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III. MÉTHODOLOGIE

3.1 Type de recherche

Pour documenter le travail curriculaire des enseignants, nous avons retenu une approche mixte, en combinant des méthodes quantitative et qualitative. Par rapport aux investigations mixtes, Savoie-Zajc (2004) explique que dans ce type de recherche – dont l’objet d’étude dans notre cas est le travail curriculaire des enseignants – il est possible de faire appel à plus d’un instrument de mesure, ou encore, un même instrument peut servir à des analyses qualitatives et quantitatives. Corroborant cette idée, Johnson et Onwuegbuzie (2004) soulignent que dans les recherches mixtes, les chercheurs peuvent combiner les méthodes, les approches, les concepts et les techniques de recherche quantitative et qualitative dans une seule et même étude. En outre, ces investigations peuvent être classifiées en modèles mixtes et méthodes mixtes. Les premiers consistent à combiner des approches quantitatives et qualitatives dans les différentes étapes de la recherche; par exemple, un questionnaire peut avoir des questions fermées et ouvertes. À son tour, la méthode mixte utilise des approches méthodologiques distinctes (quantitative et

qualitative), mais qui s’intègrent dans une seule étude. Dans le cadre de notre recherche, cette thèse se cantonne à un modèle de méthode mixte.

En outre, pour Howe (1988 cité dans Núñez Moscoso, 2017), la distinction entre quantitatif et qualitatif dans les recherches mixtes s’applique à plusieurs niveaux : les données, la conception et l’analyse, l’interprétation des résultats et le paradigme épistémologique. À son tour, selon Núñez Moscoso (2017), il est important de clarifier chacun des éléments dans lesquels la mixité est intégrée; pour cela, ce chercheur présente un tableau d’opérationnalisation des méthodes mixtes.

Tableau 2 – Opérationnalisation des méthodes mixtes

Élément Questionnement Possibilités

Temporalité Dans quel moment

interviennent les méthodes?

- Simultanéité : dans le même outil sont intégrées les deux méthodes

- Séquentialité : il y a des outils qui interviennent d’abord, puis cèdent la place aux suivants

Angle de priorité Existe-il une méthode dominante?

QUALI/quanti : qualitative dominante Quali/QUANTI : quantitative dominante

QUALI/QUANTI : équilibre dans l’utilisation des deux méthodes

Fonction Quels sont les objectifs de chacune des méthodes

utilisées?

Contraster et comparer les résultats

Intégrer des angles d’analyse ou des résultats Montrer des controverses

Informer l’autre méthode Phases

d’intervention

A quelle phase les deux méthodes interviennent- elles? Conception Analyse Interprétation Données Combien de types de données la méthode mixte

génère-t-elle?

Bi-données : il y a deux types de données comparables

Mono-données : les deux types de données sont considérés comme un seul

Source : Núñez-Moscoso (2017, p.641).

En transposant ces éléments ou caractéristiques des recherches mixtes pour notre étude sur le travail curriculaire des enseignants, par rapport à la temporalité, notre recherche opère selon une logique de séquentialité, c’est-à-dire qu’il existe une première phase de nature quantitative fondée sur une enquête à l’aide d’un questionnaire auprès de 73 enseignants d’ÉP des écoles municipales de Cuiabá au sujet du CMÉP et de la formation continue. Cette étape a

pour but de fournir une vision panoramique et quantitative de l’opinion des enseignants à propos du curriculum et de la formation continue. D’ailleurs, cette phase vise à répondre à notre premier objectif spécifique de recherche (Ob1 : décrire et comprendre la perception des enseignants par rapport au curriculum prescrit et à la formation continue). La seconde phase, de nature qualitative, est composée d’une étude multi-cas sur le travail curriculaire de quatre enseignants d’ÉP de Cuiabá.

Notre angle de priorité est « QUALI/quanti », c’est-à-dire que la phase qualitative est dominante, car les données qualitatives sont plus nombreuses et issues de divers instruments et procédures de recherche (analyse de documents, entretiens semi-structurés, entretiens d’autoconfrontation simple et croisée, journal de bord). En outre, la phase qualitative vise à répondre aux deux derniers objectifs de recherche (Ob2 : décrire et comprendre les facteurs personnels et contextuels du travail curriculaire et Ob3 : analyser la planification et l’enseignement des enseignants pour savoir comment ils effectuent leur travail curriculaire).

En ce qui a trait la fonction de la recherche mixte, dans notre cas, elle vise à intégrer différents angles d’analyse, une visée plus panoramique et quantitative sur la perception des enseignants par rapport au curriculum et à la formation continue et une autre visée, plus fine, qualitative et en profondeur sur le curriculum prescrit, les facteurs contextuels et personnels du travail curriculaire et sur la planification et l’enseignement en classe de quatre enseignants qui ont participé à l’étude multi-cas de nature qualitative. De plus, la phase quantitative a servi aussi pour sélectionner les participants à l’étude multi-cas.

