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l’analyse de la sécurité alimentaire

2. L’évaluation ex ante des politiques économiques

Dans le cadre de la gestion économique des États, les autorités sont très souvent amenées à mettre en œuvre des politiques macroéconomiques et sectorielles ayant des effets sur l’ensemble des secteurs de l’économie et sur différentes catégories de ménages. Ces mesures qui visent la croissance, la lutte contre la pauvreté ou la correction de certaines distorsions peuvent avoir, compte tenu du contexte particulier de l’économie et des interactions qui existent entre secteurs et agents, des effets favorables ou défavorables sur certaines catégories de la population ou certains secteurs économiques. Dans ces conditions, il est alors nécessaire de mieux cibler les politiques économiques envisagées, et de mettre en place des mesures d’accompagnement afin de limiter les effets défavorables sur les perdants ou compenser leurs pertes. Pour cibler les politiques économiques et déterminer les mesures d’accompagnement à mettre en place pour mieux profiter des effets positifs et/ou minimiser les impacts négatifs, la réalisation d’une évaluation ex ante s’avère indispensable. Parmi les instruments à la disposition des spécialistes pour effectuer ces analyses ex-ante, on peut citer les modèles macroéconométriques, les modèles d’équilibre partiel et les modèles d’Équilibre Général Calculables25.

L’équilibre partiel signifie qu’un seul marché est étudié, isolément des autres. On suppose alors qu’une modification des conditions d’offre et de demande sur ce marché ne modifie pas de façon déterminante les autres marchés et qu’une modification des conditions sur les autres marchés n’influence pas le marché étudié. On raisonne donc « toutes choses égales par ailleurs ». L’avantage d’une analyse en équilibre partiel est qu’elle peut se focaliser sur un marché donné avec d’autant plus de précision qu’elle ignore les autres. On gagne ainsi généralement en détail (par exemple par un niveau de désagrégation plus élevé). Les modèles sectoriels constituent des outils indiqués si l'analyse de mesures de politique économique porte sur un secteur spécifique et si les informations sur les autres secteurs de l'économie peuvent être ignorées dans une large mesure.

Les modèles macroéconométriques sont conçus pour évaluer les impacts macro-sectoriels et budgétaires de politiques de stabilisation (politiques contra-cycliques) ou de stratégies de développement sectorielles (Boulanger et Bréchet, 2003). Ils sont utilisés, selon Boulanger et

25 On évoque ici les plus usuels. Pour une revue très détaillée des outils d’évaluation, on peut se référer à Boulanger

Bréchet (2003) pour deux types d’application : 1) les projections (sur un horizon maximal d’une dizaine d’années). La nature économétrique assure une validité empirique à ces projections, mais uniquement à court/moyen terme, grâce à la propriété de « reproduction des comportements passés » ; 2) les évaluations de politiques économiques : les réactions des agents à un choc exogène (modification du prix des énergies, par exemple) ou à une mesure de politique économique sont appréhendées par des fonctions de comportements estimées économétriquement et mises en relations à travers la structure néo-keynésienne et sectorielle du modèle.

Les atouts de ces modèles résident dans la grande intégration entre dimensions sectorielles, macro-économiques et comptes d’agents (contraintes budgétaires, notamment pour l’État), le tout validé par des techniques économétriques qui leur confèrent une assise empirique importante. Le domaine de l’exogène est ainsi très faible et le modèle se prête bien à la réalisation de projections à court et moyen terme (Boulanger et Bréchet, 2003, 2005).

Ces modèles ont subi à partir du milieu des années 1970 une double critique (Fève, 2005) : la critique de Lucas (1976) et celle de Sims (1980). La critique de Lucas est relative au fait que les estimations économétriques ne sont pas stables car influencées par la politique économique qui est menée. Lucas pense que les modèles macroéconométriques ne sont bons que pour les prévisions économiques et non pour définir des politiques économiques. Sims, quant à lui critique le fait que ces modèles imposent des contraintes sur les variables et des a priori économiques non justifiés du point de vue statistique. Cependant, avec les avancées récentes de l’économétrie et de la théorie économique, ces modèle ont su répondre, au moins partiellement à ces critiques : d’une part, ils intègrent en effet certains éléments importants de l'économétrie des séries temporelles comme la non-stationnarité et la cointégration de sorte que leurs propriétés dynamiques se sont enrichies. D’autre part, ils incorporent progressivement de nombreux enseignements de la théorie économique tels que les anticipations et les fondements

micro-économiques. C’est le cas par exemple du modèle MULTIMOD du FMI26. Toutefois, en

raison de l'important besoin de données, le degré de désagrégation sectorielle est nécessairement plus faible que dans les modèles EGC calibrés.

