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Chapitre 1 : Un demi-siècle de consensus et de controverses sur la sécurité

4. L’insécurité alimentaire et ses remèdes: l’état de la controverse

4.1 Libéraliser l’économie et le commerce pour une meilleure sécurité alimentaire ?

d’obtenir suffisamment de revenus; (ii) l'accès au financement, aux marchés alimentaires, et aux technologies de stockage qui permettent de lisser la consommation en cas de choc de revenu; et (iii) des filets de sécurité pour fournir des transferts à ceux qui subissent des chocs défavorables ou qui sont exclus des retombées économiques. L’auteur estime que la croissance des revenus est surtout essentielle à la réalisation de la sécurité alimentaire.

Dans le cas de l’Afrique subsaharienne où, malgré les performances macroéconomiques relativement bonnes enregistrées ces dernières décennies, les progrès en matière de réduction de la pauvreté ont été mitigés, les analyses tentant d’expliquer ce phénomène convergent vers l’existence d’un équilibre de pauvreté où la faiblesse des revenus explique la faiblesse de l’épargne et donc de l’investissement à l’origine de la faiblesse de la productivité du travail et donc des revenus. La question est alors de savoir comment briser ce cercle vicieux. La période de libéralisation des années 80 a succédé à celle interventionniste des années 60 et 70 mais les résultats en termes de pauvreté et de sécurité alimentaire restent en deçà des attentes. Aujourd’hui, deux courants s’affrontent sur le rôle de l’État. Doit-il se contenter de ses missions régaliennes et laisser les marchés libres de toutes interventions ou intervenir pour stabiliser les prix et remédier à certaines défaillances de marché ou doit-il se limiter à la création de biens publics permettant un environnement économique propice aux activités privées (Gérard, 2010) ? Doit-il fonder la lutte contre la pauvreté sur le développement de l’agriculture ou celui des secteurs non-agricoles ?

4.1 Libéraliser l’économie et le commerce pour une meilleure sécurité

alimentaire ?

Les arguments en faveur d’une libéralisation commerciale pour améliorer la sécurité alimentaire trouvent leur origine dans la théorie classique du commerce international. Celle-ci remonte à Adam Smith et David Ricardo. Smith (1776) a introduit la théorie de l'avantage absolu pour décrire des situations où un pays a intérêt à produire davantage qu'il ne consomme ce qu’il produit mieux que les autres pays, afin d'exporter le surplus et d'importer des biens que

d'autres pays produisent mieux que lui. Ricardo (1821) étend l’analyse de Smith et montre que même dans le cas où un pays n’a aucun avantage absolu dans la production d’un bien, il a intérêt à participer au commerce en raison des avantages comparatifs dont il dispose. L’idée est que le commerce permet à chaque pays de se spécialiser dans ce qu'il fait de mieux, maximisant ainsi la valeur de sa production. Si un gouvernement restreint le commerce, les ressources sont gaspillées dans la production de biens qui peuvent être importés à meilleur marché.

La libéralisation du commerce est alors à priori favorable à la sécurité alimentaire. En effet, d’une part, elle garantit l’efficacité, les biens produits et échangés étant en principe moins coûteux pour les consommateurs que ceux produits sur place dans de moins bonnes conditions. D’autre part, elle permet le lissage des fluctuations des volumes liées aux aléas naturels par l’échange entre régions (Gérard, 2013).

Par ailleurs, le commerce international est sensé favoriser la croissance des revenus par son

impact positif sur l’emploi et les salaires (Stolper et Samuelson, 1941)6 tandis que ses effets

positifs liés à l’acquisition de la technologie, à l’approvisionnement de biens de consommation intermédiaires et d'équipement et aux gains d’économies d'échelle sont soulignés par Grossman et Helpman (1991).

Dans les années 90, un grand nombre d’études économétriques en coupe transversale ont mis en avant les vertus de la libéralisation commerciale en termes de croissance économique. Parmi les plus célèbres on peut citer Dollar (1992), Sachs et Warner (1995) et Edwards (1998). Les arguments en faveur de la libéralisation s’appuient également sur le constat que les interventions publiques des années 60 se sont révélées être des échecs avec des coûts économiques considérables (Schiff et Vald, 1992) et des occasions de recherche de rente en particulier des détournements multiples (World Bank, 2005).

