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l’analyse de la sécurité alimentaire

5. Les données

5.4 Quatre types de ménages : les pauvres et les non-pauvres en milieu

rural et en milieu urbain

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Suite à l’analyse réalisée dans le chapitre 1, pour l’étude de la sécurité alimentaire, on retient comme indicateurs de sécurité alimentaire, ceux du Comité permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel : on compare les quantités moyennes consommées par personne dans chaque ménage type à la « norme » établie pour le Burkina Faso par le CILSS (CILSS, 2004), soit 203 kg par personne et par an pour les céréales et 14 kg pour le groupe viandes-poisson. On tient ainsi compte à la fois des niveaux de kilocalories et de protéines nécessaires, et de la diversification de la consommation. On considère que ces deux groupes de produits permettent d’avoir une vision stylisée de la situation alimentaire des ménages burkinabè. Les céréales et les produits animaux fournissent en effet, à eux seuls plus de 80% des apports en glucide, 70% des apports énergétiques, 42% des apports en lipides, et 32% des apports en protides (Ministère de l'Agriculture et de la Sécurité Alimentaire, 2010).

Les consommations en valeur des céréales et des produits animaux de la MCS ont ainsi été converties en kilogrammes par personne sur la base des statistiques de population par catégories de ménages et du prix moyen de chaque produit l’année de référence. Ce travail de conversion permet d’avoir une vision assez précise de l’état nutritionnel des individus, et de vérifier que les données de la matrice de comptabilité sociale sont cohérentes à la fois par rapport aux travaux réalisés sur l’état nutritionnel et aux normes de consommation établies par le CILSS (CILSS, 2004). Cette approche offre par ailleurs une analyse beaucoup plus fine de la situation alimentaire que dans la plupart des modèles d’équilibre général où on analyse les pourcentages d’accroissement de la consommation de l’ensemble d’un groupe sans tenir compte des qualités nutritionnelles ni de l’écart absolu à une norme (Gérard et al., 2012). Un accroissement de 20% de la consommation de céréales qui peut alors apparaître comme un impact très positif pour la sécurité alimentaire ne signifie qu’une légère amélioration si les niveaux initiaux sont très éloignés de la norme (un accroissement de 20% d’un niveau initial de 140 kg permet d’atteindre 168 kg mais, pour une norme de 203 kg, l’insécurité alimentaire reste encore importante).

36 Il est vrai qu’un modèle EGC couplé avec un modèle de micro-simulation aurait permis de traiter de la question

des effets ré-distributifs mais la distinction entre pauvres et non pauvre permet déjà d’avoir une première approximation de l’ampleur des impacts des scénarios à simuler et de la nature pro-pauvre des scénarios. Des travaux futurs pourraient en conséquence être orientés dans ce sens en vue d’enrichir l’analyse.

L’efficacité d’une politique est alors analysée en termes de sa capacité à accroître la consommation moyenne des personnes vulnérables au moins jusqu’à cette norme.

Les ménages considérés ici comme en insécurité alimentaire sont ceux qui n’atteignent pas la norme, soient les ruraux pauvres et les urbains pauvres (41% et 4% de la population respectivement – Tableau 23).

La distinction des ménages entre pauvres et non-pauvres et selon le milieu de résidence (rural versus urbain) permet d’une part de concentrer l’analyse sur les catégories vulnérables à l’insécurité alimentaire (pauvres) tout en analysant le caractère pro-pauvre ou non de la croissance dans des scénarios alternatifs, et d’autres part de comparer les effets distributifs d’une politique entre les ruraux et les urbains.

La situation alimentaire l’année de référence (2005), telle que décrite par la matrice de comptabilité sociale, est préoccupante pour les plus pauvres en milieu rural comme en milieu urbain. La consommation de céréales comme celle des produits animaux est largement en dessous de la norme CILSS (Figure 14). Le déficit de céréales est particulièrement important chez les urbains pauvres (33%) et plus limité chez les ruraux pauvres (14%). L’écart à la norme est également important pour les produits animaux dont le déficit atteint 31% et 22% respectivement pour les urbains pauvres et les ruraux pauvres, soulignant au-delà du déficit en quantité, la faible qualité de l’alimentation.

Contrairement aux pauvres, les non-pauvres ont des niveaux de consommation particulièrement importants surtout pour les produits animaux : la consommation de céréales des ruraux pauvres est de 28% au-dessus de la norme contre 6% pour les urbains non-pauvres. En ce qui concerne les produits animaux, les ruraux pauvres ont un niveau de consommation de 2,5 fois supérieur à la norme contre 3 fois pour les urbains non-pauvres.

Figure 14: Consommation par type de ménage dans la situation initiale

Source : MCS (2005)

En milieu rural, la consommation de céréales est très concentrée sur les céréales traditionnelles – autres céréales (mil, sorgho, fonio) : 68% pour les ruraux pauvres et 56% pour les ruraux non- pauvres. En milieu urbain, c’est plutôt le maïs (et le riz pour les urbains non-pauvres) qui constitue l’aliment de base, quoi que les céréales traditionnelles demeurent importantes dans la consommation des urbains pauvres. La consommation en céréales est plus diversifiée en milieu urbain qu’en milieu rural.