Les modèles d'équilibre général calculable (MEGC) constituent une classe de modèles économiques qui utilisent des données économiques réelles pour estimer comment une

économie pourrait réagir à des changements de politique, de technologie, de ressources, ou d'autres facteurs externes. Ils ont la particularité de prendre en compte, de façon plus ou moins détaillée, toutes les composantes d'une économie, suivant la théorie de l'équilibre général. Ainsi, leur développement repose-t-il sur la construction de bases de données complètes et cohérentes, les Matrices de Comptabilité Sociale (MCS). A la base, ce sont des modèles qui reposent sur l’équilibre walrasien. C’est une approche analytique pour étudier une économie avec des agents (producteurs, consommateurs, État, Reste du Monde) interdépendants et qui considère qu’un choc ou une politique a un effet d’équilibre général, c'est-à-dire que ce choc ou politique, en affectant un marché particulier affecte indirectement tous les autres marchés qui ont un lien avec le marché directement affecté.

Ces modèles simulent le fonctionnement des marchés des biens et des facteurs et capturent les interactions entre les structures de production et de l'emploi, les revenus des facteurs de production, la distribution des revenus aux ménages et la structure de la demande. D'inspiration essentiellement néoclassique, ces modèles ont évolué et permettent d’incorporer un certain nombre de caractéristiques qui leur permettent de se rapprocher de la réalité, par exemple : i) des déséquilibres sur le marché du travail, dus à la rigidité des salaires de certaines catégories de travail, ii) la rigidité de certains prix ; et iii) l'immobilité du capital entre les secteurs productifs dans le court terme.

Lorsqu’on utilise un modèle EGC cela signifie qu’on considère que la politique qu’on simule remplie les conditions suivantes : i) les prix relatifs jouent un rôle important ; i) la structure de l’économie joue un rôle important ; et iii) les interactions et interdépendances sectorielles et institutionnelles sont importantes.

Les MEGC sont utiles pour analyser des impacts potentiels puisqu’ils permettent d’obtenir une solution numérique à des chocs exogènes (prix des produits primaires par ex), des modifications de la productivité, ou des réformes de politiques (investissement, politique de prix, fiscalité, commerce extérieur, dépenses publiques, politiques agricoles). Ils peuvent prendre en compte différents horizons temporels : statiques (court terme, moyen terme et long terme) ; dynamique séquentielle qui est une succession d’équilibres statiques, le passage d’un équilibre au suivant se faisant en actualisant les stocks de facteurs et leur productivité (investissement, démographie, progrès technique...) ; et dynamique intertemporelle (équilibre sur toute la période).

La force des modèles EGC réside dans leur cohérence interne et leur capacité à prendre en compte un grand nombre de relations. Leur base théorique est également rigoureuse puisqu’elle intègre des mécanismes de microéconomie dans un cadre macro-économique cohérent et permet d’envisager des mécanismes de rétroaction entre tous les marchés. Ils permettent surtout de synthétiser des effets qui se renforcent mutuellement ou s’atténuent de façon simultanée : par exemple, suite à un choc ou une politique favorable au secteur agricole, les variations de la demande qui en découlent résultent à la fois d’un effet prix et d’un effet revenu. La croissance des revenus réels suite à la baisse des prix entraîne une croissance de la demande qui atténue la baisse des prix et encourage la production à l’origine de la baisse des prix etc…. Les impacts observés recouvrent donc des effets directs et indirects. Les effets indirects, liés à la croissance économique globale (entrainant une baisse du chômage, une hausse des revenus nominaux, et une croissance de la demande qui stimule la production), sont parfois plus importants que les effets directs (liés à la croissance de la production agricole et à la baisse des prix qui en découle) et cela ne peut être saisi que dans un cadre d’équilibre général.

En dépit des atouts que présentent les modèles EGC, ils comportent des faiblesses liées par exemple à l’hypothèse de l’existence d’un équilibre (dans un monde caractérisé par de l’instabilité) et à l’hypothèse que les comportements individuels se résument à la maximisation de l’utilité (pour les consommateurs) et des profits (pour les producteurs) individuels, excluant

de ce fait toute possibilité d’altruisme par exemple27. En outre, la plupart des modèles EGC

considèrent des ménages représentatifs, négligeant ainsi le système de répartition à l’intérieur

du ménage et entre les ménages28. Enfin, en dépit des évolutions de ces dernières années vers

la prise en compte du secteur financier dans les modèles EGC (voir De Janvry et al., 1991b; Robinson, 1991), la plupart des modèles font abstraction de ce secteur.

27 Une présentation relativement détaillée des limites des modèles EGC est donnée en conclusion générale. 28La combinaison d’un modèles EGC avec un modèle de micro-simulation permet de dépasser cette limite (voir

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