-P.), L’Immaturité de la vie adulte, Paris, PUF,

1998.

TEMPORALITÉ ET CONSTRUCTION

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