Les déficits budgétaires entraînés par les politiques publiques interventionnistes des années 60 et 70 tout comme l’inefficacité de ces dernières ainsi que le développement des arguments en faveur de la capacité des marchés libres à résoudre les problèmes de pauvreté ont conduit les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) à imposer des réformes

6 La théorie du commerce international traditionnelle donnée par Stolper et Samuelson (1941) stipule que dans un

monde à deux facteurs, l'augmentation du prix du bien dont la production est intensive en main-d'œuvre permet une croissance de la production de ce bien et donc une augmentation du salaire réel.

économiques – les Programmes d’Ajustement Structurel. La libéralisation des marchés était au cœur de ces réformes : libéralisation du marché des crédits (libéralisation financière), libéralisation du marché des facteurs de production (abolition des salaires minimums et des subventions aux intrants), libéralisation du commerce extérieur (abolition des quotas, des subventions aux importations et diminution des taxes douanières surtout à l’exportation), libéralisation du commerce intérieur (fin des monopoles étatiques et des prix administrés et subventionnés). L’ensemble de ces réformes sont connues sous le nom de consensus de Washington et sont déclinées en 10 points (Williamson, 2009)

1. La discipline budgétaire, dans un contexte où les États font face à des déficits importants entraînant des crises de la balance des paiements et une importante inflation qui touche principalement les pauvres.

2. La redéfinition des priorités en matière de dépenses publiques : privilégier les dépenses pro-croissance et pro-pauvres en en faveur d’une croissance pro-pauvres (santé, éducation, développement des infrastructures).

3. La réforme de la fiscalité : avec un système qui combine une assiette large et un taux de prélèvement modéré.

4. La libéralisation des taux d’intérêt mais avec une supervision prudentielle. 5. La recherche d’un taux de change compétitif.

6. La libéralisation des échanges.

7. La levée des entraves à l’entrée des Investissements Directs à l’Étranger (IDE)

8. La privatisation des sociétés étatiques qui malgré les risques de corruption pouvant survenir au cours du processus, procure des bénéfices (particulièrement en termes d’amélioration de la couverture de service) si elle est réalisée dans la transparence et si les entreprises privatisées sont correctement administrées et opèrent sur un marché compétitif.

9. La dérégulation dans le sens de la diminution des barrières à l’entrée et à la sortie mais pas l’abolition des règles mises en place pour des raisons de sécurité ou environnementales, ou pour réguler les prix dans le cadre d’une industrie non compétitive.

10. Les droits de propriété : permettre au secteur informel d’accéder aux droits de propriété à un coût acceptable

Ces réformes vont de ce fait restreindre la marge de manœuvre des États dans de nombreux domaines y compris agricoles et alimentaires. Elles marquent par exemple la fin des subventions des intrants aux agriculteurs et les ventes à prix fixes des productions à des offices de produits vivriers. C’est également la fin des prix fixes bas à la consommation pour les urbains (Reardon et Timmer, 2007). Les PAS ont eu comme conséquence la détérioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle de nombreux groupes de population surtout en Afrique subsaharienne (Azoulay et Dillon, 1993).

Les programmes d’ajustement structurel et, par-delà, la libéralisation qui a servi de base à leur mise en place, vont faire l’objet de critiques. Celles-ci reposent surtout sur le fait que les vertus attribuées à la libéralisation se sont fondées sur des représentations trop idéalistes du monde (hypothèses), conduisant inéluctablement à des conclusions qui surestiment les impacts positifs de la libéralisation (Boussard et al., 2004; Serra et Stiglitz, 2008). Les hypothèses qui ont souvent été utilisées dans les modèles de commerce international sont relatives au fait que ; i) les marchés ne présentent aucune défaillance ; ii) il n’y a aucune intervention extérieure autre que les interactions entre acteurs du marché; et iii) les marchés fonctionnement dans un environnement purement concurrentiel. Ces hypothèses, on le sait, sont loin de la réalité. Au début des années 2000, des auteurs comme Rodriguez et Rodrik (2001) vont remettre en cause les conclusions des études économétriques des années 90 montrant les effets bénéfiques de la libéralisation commerciale. Ils affirment en particulier que leurs conclusions reposent sur de très faibles fondements empiriques tels que des mesures erronées de l'ouverture commerciale et des lacunes économétriques graves. Les bénéfices attendus de la libéralisation en termes d’emploi et de salaires sont également mis en doute (Lloyd, 2000), tandis que la réduction des budgets publics liée à la baisse des droits de douane est questionnée (Winters et al., 2004). Les défaillances du marché telles que les externalités environnementales, Les inégalité de revenus et les pouvoirs de monopole sont des exemples qui montrent que le libre jeu du marché ne suffit pas et la nécessité de l’intervention de l’État est de ce fait avancée par certains auteurs.

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