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Facteurs qui favorisent ou défavorisent la mise en œuvre du curriculum d’ÉP

I. PROBLÉMATIQUE

1.2 Les enseignants en éducation physique face au curriculum

1.2.1 Facteurs qui favorisent ou défavorisent la mise en œuvre du curriculum d’ÉP

Plusieurs recherches abordent les aspects qui favorisent ou défavorisent la mise en œuvre des curriculums d’ÉP. Cothran (2001), par exemple, analyse les caractéristiques de la réussite de six enseignants américains ayant essayé de changer le curriculum d’ÉP par leur initiative personnelle.Parmi les résultats de cette étude, nous soulignons que : un élément clé retrouvé est de transformer le mécontentement des enseignants par rapport aux curriculums dans une quête de solutions ; les objectifs des six enseignants sont différents, mais ceux-ci réussissent à articuler clairement leurs objectifs au curriculum et ce qu’ils recherchent en matière de résultats et de comportement des élèves ; les enseignants semblent réfléchir sur le curriculum et leur impact sur leurs élèves ; lesenseignants brisent l’isolement et le travail individuel, en bénéficiant du soutien du superviseur de la mise en œuvre du curriculum, mais également de celui de contacts professionnels externes. En fin de compte, les recommandations issues de cette étude sont : les enseignants doivent développer des compétences réflexives pour analyser leurs valeurs et besoins ainsi que ceux de leurs élèves ; il doivent s’engager dans une démarche d’apprentissage tout au long de la vie, cherchant à acquérir des compétences et à agir comme agents du changement ; enfin, la formation continue doit offrir aux enseignants des possibilités de se réunir régulièrement, d’acquérir de nouvelles connaissances et de réfléchir sur leurs curriculums.

L’étude d’Wirszyla (2002), à son tour, identifie les facteurs ayant facilité ou entravé la mise en œuvre du curriculum d’ÉP, en examinant comment huit enseignants en Caroline du Sud réussissent à atteindre les objectifs de la réforme. L’auteure dégage quatre recommandations visant à faire face aux problèmes vécus : 1) il est nécessaire de prévoir une formation en service pour les enseignants n’ayant pas participé à la formation qui a été offerte ; 2) la responsabilisation de l’enseignant peut être développée par l’observation et par les commentaires des pairs, des administrateurs ou par un rôle plus important de l’université et de l’Institut de l’ÉP dans ce processus de responsabilisation – d’ailleurs, il est également nécessaire que les élèves demeurent responsables de leurs performances ; 3) l’engagement du directeur dans le processus doit contribuer à détecter les problèmes et à aider les participants à les surmonter, en coordonnant une vision sur la mise en œuvre du curriculum et en assurant la liaison entre les différents acteurs ; et

4) la collaboration entre l’université, l’Institut de l’ÉP et les enseignants est essentielle pour aider à la formation professionnelle continue et pour renforcer les programmes existants en ÉP.

Ha, Lee, Chan et Sum (2004) ont mené pour leur part une étude visant à évaluer l’efficacité d’un programme de formation continue en soutien à l’implantation du curriculum et à comprendre la réceptivité de 183 enseignants du primaire par rapport aux changements curriculaire en ÉP à Hong Kong. Leurs résultats indiquent que les participants estimaient nécessaire la formation continue pour les aider dans la mise en œuvre du nouveau curriculum. En outre, ils démontraient plus d’adaptabilité face au changement après avoir suivi le programme de formation continue. D’après les enseignants enquêtés, la formation continue était nécessaire pour l’appropriation et la mise en œuvre du changement curriculaire aussi bien que pour les connaissances et le développement professionnel des enseignants. Selon les auteurs, dans le processus de mise en œuvre du curriculum d’ÉP, le directeur, en tant que leader de l’équipe pédagogique, doit continuer à jouer un rôle actif et à favoriser la collaboration entre les différents agents éducatifs, de sorte que l’ÉP puisse être mise en place pour stimuler une vie meilleure et plus saine.

MacPhail (2004) analyse l’interprétation de 151 enseignants écossais du secondaire au sujet du curriculum d’ÉP et leurs prises de décisions curriculaires. D’un côté, les facteurs ayant le plus fortement influencé la mise en œuvre du nouveau curriculum sont : la croyance des enseignants en son niveau d’intérêt plus élevé pour les élèves, le nombre d’élèves intéressés, les installations sportives et les personnels adéquats et l’intérêt des enseignants par le nouveau curriculum. De l’autre côté, les facteurs ayant le plus fortement influencé les enseignants à ne pas mettre en œuvre le nouveau curriculum sont : le manque d’intérêt des élèves et le manque de temps pour la préparation et le développement des enseignants. Enfin, cette auteure soutient que la formation professionnelle continue des enseignants est essentielle pour faire face au développement curriculaire.

