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Chapitre 1 : Un demi-siècle de consensus et de controverses sur la sécurité

3. L’insécurité alimentaire et ses causes : l’état des connaissances

La pauvreté et l’insécurité alimentaire sont intimement liées par un cercle vicieux (piège faim- pauvreté) : « Une personne pauvre risque de ne pas avoir suffisamment à manger; étant

dénutrie, sa santé risque d’être affaiblie; étant physiquement faible, sa capacité de travail est réduite, ce qui fait qu’elle est pauvre et donc, en conséquence, qu’elle n’aura pas suffisamment à manger; et ainsi de suite » (Nurkse, 1953). S’il est vrai que tous les pauvres ne souffrent pas

de la faim et que des déficiences nutritionnelles existent dans des ménages non-pauvres (Bhattacharya et al., 2004; PAM, 2009; Bocoum, 2011; Bocoum et al., 2014), on considère par contre généralement que la pauvreté est la principale cause de la faim (World Bank, 2008; PAM, 2009; Foresight, 2011; World Hunger Education Service, 2013). Les pièges à pauvreté expliquent, dans certains contextes, la persistance de l’insécurité alimentaire en dépit d’une forte croissance économique (Dorward et al., 2004; Sachs et al., 2004; Carter et Barrett, 2006). En outre, depuis les travaux de Sen (1981b, 1981a) sur les capacités, on reconnait la complexité des mécanismes en jeu dans la détermination de la situation alimentaire et nutritionnelle des individus ainsi que le rôle fondamental de la dotation des individus en facteurs de production et en droits sociaux. Les dotations des individus en facteurs et en droits sociaux sont également déterminées dans un système très complexe où plusieurs niveaux (micro-macro) et échelles (global-local) (Barrett et Swallow, 2006) sont imbriqués et où les ressources naturelles jouent un rôle majeur (Barrett, 2008).

3.1 La pauvreté au cœur de l’analyse de la sécurité alimentaire

Les analyses des années 50 mettant en évidence des problèmes d’excédents alimentaires ont en fait négligé le fait que ces excédents étaient plutôt dus à la faiblesse du pouvoir d'achat (FAO, 2000). Le Prix Nobel Amartya Sen a analysé les causes des famines et observé des situations dans lesquelles les gens mouraient de faim bien que les produits alimentaires nécessaires soient disponibles, car leur « droit » à l'alimentation n’était pas assuré.

Le problème de l'accès à la nourriture a été un point focal au Sommet mondial de l’alimentation en 1996. Le deuxième engagement contenu dans le plan d'action est énoncé comme suit: « Nous

mettrons en œuvre des politiques visant à éradiquer la pauvreté et l'inégalité et à améliorer l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante, adéquate du point de vue nutritionnel et sanitaire, et son utilisation efficace. » (FAO, 1996a). La

réduction de l’extrême pauvreté et de la faim est également exprimée dans le premier des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) (respectivement la cible A et C de l’objectif 1).

Aujourd’hui beaucoup de progrès ont été réalisés dans la lutte contre la pauvreté dans plusieurs régions du monde mais l’Afrique subsaharienne connaît encore des difficultés à réduire substantiellement le nombre de ses pauvres (World Bank, 2008). Le mauvais fonctionnement des marchés est souvent avancé dans la littérature pour expliquer cette situation (Gérard, 2010). L’instabilité des prix représente un facteur dissuasif à l’échelle de l’économie et exerce des effets négatifs tant sur les consommateurs que sur les producteurs. Elle crée des incertitudes et des risques et dissuade les producteurs de réaliser des investissements (De Janvry et al., 1991a; Sadoulet et De Janvry, 1995; Dorward et al., 2004; Alene et al., 2008; PAM, 2009). Cette situation est aggravée par la faiblesse des biens publics tels que les routes, l’électricité, l’accès à la santé et à l’éducation (Gérard, 2010) rendant l’activité économique peu rentable. Il en résulte par conséquent une faible productivité du travail qui génère peu de revenu, et donc peu d’épargne à l’origine de la faible productivité du travail.

