• Aucun résultat trouvé

De 2008 à nos jours : chocs, adaptation, transformation : la résilience dans l’analyse de la sécurité alimentaire

Chapitre 1 : Un demi-siècle de consensus et de controverses sur la sécurité

1. L’insécurité alimentaire et ses causes : évolution des analyses

1.5 De 2008 à nos jours : chocs, adaptation, transformation : la résilience dans l’analyse de la sécurité alimentaire

Les années 2000 marquent une reprise de la croissance dans beaucoup de pays à faibles revenus. La croissance y est en moyenne de 5% comparativement au 2% de la période sous ajustement de 1980-1990 (World Bank, 2014). Cette croissance ne s’est toutefois pas traduite par un recul significatif de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire dans ces pays surtout ceux d’Afrique subsaharienne (FAO, 2013). La crise alimentaire de 2007-2008 ainsi que les récents épisodes de sécheresse dans les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique sont venus rappeler la fragilité du système alimentaire mondiale. Ces évènements ont en effet augmenté le nombre de personnes en insécurité alimentaire, soulignant si besoin était, la vulnérabilité des populations face aux chocs de prix. Le concept de résilience appliqué aux systèmes économiques et aux ménages émerge alors et devient essentiel dans l’analyse de la sécurité alimentaire et des

mesures destinées à son renforcement4. On sait que des chocs, même ponctuels, peuvent avoir

des conséquences durables : une grande sécheresse qui oblige un ménage agricole à vendre ses terres et son bétail peut le plonger dans une pauvreté permanente. Il est par conséquent reconnu que l’une des raisons qui empêchent les plus pauvres de sortir de cet état est leur incapacité à faire face aux chocs.

Il n’existe pas de consensus sur la meilleure façon de consolider la résilience, ni d’ailleurs de définition précise de ce concept. Le terme « résilience » tire son étymologie du latin resilio, qui signifie « rebondir » (Klein et al., 2003). Dans les études relatives à ce concept, on le définit comme un retour à la situation initiale. Dans le domaine de la science de l’environnement, le concept est défini comme la capacité d’un système à absorber les chocs et à se perpétuer (Holling, 1973).

4 Ces crises ont même suscité la création de nombreux programmes à grande échelle avec pour objectif explicite

de renforcer la résilience : il s’agit entre autres de l’Alliance Mondiale pour l’Action en faveur de la Résilience aux Sècheresses et de la Croissance dans la Corne de l'Afrique, soutenue par USAID, et l’Alliance Mondiale pour

La résilience a été adaptée en économie du développement. Elle n’est plus seulement la capacité à résister au changement et à retourner à un état antérieur (Folke, 2006), elle exige des ajustements pour répondre aux nouveaux facteurs de stress et peut même requérir des transformations importantes du système dans sa totalité. Trois aspects sont alors distingués dans la résilience du système (Walker et al., 2004) : i) La capacité d’absorption qui regroupe les différentes stratégies déployées par les ménages ou les communautés afin de limiter les impacts des chocs sur leurs moyens d’existence ; ii) la capacité d’adaptation qui est l’aptitude à tirer les leçons de l’expérience et à ajuster ses réactions aux conditions externes tout en continuant poursuivant un fonctionnement normal; et iii) la capacité de transformation qui est la capacité à mettre en place des systèmes novateurs lorsque les structures environnementales, économiques ou sociales rendent le système actuel intenable.

Le concept de résilience comme cadre d’analyse de la sécurité alimentaire et nutritionnelle présente des avantages (von Grebmer et al., 2013). La résilience permet en effet d’analyser les problèmes de façon cohérente et holistique. En analysant de façon conjointe les chocs à court terme ainsi que les changements systémiques à long terme qui y sont intrinsèquement liés, on obtient ainsi une vision globale des facteurs qui font sombrer certaines populations dans la pauvreté et qui causent par conséquent l’insécurité alimentaire et nutritionnelle ou au contraire leur permettent d’en sortir. En outre, le concept de résilience permet de prendre en compte la dynamique et le changement dans les systèmes, mieux que ne le faisaient les théories antérieures du développement. Il permet aussi de comprendre dans quelle mesure l’incapacité des plus démunis à résister aux crises représente un obstacle de sortie de la pauvreté et peut également expliquer pourquoi des populations peuvent se retrouver dans une situation de dénuement total (World Bank, 2006; McKay, 2009)

Le concept de résilience est cependant objet de controverse. Certains détracteurs ont avancé que le concept, d’abord utilisé dans les sciences de l’environnement, n’est pas transposable aux problématiques sociales. Ils soulignent en particulier que la théorie de la résilience ne s’intéresse pas suffisamment aux dynamiques sociales et aux questions relatives au pouvoir et à ses représentants (Davidson, 2010; Duit et al., 2010). En outre, d’autres soulignent que la connotation positive de ce concept fait que la plupart des acteurs tendent à oublier ses inconvénients potentiels : certaines stratégies de survie, comme la prostitution ou la mendicité, peuvent renforcer la résilience d’un individu au détriment de son bien-être et de son estime de soi tandis que d’autres stratégies, notamment la criminalité, peuvent augmenter la résilience

d’un groupe tout en portant atteinte au bien-être des autres. Ces formes de résilience négative qui transparaissent dans certaines études empiriques (Sapountzaki, 2007) sont parfois négligées dans l’analyse du concept. Enfin, la définition même de la résilience comme un retour à une situation initiale, rend ce concept contreproductif à long terme ; la résistance comme « attachement au passé », ou « résistance au changement » n'est pas forcément une bonne chose (Carton et al., 2013).

Si le cadre d’analyse de la sécurité alimentaire a été enrichi par le concept de résilience, le défi de la recherche future est d’apporter des indicateurs de mesure de la résilience. Or, l’une des caractéristiques de la résilience est la complexité de sa dynamique. Dans des environnements socioéconomiques précaires, des individus, ménages ou communautés peuvent voir leur niveau de vie fluctuer en fonction des chocs de nature cyclique et saisonnière (von Grebmer et al., 2013). En outre, les passages d’un état à un autre sont souvent caractérisés par des effets de seuil ou des points de non-retour comme par exemple lorsqu’une sécheresse entraine la réduction de la taille d’un cheptel en deçà de la limite permettant sa reconstitution (Lybbert et

al., 2004). Enfin, la résilience requiert une approche systémique à différentes échelles

(individuelle, familiale, communautaire, environnemental) et catégories socioéconomiques et groupes ethniques; ce qui implique une bonne compréhension des interrelations entre différents groupes et facteurs. Par exemple, des facteurs tels que la santé, les relations politico-sociales, la culture, les facteurs agro-écologiques et la situation macroéconomique peuvent affecter la résilience (von Grebmer et al., 2013). Cette théorie de la résilience représente un renouveau important, y compris dans l’approche de la sécurité alimentaire, mais aussi des défis conceptuels, empiriques et pratiques.

Outline

Documents relatifs