À son tour, Günther (2009) a étudié les tensions immanentes à la pratique pédagogique de 16 enseignants d’ÉP en rapport à la réforme et au curriculum organisé par cycles de formation dans l’enseignement primaire à Porto Alegre, au Brésil. Ce curriculum a comme axes : la

démocratisation de la gestion des écoles, le binôme curriculum et connaissance3 et les principes

du vivre-ensemble et de l’évaluation. Selon l’auteure, l’innovation en éducation est très difficile et complexe, ce qui tend à amenuiser l’impact et le changement des pratiques pédagogiques. Günter a observé que l’innovation du curriculum suscite de l’enthousiasme, de la peur provoque de l’inquiétude et de la résistance parmi les enseignants. Pour quelques enseignants, les cycles de formation représentaient des possibilités de changements qui n’ont pas encore été atteints; ils estimaient que cette nouvelle organisation curriculaire pointait vers des innovations intéressantes, mais que la reforme exigeait certaines conditions que les écoles n’ont pas toujours réussi à atteindre.

Cette auteure présente certains défis de la reforme dans la perspective des enseignants, comme : l’élaboration de la planification par complexe thématique4, qui requiert

l’interdisciplinarité, la perte de l’autorité de l’enseignant dans sa relation avec les élèves5 ; la

formation continue n’a pas été appuyée sur les changements des pratiques pédagogiques ; le peu de participation des parents dans le processus de participation démocratique instauré dans le cadre de l’implantation du curriculum ; la rupture avec les espaces et temps traditionnels pour repenser le temps nécessaire d’apprentissage des élèves. Par contre, selon les enseignants, les aspects positifs du changement sont : la réduction de l’évasion scolaire; les liens plus rapprochés avec les élèves qui ont permis de comprendre leur culture ; l’évaluation formative et les nouvelles façons d’évaluer; la discussion autour de situations problèmes et du développement des élèves avec tous les enseignants de l’école, dans une perspective collective (Günther, 2009).

Halbert et MacPhail (2010), quant à eux, ont interrogé 13 directeurs d’école et 12 enseignants irlandais afin de comprendre les interprétations des nouveaux curriculums d’ÉP, ainsi que les conditions qui semblent renforcer ou affaiblir le désir de les intégrer à leurs

3 Dans son texte, l’auteure n’explique pas qu’est-ce que cela veut dire.

4 Le curriculum organisé par cycles d’enseignement considère les connaissances formelles, mais il part d’une

recherche socio-anthropologique sur la réalité de la communauté scolaire. Les résultats de cette recherche sont organisés dans les pratiques pédagogiques interdisciplinaires des écoles, à travers des complexes thématiques (Ghünther, 2009).

5 L’auteure n’explique pas pourquoi les enseignants estiment avoir une perte d’autorité. Nous supposons qu’elle est

due peut-être au changement de l’approche évaluative et du passage des évaluations quantitatives vers des évaluations qualitatives.

enseignements. Le problème le plus courant dans les écoles qui s’efforcent de s’adapter aux évolutions curriculaires, selon cette étude, est le manque d’infrastructure pour soutenir le développement et la mise en œuvre du curriculum. En outre, le Department of Education and

Science (DES), de l’Irlande, ne prévoyait pas de ressources suffisantes pour l’ÉP et le

développement curriculaire a transféré davantage la responsabilité aux écoles et aux enseignants intéressés à poursuivre la réforme. Cependant, les enseignants étaient encouragés à réfléchir et à améliorer leur pratique en travaillant en équipe dans les communautés d’apprentissage professionnelles pour promouvoir de bonnes pratiques, comprenant des réseaux engagés pour se soutenir mutuellement dans la gestion de l’innovation curriculaire.

À leur tour, Dyson, Wright, Amis, Ferry et Vardaman (2011) ont mené une étude sur la production, l’interprétation et la contestation à l’égard du nouveau curriculum d’ÉP et de l’activité physique au Mississippi et au Tennessee. Ils ont réalisé 73 entretiens avec les décideurs politiques, les directeurs, les enseignants et les élèves, en plus d’observer des cours d’ÉP et des activités scolaires. Ces auteurs ont constaté des défaillances dans la mise en œuvre du curriculum de huit écoles : les nouvelles politiques étaient établies sans objectif et sans mécanisme de financement et sans respect des acteurs scolaires (les enseignants, les directeurs et les élèves), lesquels n’étaient pas impliqués et consultés sur la mise en œuvre du curriculum. Une résistance au changement a lieu à cause de la perpétuation du statu quo, du manque de ressources dans l’école et de la lourdeur bureaucratique.