En bref, dans la partie quantitative de la recherche, nous avons administré un questionnaire auprès de 73 enseignants qui avait pour but de sonder la perception des enseignants à l’égard du CMÉP et de la formation continue. Ensuite, nous avons mené une étude multi-cas, en utilisant différents outils et procédures de recherche pour enquêter sur le travail curriculaire des enseignants. En ce sens, les données de notre recherche peuvent être caractérisées comme étant des bi-données, parce que nous avons utilisé deux types de données (quantitatives et qualitatives) pour analyser un même phénomène – le travail curriculaire des enseignants.

Cependant, notre but n’était pas de faire de comparaisons entre les données quantitatives et qualitatives, mais plutôt de les considérer comme complémentaires.

Notre recherche comporte deux phases : la première, de nature quantitative, est fondée sur une enquête à l’aide d’un questionnaire auprès de 73 enseignants d’ÉP des écoles municipales de Cuiabá au sujet du CMÉP et de la formation continue. Cette étape a pour but de fournir une vision panoramique et quantitative de l’opinion des enseignants à propos du curriculum et de la formation continue. D’ailleurs, cette phase vise à répondre à notre premier objectif spécifique de recherche. La seconde phase, de nature qualitative, est composée d’une étude multi-cas sur le travail curriculaire de quatre enseignants d’ÉP de Cuiabá.

Lessard-Hébert, Goyette et Boutin (1997) expliquent que, dans les études de cas, « le chercheur est impliqué personnellement au niveau d’une étude en profondeur de cas particuliers. Il aborde son champ d’investigation de l’intérieur. Son ‘attitude compréhensive’ suppose une participation active dans la vie des sujets et une analyse en profondeur, de type introspectif » (p. 111). Par ailleurs, ce type de recherche qualitative réunit de nombreuses informations détaillées en vue de saisir la totalité d’une situation analysée. Par conséquent, l’étude de cas comprend plusieurs techniques de collecte de données comme des observations, entrevues, analyse documentaire, etc. (De Bruyne et al., 1974 cités dans Lessard, Goyette et Boutin, 1997).

Selon Huberman et Miles (1991), de plus en plus la recherche qualitative et les chercheurs travaillent à l’échelle multi-site, multi-cas, souvent en utilisant différents types de méthodes. Le but est d’accroître la généralisation et d’identifier des résultats qu’on retrouve dans de nombreux cas ou sites, et de comprendre comment les phénomènes étudiés sont affectés par des variations du contexte local. En outre, Yin (2003 cité dans Karsenti et Demers, 2004) souligne que l’étude multi-cas permet de découvrir des convergences ou similitudes entre plusieurs cas, mais aussi de contribuer à l’analyse des particularités de chaque cas.

Qui plus est, l’étude de cas est une stratégie de recherche exhaustive choisie pour examiner des évènements contemporains. D’ailleurs, l’une des caractéristiques de l’étude de cas est sa capacité à traiter autant des preuves que des documents, des artéfacts, des entrevues et des

observations. Il convient de signaler que la recherche basée sur l’étude de cas peut inclure à la fois des études de cas uniques ou des études de cas multiples, mais elle peut inclure aussi des données quantitatives (Yin, 2001). Concernant la représentativité du cas (ou des cas), elle est secondaire, car c’est la qualité du cas qui est le souci principal de la recherche (Eisenhardt, 1989, cité dans Karsenti et Demers, 2004).

Ci-dessous, nous présentons le protocole de notre dispositif méthodologique d’étude multi-cas, inspirés par Yin (1994).

Figure 6 - Protocole de l’étude multi-cas sur le travail curriculaire (inspiré de Yin, 1994)

Ce protocole montre les trois phases de notre étude multi-cas : la planification de la recherche, la collecte de données et l’analyse et conclusion. Dans la phase de planification, notre théorisation est ancrée sur les cadres théoriques de la sociologie du travail enseignant et sur la clinique de l’activité. Ensuite, nous avons choisi les sujets à la recherche (4 enseignants en ÉP de Cuiabá) et le protocole de collecte de données qui est composé d’analyse de documents,

d’entrevues, d’observation et tournage vidéo des leçons et de la méthode d’autoconfrontation simple et croisée. Dans la phase de collecte de données, la figure montre la conduite des quatre études de cas. Enfin, dans la phase d’analyse et conclusion, il est possible de remarquer la rédaction des rapports de chaque étude de cas, le dégagement des résultats communs et divergents et ensuite, la révision de la théorie et la discussion des résultats.