La situation alimentaire des plus pauvres est la conséquence directe de la faiblesse des revenus. La figure 15 montre les revenus par tête et par an par ménage type dans la situation initiale en 2005 d’après la MCS. Tout comme les estimations des niveaux de consommation alimentaire, les revenus par tête ont été estimés en considérant les populations par ménage type. Les populations par type de ménages sont obtenues en appliquant les taux de pauvreté rurale et urbaine respectivement à la population rurale et à la population urbaine de l’année de référence (52,3% et 19,9% respectivement (INSD, 2003)). Le revenu moyen par tête dans chaque catégorie de ménage est alors obtenu en faisant le rapport entre la valeur globale contenue dans la MCS et la population pour ce ménage type. Alors que le seuil de pauvreté était estimé à environ 83000 Fcfa37 par tête et par an en 2005, les ruraux pauvres et les urbains pauvres gagnent respectivement 25% et 32% en dessous de ce seuil. Les revenus des non-pauvres sont largement aux dessus de la ligne de pauvreté: 2,4 fois pour les ruraux non-pauvres et 3,5 fois pour les urbains non-pauvres.

Figure 15: revenus réels par type de ménage dans la situation initiale

Source : MCS (2005)

Comme le montre le tableau 23 d’après la matrice, l’agriculture constitue la principale source de revenu pour la grande majorité des ménages au Burkina Faso – plus de la moitié des revenus provient de l’agriculture – exceptée les urbains non-pauvres dont seulement 7% des revenus proviennent de ce secteur. Sur les 45% de la population pauvre, 41% vivent en milieu rural contre seulement 4% en milieu urbain : la pauvreté est un phénomène essentiellement rural.

Tableau 23: Quatre groupes de ménages en fonction du niveau de vie et du milieu de résidence38

population

part dans la

population (%) Revenus/tête (FCFA)

Sources de revenus(%) Secteurs

agricoles secteurs non-agricoles Ruraux pauvres 5 826 502 41 62101 72 28 Urbains pauvres 608 527 4 56073 68 32 Ruraux non-pauvres 5 314 038 38 201862 53 47 Urbains non-pauvres 2 449 396 17 291984 7 93

Source : MCS 2005 et World Bank (2014)

38 Les niveaux de revenu (et de consommation) des 4 catégories de ménages peuvent paraître surprenants : on

pourrait s’attendre à ce qu’ils soient plus faibles chez les ruraux pauvres que les urbains pauvres. Ces résultats sont tout à fait cohérents. Selon les résultats de l’enquête burkinabè sur les conditions de vie des ménages (EBCVM) de 2003, l’évaluation des niveaux de revenu comprend à la fois la valeur monétaire de l’autoconsommation et les revenus monétaires. En milieu urbain, l’autoconsommation représente seulement 13% des revenus des ménages, contre 30% en milieu rural. En milieu urbain, un seuil national de pauvreté de 83000 FCFA/an exclu logiquement les salariés publics comme privés : le SMIG au Burkina Faso représente 33 000 FCFA par mois. Même pour un salaire mensuel d’un tiers du SMIG (10 000 FCFA), un salarié ne peut pas être classé dans la catégorie des pauvres car il aurait alors un revenu annuel de 120 000fcfa, largement au-dessus de la ligne de pauvreté. Il en résulte que l’essentiel des pauvres en milieu urbain est constitué des sans-emplois et/ou de ceux qui exercent une activité faiblement rémunératrice. La proximité entre le taux de pauvreté urbaine (19%) et le taux de chômage urbain (18%) montre d’ailleurs que les individus considérés comme pauvres sont ceux qui sont sans emploi et qui doivent

La faiblesse des revenus est elle-même le fruit d’une faible dotation en facteur de production des pauvres, notamment en capital. Le tableau 24 donne la répartition des revenus des facteurs de production d’après la matrice de comptabilité sociale. La faiblesse de la dotation en facteurs de production des pauvres est frappante. Ils ne détiennent que très peu de capital (20% du capital agricole et 13% du capital non-agricole). Seulement 31% des revenus du travail agricole et 3% des revenus du travail non-agricole leur reviennent alors qu’ils représentent 45% de la population. Les urbains pauvres ne détiennent ainsi pratiquement aucun facteur de production. Ils possèdent leur force de travail mais celle-ci ne trouve pas à s’employer : ils ne représentent ainsi que 1% de l’emploi non-agricole salarié. Les facteurs de production sont majoritairement détenus par les ménages non-pauvres (70% pour le travail agricole, 80% pour le capital agricole, 97% pour le travail non-agricole, et 88% pour le travail capital non-agricole). La structure de la répartition des facteurs dans l’économie est essentielle pour évaluer la nature plus ou moins pro-pauvre de la croissance. Des catégories de la population qui ne possèdent pratiquement aucun facteur de production bénéficieront difficilement des fruits de la croissance même si celle-ci est élevée et soutenue dans le temps.

Tableau 24: La structure de la répartition des revenus des facteurs entre les ménages

Travail agricole salarié Main d'œuvre agricole Travail Non-agricole agricole Capital Capital non- agricole Ruraux pauvres 30 30 2 19 10 Urbains Pauvres 1 1 1 1 2 Ruraux Non-Pauvres 65 65 36 70 42 Urbains Non-Pauvres 4 4 61 9 46 Total 100 100 100 100 100 Source : MCS (2005)

L’analyse de la dotation initiale en facteurs de production permet ainsi, conformément à la revue de la littérature faite dans le chapitre 1 d’affirmer qu’il s’agit, au Burkina Faso, essentiellement d’un accès économique et donc de pauvreté. Une grande partie de la population rurale souffre du déficit alimentaire, mais, selon la matrice de comptabilité sociale, le déficit alimentaire est plus important en milieu urbain. La formation des revenus apparaît ainsi comme une dimension essentielle au cœur des mécanismes de l’insécurité alimentaire : c’est parce que les pauvres ont peu de facteurs de production utilisés dans la production et qu’ils sont largement touchés par le chômage qu’ils ont des revenus trop faibles et ainsi des niveaux de consommation très faibles.

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