Par ailleurs, les contextes des huit écoles influençaient la propension des élèves à être plus actifs physiquement, mais les acteurs étaient plus préoccupés par des « tests standardisés » et des « performances sportives ». Par ailleurs, les enseignants soulevaient diverses questions relatives à la marginalisation de l’ÉP à l’école, en plus des installations non conformes aux normes, le manque de ressources, le favoritisme de programmes sportifs, le surpeuplement de groupes classes et la mauvaise utilisation des ressources. Enfin, à la fin de cette étude, les auteurs recommandent la mise au point de systèmes de soutien à l’école en établissant des objectifs clairs, des plans stratégiques et du développement professionnel pour mettre en œuvre de nouvelles initiatives curriculaires. Ils concluent donc que la mise en œuvre d’un nouveau

curriculum nécessite un processus de collaboration à tous les niveaux : individuel, interpersonnel, scolaire et gouvernemental (Dyson, Wright, Amis, Ferry et Vardaman, 2011).

Dans la même veine, Thorburn, Carse, Jess et Atencio (2011) ont investigué les tentatives d’appropriation par cinq enseignants du primaire du nouveau curriculum d’ÉP écossais qui mettait l’accent sur la santé et le bien-être, l’apprentissage holistique et le constructivisme. Ces enseignants ont participé à un programme de spécialisation (équivalent à un D.E.S.S. au Québec), basé sur l’apprentissage collaboratif, afin de les rendre plus compétents par rapport au changement. Selon les enseignants interrogés, pour atteindre une plus grande maîtrise du curriculum, un processus d’investigation continu et d’expérimentation pédagogiques est nécessaire. Soulignons que la principale préoccupation des enseignants était d’améliorer l’expérience des élèves. Enfin, la réflexion et le temps pour s’engager avec la politique et la théorie ont conduit les enseignants à une connexion plus profonde avec les aspirations curriculaires qu’auparavant. De plus, les auteurs ont constaté leur enthousiasme pour appliquer leurs connaissances théoriques et pratiques et ainsi inciter les changements curriculaires; la collaboration qui a émergé entre les enseignants ; le besoin d’un engagement de la direction de l’école pour avoir un soutien clair et véritable dans la mise en œuvre du curriculum.

Pasco, Le Bot et Kermarrec (2012) notent que les systèmes éducatifs sont fréquemment confrontés à des difficultés dans la mise en œuvre du curriculum officiel. Ces difficultés sont : les ressources financières, matérielles ou humaines déficitaires; les caractéristiques du public scolaire qui ne sont pas toujours prises en compte ; l’implantation curriculaire de type « top-down » ; les orientations de valeur des enseignants. En ce sens, ces chercheurs ont étudié la compatibilité entre l’introduction d’objectifs de développement personnel dans les nouveaux programmes d’ÉP des lycées en France et les orientations de valeurs6 de 96 enseignants en ÉP du lycée en France,

trois années après la mise en œuvre des nouveaux programmes. Ces chercheurs ont constaté que les enseignants d’ÉP rejetaient l’idée de centrer les objectifs de l’ÉP sur la réalisation de soi et sur

6 Les orientations de valeur (OV) désignent « l’ensemble des principes du vrai et du faux qui sont acceptés par un

individu ou un groupe social ». Dans l’éducation, les OV reflètent les conceptions philosophiques à propos de la scolarisation et constituent un fondement aux décisions pédagogiques. En ÉP, cinq OV ont été identifiées : la maîtrise de la discipline ; le processus d’apprentissage ; l’autoactualisation ; la responsabilisation sociale et l’intégration écologique (Jewett et Ennis, 1995 cités dans Pasco, Le Bot et Kermarrec, 2012).

le bien-être personnel des élèves. Si ce décalage ne permet pas de conclure sur la mise en œuvre de ces nouvelles orientations dans les pratiques réelles d’enseignement, il interroge l’approche du changement « top-down » de nouveaux programmes, en provoquant des réactions négatives chez les enseignants. Ils ont conclu que les enseignants devraient probablement être associés ou au moins préparés aux évolutions souhaitées par une clarification de leurs propres orientations de valeur suivie de formations spécifiques aux évolutions souhaitées.

