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La méthode d’autoconfrontation simple et croisée

III. MÉTHODOLOGIE

3.4 Les outils de recherche et la période de la collecte des données

3.4.4 La méthode d’autoconfrontation simple et croisée

Cette sous-section a comme but de présenter la méthode d’autoconfrontation simple et croisée, qui a été développée au sein de la clinique de l’activité et dont nous avons fait usage dans

le cadre de notre recherche pour analyser les activités d’enseignement et pour comprendre le travail curriculaire en classe.

Tout d’abord, il convient de souligner que, selon Vieira (2004), confronter signifie comparer quelqu’un ou quelque chose dans le but de mettre en évidence des similitudes et des différences : dans l’autoconfrontation, le travailleur qui exerce une confrontation de lui-même par rapport à son travail permet une analyse approfondie de l’activité. Dans l’autoconfrontation, l’image est le support principal des observations pour créer un cadre de développement de l’expérience professionnelle du collectif engagé dans un travail de co-analyse des activités et des situations de travail. Plus spécifiquement, l’autoconfrontation simple et croisée est une méthode de recherche-intervention qui vise à confronter le travailleur à son travail à travers le visionnement de la vidéo de leurs activités, individuellement (autoconfrontation simple - ACS) et collectivement (autoconfrontation croisée - ACC), mais avec la médiation du chercheur- intervenant.

Yves Clot (2008) décrit cette méthode en deux phases. La première phase est consacrée à :

La constitution d’un collectif de professionnels volontaires. Avec les chercheurs, ils composent ce qu’on peut désigner comme « une communauté scientifique élargie » (Odonne et al., 1981 cité dans Clot, 2008) ;

L’observation des situations de travail (…) ;

La détermination de la séquence d’activité commune pour l’enregistrement vidéo. La seconde phase se déroule en trois étapes :

Enregistrement vidéo de quelques minutes d’une séquence d’activité. On constitue de cette façon des traces de l’activité qui vont faire l’objet d’analyses répétées ;

Confrontation du professionnel à l’enregistrement vidéo de son activité en présence du chercheur (autoconfrontation simple) ;

Confrontation du même professionnel au même enregistrement, en présence du chercheur et d’un pair s’étant lui aussi confronté à ses propres séquences d’activité (autoconfrontation croisée) (Clot, 2008, p. 214).

Il convient de noter qu’en général, dans les méthodes en clinique de l’activité, il existe une demande initiale de la part d’un collectif de travail (comme de syndicats, entreprises, associations de travailleurs). Cependant, cette posture de recherche est commune dans le cadre de recherches sur l’ergonomie ou la psychologie du travail, mais l’est moins dans le cadre des recherches en intervention (Lémonie et Robin, 2010), en éducation ou en éducation physique.

Cela a été notre cas: c’est nous qui avons proposé la recherche au Département municipal de l’éducation et aux enseignants en éducation physique des écoles municipales de Cuiabá.

Pour développer cette méthode, nous avons sélectionné les participants à l’étude multi-cas et nous avons constitué le « groupe d’analyse » (Clot, Faïta, Fernandez et Scheller, 2000) ou la « communauté scientifique élargie » (Odonne et al., cité dans Clot, 2008), avec quatre enseignants en ÉP des écoles municipales, pour analyser les situations de travail par rapport à leurs activités curriculaires en salle de classe. La durée et le nombre d’observations hebdomadaires ont été définis conjointement avec les enseignants. En outre, les enseignants ont désigné les groupes qui ont été observés.

Dans le tableau 7 suivant, nous indiquons les classes et les leçons observées lors de la recherche de terrain. Le nombre inégal de séances observées est dû au fait que les séances de l’E1, de l’E2 et l’E3 sont doubles, une fois par semaine; par contre, l’E4 avait deux leçons par semaine, d’une durée de 45 minutes. En outre, pendant la collecte de données, il y a eu des occasions où les séances ont été suspendues, soit à cause de réunions d’enseignants, journées de grève, de formation continue ou jours de congés.