En ce qui a trait à la « recherche-intervention », dans la perspective de l’ergonomie francophone, l’analyse du travail est considérée comme une approche de recherche, mais aussi une intervention dans les situations de travail. Dans cette perspective, il ne faut pas seulement comprendre l’expérience professionnelle pour le transformer, mais aussi le transformer pour le comprendre. Autrement dit, l’expérience ne peut être reconnue que grâce à sa transformation. En outre, la clinique de l’activité, issue de l’ergonomie française, soutient que les changements dans une situation de travail ne peuvent pas faire l’objet d’une expertise externe, c’est-à-dire que les transformations seront portées durablement seulement si elles sont faites par l’action des collectifs de travail eux-mêmes. L’approche de la clinique de l’activité propose donc un dispositif méthodologique qui est un instrument pour que le travail devienne un objet de dialogue et de pensée et qui cherche à élargir et à redéployer le pouvoir d’agir des collectifs de travail. « L’action collective des professionnels est ici regardée comme un moyen de mieux connaître la situation à transformer » (Clot, 2008, p. 32). Qui plus est, selon Clot :

Toute observation du travail d’autrui est une action sur autrui. Et, à ce titre, elle possède deux destins, elle est à double effet. L’observation du travail produit des résultats pour l’intervenant en termes de connaissances, mais elle ne produit pas que de connaissances. Elle produit aussi de l’activité chez l’observé. (…), observer l’activité d’autrui pour la comprendre, c’est, immédiatement, la transformer en incitant le ou les sujets concernés à une activité intérieure spécifique au cours même de l’activité extérieure. Aux risques, Wallon le note aussi, d’y provoquer des antagonismes, mais aussi en fournissant à ces sujets des occasions éventuelles de développement (Clot, 2008, p. 223-224).

Il convient de noter que la clinique de l’activité, issue de l’ergonomie française, s’appuie sur l’approche historico-développementale. L’un des postulats de cette approche est que « c’est en mouvement qu’un corps montre ce qu’il est » (Vygotski, 1978, cité dans Clot, 2008, p. 170). Ainsi, pour connaître les secrets du développement psychologique, il faut avoir une expérience de transformation de l’activité psychologique. Selon cet auteur, la méthode peut étudier le

développement psychologique peut-être clinique ou expérimentale, mais il est fondamental que la méthodologie soit historico-développementale. En outre, en 1925, Vygotsky a mis en exergue que le comportement est un système de réactions que l’on a vaincu. « L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées » (Vygostski, 2003, p. 76). D’ailleurs, il distingue le fonctionnement réalisé et le développement possible dans les comportements.

Pour Vygotski (1994 cité dans Clot, 2008), il convient d’inventer des dispositifs qui permettent aux sujets de transformer leur expérience vécue en une autre expérience vécue, pour étudier le passage d’une activité à l’autre. En ce sens, le fondement de la méthodologie historico- développementale est l’étude du développement réel – possible et impossible – et ses principes à travers la transformation des fonctionnements réalisés en objet d’un nouveau fonctionnement, en cherchant à expliquer comment se transforme l’action, mais en même temps, en organisant elle- même une transformation de l’action.

Comme nous venons de l’exposer, l’expérience de travail et son développement ne sont pas directement accessibles par l’observation directe, mais plutôt à partir de « traces » qu’il faut reconstruire, ce qui nécessite certaines méthodes indirectes telles que l’instruction au sosie et l’autoconfrontation simple et croisée17 qui sont développées au sein de la clinique de l’activité.

Ces méthodes sont créées pour dépasser les situations d’entretien « classiques » et pour considérer les données subjectives des significations que les travailleurs et acteurs attribuent à leurs actions (Amigues, Faïta et Saujat, 2004). D’ailleurs, dans ces méthodes, l’objectif est :

le développement chez les travailleurs de l’observation de leur propre activité. De même pour l’interprétation : le but n’est pas l’interprétation de la situation par le chercheur mais le développement de l’interprétation chez les sujets eux-mêmes. Alors, l’analyse de l’activité initiée par l’intervenant-observateur n’est plus la source de l’action, mais une ressource pour soutenir une expérience de modification du travail par ceux qui le font (Clot, 2008, p. 222-223).

En bref, dans la phase qualitative de notre recherche, nous avons réalisé une étude multi- cas avec quatre enseignants d’ÉP en faisant appel à une méthode indirecte d’accès au phénomène

17 Nous présenterons la méthode de l’autoconfrontation simple et croisée dont nous avons fait l’usage dans cette

étudié et en adoptant une visée transformative, voire interventionniste (approche historico- développementale). Cette phase vise à répondre aux objectifs spécifiques 2 et 3 de la recherche : 2) décrire les facteurs contextuels et personnels du travail curriculaire et 3) analyser le travail curriculaire afin de comprendre comment les enseignants adaptent et transforment le curriculum prescrit d’éducation physique en classe.

Cependant, cette visée transformationnelle des situations de travail et développementale des sujets participants à la recherche n’est pas un des objectifs de notre recherche, mais en est plutôt une retombée méthodologique. La méthode d’autoconfrontation simple et croisée qui a été employée produit des connaissances pour l’intervenant par rapport à l’objet d’étude (le travail curriculaire), mais elle provoque aussi un développement potentiel chez les participants quand ils prennent connaissance de leur propre activité de travail, quand ils s’autoanalysent, remarquent les contraintes, l’efficience au travail, ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas ou fonctionne mal et quand ils envisagent d’autres possibilités de réaliser leur travail d’enseignement du curriculum en éducation physique.

Nous venons de présenter le type de notre recherche; par la suite, nous abordons les caractéristiques des participants à l’étude.