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Chapitre 2 : Accords et Désaccords

2.2 Les conditions du désaccord

2.2.2 Le tuteur soumis au désaccord

Les échanges entre enseignant novice et tuteur peuvent déboucher sur des désaccords sans que le tuteur ne réussisse à convaincre. La manière la plus incontestable pour lui de le faire est de fournir à l’enseignant novice un conseil qui, une fois appliqué sur le terrain, sera jugé dans les faits efficace ou non. Si « ça marche ! », le tuteur réussit l’épreuve de vérité, et fournit la preuve quasi-tangible que ses conseils sont pertinents. L’enseignant novice ne se satisfait pourtant pas toujours de cette preuve, car il peut aussi remettre en question la manière de transmettre du tuteur et sa manière d’être. Le tuteur peut toujours être évalué par l’enseignant novice selon cette dualité : savoir (compétence professionnelle) / personne (manière d’être).

Le stagiaire court le risque en énonçant des critiques ouvertes envers son formateur d’irriter ce dernier au point qu’il ne valide pas le stage. Il ne faut surtout pas faire du tuteur un adversaire. De ce fait, soit l’enseignant novice ne formulera pas ses critiques soit il les édulcorera en y mettant les formes. Au lieu de dire « c’est pas possible de proposer ça à ma classe t’es ouf ou quoi ? » il dira « je sens que je ne vais pas être capable de » ou encore au lieu de s’insurger « faire ça c’est irresponsable » il dira « je ne suis pas sûr que cela soit totalement faisable pour moi ». Hirschman (1970) a décrit les différentes possibilités qui s’offrent à l’acteur pour réagir face à un désaccord.

Il peut soit opter pour la « loyauté » quitte à faire taire sa critique pour favoriser la défense du lien établi, soit « fuir » quand il juge le désaccord irréversible et défavorable ; il peut aussi « protester » tout en cherchant un terrain d’entente. Le triptyque « exit », « voice »,

« Loyalty » est devenu une référence classique, Hirschman lui-même décrit une quatrième posture moins connue et pourtant décisive dans les relations marquées par une forte dissymétrie statutaire : l’apathie (« apathy »). Cette forme de résistance qui consiste à « trainer des pieds » à être nonchalant, mais sans désaccord ouvert frontalement est très efficace pour l’acteur dominé pour signifier son mécontentement sans qu’on puisse vraiment lui reprocher quoi que ce soit (Hirschman, 1970).

On retrouve cette résistance dans le comportement des collégiens dans une enquête menée par Hellou quand par exemple ils mettent trois minutes pour sortir leur trousse. Résister passivement est la manière la moins coûteuse et la moins risquée pour signifier son désaccord (Hellou, 2010).

En montrant que la situation lui pèse, le stagiaire alourdit la relation, mais il ne peut guère lui être fait de reproche direct sans qu’il puisse aisément nier et se victimiser (en se plaignant par exemple du procès d’intention dont il est victime).

Avant même l’attention flottante (montrant qu’on est là sans y être), le stagiaire peut recourir au silence comme première forme de réprobation.

Sans mot dire le stagiaire peut formuler un reproche montrant que parler dans cette relation n’est que peine perdue, faire du bruit inutilement.

Quand on ne peut pas hausser le ton autant se taire. Cette démarche est déstabilisante pour le tuteur. En effet, elle lui rappelle d’une part que, malgré la légitimité dont il dispose, l’adhésion de l’enseignant novice n’est pas gagnée d’avance - La légitimité donnée par l’institution ne le dispense pas de l’impératif de justification - d’autre part, le tuteur n’est

pas dupe et voit bien que ce retrait silencieux est une manière de le sanctionner. Dans l’extrait suivant, on observe ce comportement de la part du stagiaire :

CH : tu es toujours dans l’échauffement là ?

EN2 : oui

TU2 : alors là tu vois, c’est à ce moment-là qu’il faudrait être dans la logique de l’activité, tout de suite, dès l’échauffement, là tu n’es pas dans la logique de ton activité

CH : mais toi (EN) tu me disais quand on a regardé cet extrait la dernière fois que tu avais scindé ton échauffement en deux, tu leur fais une première partie où finalement il n’y a pas trop de logique de l’activité, c’est plutôt une mise en train EN2 : plus générale… Avec déplacement vers la cible et voilà. Je mets un peu plus de temps à rentrer dedans, on part de beaucoup plus loin

CH : et tu penses que c’est une phase qui est importante ce que tu as fait ou tu aurais pu passer à un échauffement directement de ce type-là ?

EN2 : en fait je me disais que le fait de commencer directement par ça, j’aurais eu l’impression de passer à côté de certains fondamentaux, comme s’appliquer à faire une bonne passe, parce que j’estimais que commencer par ça, il fallait déjà savoir-faire une bonne passe et c’est pour ça que j’ai fait l’échauffement, la partie d’avant

CH : d’accord

EN2 : qu’ils puissent s’entraîner à faire des passes courtes, de plus en plus longues, après se déplacer, chauffer un peu les articulations et ensuite passer là-dessus, ce qui est de mon point de vue un peu plus sollicitant, un peu plus exigent du point de vue organisationnel, se déplacer en dribblant, voilà, au point de vue articulation, j’avais l’impression que ça aurait été peut-être trop d’un coup mais bon apparemment, on peut y arriver tout de suite

EN2 : après, je peux, par rapport à ce qui est dit là, faire mon échauffement général et peut-être après, rentrer plus rapidement dans l’activité, mais je veux garder cet échauffement général quoi CH : tu veux garder cet échauffement général et réduire le temps d’échauffement pour rentrer dans l’activité

EN2 : voilà, exactement

CH : mais tu trouves ça important de garder ton échauffement général EN2 : ben ouais parce que c’est quand même une activité où le sol est dur, il y a des déplacements rapides donc échauffement articulaire, se déplacer dans tous les sens, je trouve ça important

CH : oui, pas forcément progresser vers une cible

EN2 : voilà, avant tout c’est s’échauffer, échauffement articulaire

Si les échanges avec le tuteur reposent sur l’atténuation des propos, dès qu’ils ne sont plus en face à face, les stagiaires qui font bonne figure en présence de leur formateur ne sont pas tenus, hors de sa présence, à une telle retenue. La critique prend alors deux formes. Une première forme

« adulte » où les stagiaires remettent en cause rationnellement les conseils prodigués (« il croit qu’au bout d’une semaine je peux faire de la différenciation ? Il est fou ! »). Une seconde critique « jeune » où le stagiaire se replace volontiers en position d’écolier garnement. Celle-ci passe par la parodie humoristique, l’imitation des tics langagiers ou de l’accent du tuteur ou encore la blague facétieuse.