Tableau 7 - Les groupes classes et les leçons observées

Classes Durée des séances Leçons observées Leçons filmées Total de leçons

E1 4e année 1h45, 1x par semaine 2 5 7

E2 4e année 2h, 1x par semaine 2 4 6

E3 6e année 2h, 1x par semaine 2 5 7

E4 6e année 45min, 2x par semaine 3 8 11

Les observations et l’enregistrement vidéo visaient à enregistrer le travail des enseignants en salle de classe pour ensuite servir à la réalisation des entrevues de l’autoconfrontation simple et croisée. Ce qui a donné aux enseignants l’occasion de commenter et d’expliquer leurs activités réalisées ou empêchées liées au travail curriculaire dans la phase de l’enseignement en salle de classe. Par la suite, nous avons découpé les vidéos avec les moments principaux des leçons. Il convient de souligner que chez Sacristán (2000), l’unité d’analyse du curriculum peut être constituée par les tâches ou les activités pratiques que les enseignants développent avec leurs

élèves en salle de classe, parce que ces tâches sont liées aux contenus d’enseignement et ces derniers sont l’un des éléments qui constituent le curriculum18.

Pour réaliser l’autoconfrontation simple et croisée avec les enseignants, nous avons sélectionné les extraits les plus significatifs de leurs leçons d’enseignement en salle de classe, à partir d’un travail de visionnement et d’organisation initiale des enregistrements, c’est-à-dire que nous avons choisi des extraits sur le début de leçon (la présentation collective des consignes de travail pour la séance), sur les pratiques de l’échauffement (quand c’était le cas), sur le corps de la leçon (les présentation collectives des consignes des pratiques, la supervision des pratiques et les transitions entre les pratiques et les bilans de pratiques) et sur la fin de la leçon (le bilan de leçon) (Gal-Petitfaux, 2011). Il est important de souligner que nous avons opté pour l’utilisation du mot « pratiques » pour nous référer aux activités pratiques qui sont développées dans les leçons en ÉP. Cependant, pour ne pas confondre le lecteur avec le concept d’« activité » de la clinique de l’activité, nous utiliserons, dans le cadre de notre travail, le terme « pratique ». Dans la littérature du domaine, nous pouvons trouver d’autres dénominations comme « activités pratiques sportives et artistiques » (APSA), situations d’apprentissage (SA), objets d’apprentissage (OA).

Après la sélection des extraits les plus significatifs des leçons, nous avons procédé à un découpage des vidéos pour les utiliser lors de l’autoconfrontation simple et croisée. Le découpage des vidéos a été mené par une équipe de techniciens en édition vidéo. La durée moyenne des vidéos des leçons était de 17,6 minutes. Après le découpage des vidéos, nous avons conduit les entretiens d’autoconfrontation simple. À ce moment, les enseignants ont été confrontés aux images vidéo de leurs propres activités de travail. Ils ont eu l’occasion de dire ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils auraient pu ou ne pas faire, en répondant au chercheur. Nous avons mené quatre séances d’autoconfrontation simple avec chaque enseignant, à l’exception de l’E3, qui a participé à cinq séances d’autoconfrontation simple. Toutes les séances de l’autoconfrontation simple ont été filmées.

18 Bien sûr qu’il existe d’autres éléments qui composent le curriculum comme : les objectifs, les compétences ou

habilités à développer, les procédures méthodologiques, les projets spéciaux, l’évaluation. Cependant, la réalisation des tâches ou activités pratiques est ce qui permet la configuration du curriculum en action en salle de classe.

Nous avions un canevas d’entrevue avec quelques questions préparés préalablement, par exemple : « Qu’est-ce que tu fais ? », « Là, que se passe-t-il ? », « Je ne comprends pas ce qui se passe, explique-moi. », « Est-ce que tu peux décrire ce que l’on voit là? », « Que voulais-tu faire qui n’a pas été possible? », « Qu’est-ce qui t’a amené à agir de cette façon? », « Pourquoi fais-tu ainsi? », « Quelles activités étaient prévues dans la planification et possibles à réaliser dans cette classe? », « Fallait-il apporter des modifications au plan initial? Quelles étaient ces modifications? Pourquoi as-tu changé ton plan initial? ». Par rapport aux arrêts pour les commentaires, il revenait au chercheur de le faire afin de guider l’enseignant pendant l’entretien. Cependant, parfois, les enseignants demandaient de faire des arrêts de la vidéo pour commenter leurs activités. La durée moyenne de ces entrevues d’ACS était de 38 minutes pour l’E1, 42 minutes pour l’E2, 41 minutes pour l’E3 et 42 minutes pour l’E4.

En outre, nous avons suivi les précautions de Vieira et Faïta (2003) concernant le rôle du chercheur pendant l’autoconfrontation. Ce dernier ne doit pas confondre son rôle avec celui des protagonistes de l’activité, en adoptant une posture normative sur ce qui pourrait ou devrait être leur travail. Son rôle est d’avant tout de donner la parole aux enseignants et de stimuler la réflexion sur leur activité, mais sans induire les réponses.