Dans une étude au Bénin, Agbodjogbé, Amade-Escot et Attiklèmè (2013) ont examiné les discours des acteurs sur l’implantation des nouveaux curriculums. Les anciens curriculums par contenus et objectifs ont été substitués par des curriculums par compétences, sur une base socioconstructiviste, afin que les élèves acquièrent un savoir-faire et des connaissances leur permettant de résoudre des problèmes et développent des compétences ouvertes et adaptatives pour faire face aux enjeux sociaux contemporains. Les auteurs ont examiné le point de vue de cinq inspecteurs, 11 conseillers pédagogiques, huit enseignants d’éducation physique et sportive (ÉPS) et huit enseignants des sciences de la vie et de la terre (SVT).

Les nouveaux curriculums au Bénin ont permis aux enseignants de développer de nouvelles pratiques, cependant des points de vue contraires (voire divergents) semble indiquer que l’approche par compétence était une réponse inadaptée à des problèmes didactiques rencontrés dans leur pratique quotidienne (Joshua, 2000 cité dans Agbodjogbé, Amade-Escot et Attiklèmè, 2013). Les chercheurs ont constaté une adhésion plus marquée à l’approche par compétences parmi les enseignants des SVT. En outre, les discours les plus favorables à l’implantation du nouveau curriculum étaient ceux des inspecteurs et des conseillers pédagogiques, tandis que les enseignants avaient des discours plus sceptiques et qui revendiquaient une refondation de la réforme. En ce qui concerne les disciplines, les enseignants des SVT semblaient adhérer davantage à la réforme que ceux de l’ÉPS. Les chercheurs ont fait l’hypothèse que l’approche par compétences est plus facilement intégrable aux pratiques des enseignants de SVT.

Pour sa part, Jin (2013) a étudié comment 18 enseignants interprètent et répondent à la réforme du curriculum national d’ÉP à la santé en Chine. Il a cherché à identifier ce qui empêche

la mise en œuvre du nouveau curriculum. Les résultats de cette recherche ont montré que le sentiment de surmenage et la sous-évaluation d’ÉP minent la volonté des enseignants à relever les défis des changements proposés dans le curriculum. Une autre complication était la marginalisation de l’ÉP dans les écoles, causée par un système qui favorise davantage les résultats scolaires que le développement personnel des élèves. D’ailleurs, les enseignants accusaient les directions d’école de ne pas fournir les conditions nécessaires pour soutenir les enseignants. Le nouveau curriculum d’ÉPS demandait aux enseignants une plus grande polyvalence dans leurs pratiques : pour respecter cela, il faudrait notamment un meilleur alignement entre le curriculum d’ÉP des écoles et des cours de formation continue efficace.

À leur tour, Marani, Sanches Neto et Freitas (2017) ont analysé les perceptions de 14 enseignants brésiliens du curriculum municipal d’ÉP de Barueri, l’État de São Paulo, et de sa mise en œuvre. Les résultats ont montré que les conceptions et pratiques proposées par le curriculum, ne représentaient pas les aspirations des enseignants intégralement, même s’ils ont participé à l’élaboration de ce curriculum. En fait, les enseignants avaient différentes conceptions d’ÉP, et pas toutes n’ont été couvertes. Dans ce processus, les aspects positifs de la mise en œuvre du curriculum étaient : l’opportunité de participer à l’élaboration; la standardisation des contenus à enseigner, ce qui viendrait notamment faciliter le travail des enseignants novices ; l’adéquation des contenus au niveau des élèves ; la diversification et la séquence des contenus. Les aspects négatifs signalés par les enseignants étaient : la valorisation excessive du contenu sportif dans le curriculum ; l’incohérence entre la conception, les objectifs et les contenus ; la répétition ou manque de diversification de contenus ; l’inflexibilité, l’inadéquation des caractéristiques des élèves et les séquences des contenus ; l’interférence des évènements scolaires qui changent les leçons d’ÉP ; le manque de formation continue et de ressources pédagogiques ; enfin, les tâches bureaucratiques qui occupent le temps qui pourrait être mieux utilisé pour l’élaboration de leçons.

Comme l’on peut voir, par les recherches présentées ci-haut, plusieurs facteurs influent sur la mise en œuvre du curriculum en faisant en sorte que les enseignants adhèrent plus ou moins à celui-ci, quand ils ne résistent pas intégralement. Un autre groupe des recherches s’est intéressée justement aux adaptations que les enseignants intègrent au curriculum lors de sa mise

en œuvre. Nous les présentons ci-après.