3.2 La sécurité alimentaire au cœur d’un système complexe

La question de la sécurité alimentaire a été, au fil du temps, analysée à partir des échelles mondiale, nationale, locale, familiale et individuelle, mais c’est seulement au niveau individuel que se manifestent concrètement la malnutrition et la faim. La définition traditionnelle de la sécurité alimentaire est celle du sommet mondial de l’alimentation de 1996 : « La sécurité

alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (FAO, 1996a). Elle identifie ainsi quatre éléments essentiels: la disponibilité physique,

l'accès économique, la stabilité de l'accès et l'utilisation adéquate des aliments.

La figure 3 décrit schématiquement le cadre conceptuel de la sécurité alimentaire. Elle montre comment les résultats nutritionnels au niveau individuel sont influencés par un ensemble de facteurs allant de l’échelle mondiale à celle du ménage. Elle met ainsi en évidence la complexité des interactions entre plusieurs facteurs et donc la multitude des façons possibles d’aborder le problème pour parvenir à la sécurité alimentaire.

La disponibilité alimentaire au niveau national provient de deux sources : on distingue d’une part la production nationale, et d’autre part les importations (y compris l’aide alimentaire). Les accords internationaux et le commerce international influencent la disponibilité par le biais des prix mondiaux et des prix intérieurs ainsi que les volumes de stocks alimentaires. Ils affectent le mécanisme des incitations pour les producteurs et donc leurs décisions d’investissement dans l’agriculture et l’adoption de nouvelles technologies. Ils peuvent avoir des effets indirects plus importants que des politiques ciblées sur l’agriculture. Du côté du consommateur, le commerce international influence le coût de son panier de consommation, affectant ainsi son revenu réel. Le commerce international agit également sur les indicateurs macroéconomiques tels que la croissance, l’emploi, la distribution des revenus, et le budget public. L’ensemble de ces agrégats macroéconomiques, avec la disponibilité alimentaire, vont déterminer les niveaux de revenus du ménage et/ou des individus au sein du ménage et donc l’accès ou non à une alimentation suffisante.

Le niveau du budget public va aussi déterminer la capacité de l’État à investir dans les nouvelles technologies, les services et les infrastructures nécessaires au soutien de la production agricole et à la fourniture de services sociaux tels que la santé et l’éduction. Il détermine également les marges de manœuvre dont dispose l’État pour mettre en place des politiques de transferts sociaux (les subventions et les transferts de fonds ciblés vers les pauvres). Les revenus des ménages déterminent à leur tour le budget de l’État. En effet, le budget de l’État sera en partie d’autant plus important que les ménages gagnent des revenus élevés.

Les ressources naturelles sont aussi essentielles pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages. Leur productivité, en l’occurrence la productivité des sols détermine le niveau de la production nationale. La disponibilité ou non de certaines ressources naturelles, comme les produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette influence l’accès à la fois à travers l’autoconsommation et la vente de ces ressources. Le niveau de ces ressources dépend aussi bien de leur capacité à se reproduire mais aussi de l’extraction (pour la consommation directe ou la vente) dont l’ampleur est influencée par les mécanismes d’incitation offerte par le commerce international.

Les décisions à l’intérieur du ménage sur la répartition des revenus et plus généralement sur la gestion des ressources sont fondamentales dans les résultats en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle au niveau des individus. Lorsque la répartition est en faveur de quelques

membres privilégiés du ménage, même une grande quantité de ressources ou d’aliments disponibles peut ne pas se traduire par une amélioration de la situation alimentaire et nutritionnelle d’une grande partie des membres surtout les plus vulnérables (les enfants). Toutes ces variables macro-méso-micro et les facteurs naturels interagissent de façon complexe pour déterminer l’état de la sécurité alimentaire et nutritionnelle des individus. Cette complexité rend compte de la difficulté à trouver un consensus sur ce qu’il faudrait faire pour régler le problème de l’insécurité alimentaire. La croissance économique, tout comme la disponibilité alimentaire, sont nécessaires mais elles ne suffisent pas à assurer la sécurité alimentaire.

Figure 3 : le cadre conceptuel de la sécurité alimentaire

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