Suite à la finalisation des séances d’autoconfrontation simple, nous avons choisi une vidéo d’une leçon de chaque enseignant pour le soumettre aux séances d’autoconfrontation croisée avec les quatre enseignants réunis. En ce sens, nous avons choisi une vidéo des séances du contenu des jeux de chaque enseignant. Comme les jeux étaient enseignés par tous les enseignants et qu’ils offrent une base d’analyse commune, il nous est apparu convenable de choisir ces extraits aux fins de l’entretien de l’autoconfrontation croisée. Sur ce choix, nous nous appuyons sur Vieira et Faïta, selon lesquels il est important que les situations analysées soient aussi proches l’unes des autres (Vieira et Faïta, 2003). D’ailleurs, nous avons demandé aux enseignants s’il y avait quelques situations dans les vidéos qu’ils ne voulaient pas montrer aux autres enseignants lors de l’autoconfrontation croisée. Aucun enseignant ne s’est opposé à montrer leurs vidéos ou des extraits de situations aux autres enseignants lors de l’autoconfrontation croisée.

Au moment des entretiens d’autoconfrontation croisée, nous avons mis les quatre participants de l’étude multi-cas ensemble pour analyser une vidéo de leçon de jeux de chacun d’entre eux. Nous avons sollicité leurs commentaires par rapport aux activités du premier protagoniste, qui a été confronté aux commentaires de leurs pairs et ils ont analysé la leçon ensemble avec la médiation du chercheur. Nous avions quelques questions préparées préalablement, par exemple : « Tiens, tu fais comme cela toi? », « Que fais-tu différemment? Pourquoi? ». Ensuite nous avons répété la même procédure pour analyser les extraits de la séance de chaque enseignant. Il convient de noter que ces moments des entrevues d’autoconfrontation ont été filmés et la durée moyenne de chaque entrevue a été de 57 minutes.

En bref, trois moments de tournage vidéo dans la méthode de l’autoconfrontation simple et croisée ont été mobilisés dans notre recherche. Nous avons produit : a) des vidéos sur les situations de travail (dans notre cas, les leçons d’ÉP); b) des vidéos lors de l’ACS; c) et des vidéos lors de l’ACC. Les figures 7 ci-dessous montre les trois moments où nous avons effectués les enregistrements, la vidéo de la leçon, la vidéo de l’autoconfrontation simple et la vidéo de l’autoconfrontation croisée :

Vidéo de la leçon Vidéo lors de l’ACS Vidéo lors de l’ACC

Figures 7 - Exemples d’enregistrements de vidéos

Un autre aspect important de la clinique de l’activité est le dialogue qui se produit lors des entretiens (Vieira, 2003). Le dialogue dans l’expérience d’autoconfrontation est une ressource qui permet de déclencher un processus qui n’est pas le commentaire, mais le développement discursif vers les énoncés que le travailleur autoconfronté ne peut pas développer sans la présence d’un texte visible (image, parole, etc.), qui l’oblige à ajuster son discours avec ses actions. À ce moment, les objets et les actions que le sujet mobilise pour faire le double mouvement entre le

Le chercheur cherche à amener les travailleurs à s’interroger sur ce qu’ils se voient faire. Il les invite à décrire les gestes et les opérations observables sur la vidéo jusqu’à ce que les limites de cette description se manifestent (Clot, 2008). À son tour, le sujet défait et refait les liens entre ce qu’il se voit faire, ce qu’il y a à faire, ce qu’il voudrait faire, ce qu’il aurait pu faire ou encore qui serait à refaire. L’autoanalyse des activités par les sujets permet de tourner leurs commentaires vers eux-mêmes. Leur commentaire devient un instrument d’élaboration psychique personnel, puis interpersonnel (Scheller, 2003, cité dans Clot, 2008) dans le moment d’autoconfrontation croisée, quand le sujet commente l’activité de son pair. Par ailleurs, le commentaire lors de l’autoconfrontation croisée oriente les dialogues sur les différentes façons de faire (le travail, l’activité) pour atteindre les mêmes buts ou s’en fixer d’autres. Le chercheur, quant à lui, cherche à accompagner ces dialogues professionnels et cette exploitation des conflits et dissonances dans l’analyse de l’activité (Clot, 2008).

En bref, dans cette sous-section, nous avons abordé la méthode de l’autoconfrontation simple et croisé et nous avons expliqué ses phases et les procédures qui ont été utilisées dans le cadre de notre recherche. Dans la sous-section suivante, nous abordons les observations et le journal de bord.