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Chapitre 1 : Présupposés théoriques retenus pour analyser les actes d’apprentissage

1.1 Le social dans l’individu

Il s’agit de distinguer dans cette approche théorique, l’apprentissage, considéré comme social, du développement, qui est individuel.

« L’accès à la conscience n’est pas le simple résultat d’un processus de maturation (comme le montre Piaget avec les différents stades de développement). Se mettre à penser implique pour un enfant de faire usage du monde dans lequel il est pris, sachant que ce monde n’est pas seulement composé de purs objets, mais est un monde intrinsèquement historique, culturel, social – autrement dit un monde où, de manière extrêmement variable d’un enfant à l’autre, d’autres personnes que l’enfant agissent et où s’imposent plus généralement, en particulier via le langage omniprésent, un certain nombre et un certain type de ressources et de contraintes symboliques » (Lignier et Mariot, 2013, p.195).

La signification des signes s’acquiert et s’intériorise en partie par l’intermédiaire du langage.

Les conceptions soutenues par la philosophie de Wittgenstein et la psychologie culturaliste de Vygotski ont en commun de considérer le langage comme un moyen permettant au moins l’apprentissage de

« signes » et de « règles » qui organisent nos actions et au mieux le développement d’une pensée plus complexe.

Wittgenstein étaye cette théorie de l’apprentissage du langage en considérant qu’« une signification d’un mot est un mode de son utilisation » (Wittgenstein, 2004, pp. 42-43) ; la signification d’un mot serait donc liée à son usage. Selon cet auteur, « cette signification est ce que nous apprenons au moment où le mot est incorporé dans notre langage. C’est pourquoi il y a une correspondance entre les concepts de

« signification » et de « règle » (Wittgenstein, 2004, pp. 42-43).

Vygotski considère le langage initial de l’enfant comme étant purement social, mais précise cependant qu’« il serait incorrect de l’appeler socialisé, puisqu’à ce mot est liée l’idée de quelque chose de non social au départ » (Vygotski, 1997, p.105). Or, dès notre naissance, par l’intermédiaire de dispositions anthropologiques, nous avons accès à un certain nombre d’indices du monde qui nous entoure.

Si le langage et la pensée de l’enfant peuvent être d’emblée qualifiés de « purement sociaux » par Vygotski, ce n’est pas parce qu’il fait des hypothèses sur l’état initial des jeunes enfants, ou sur leurs propriétés intrinsèques, mais parce qu’il s’agit pour lui de caractériser les conditions dans lesquelles les enfants sont placés et, par extension, leur langage et leur pensée (Lignier et Mariot, 2013, p.195).

Ainsi, chez Vygotski, le « social n’est plus un produit (tardif) de la socialisation, mais la situation immédiate et permanente de tout enfant qui naît et propre à la condition humaine (…) il n’est plus chez lui une fin

(l’issue – heureuse – du processus de socialisation), mais renverrait plutôt à la question des moyens, permettant à la pensée de se développer » (Lignier et Mariot, 2013, p.197). Selon la thèse de Vygotski le langage est ainsi un moyen privilégié du développement de la pensée. Le maniement du langage par l’enfant lui donne « la possibilité d’organiser sur un plan symbolique son action sur le monde qui l’entoure ». Il est « la conséquence d’un rapport concret au monde et à ses nécessités » (Lignier et Mariot, 2013, p.198).

Encore faut-il que les jeunes enfants aient l’occasion de manipuler ces concepts (les mots) qui selon Nelson sont utilisés au début comme s’ils étaient dépourvus de toute signification et ne sont autres qu’une reproduction de comportements qui leur sont adressés, et cela dans les mêmes contextes où ces mots leur ont été enseignés par les parents (Nelson, 2008).

L’impact de cette conception joue un rôle majeur sur l’approche de l’apprentissage et du développement des individus, car si ces derniers trouvent leur source au travers du langage, la « question des relations entre la variabilité manifeste des niveaux des styles langagiers et la variabilité éventuelle des modes de pensées qui en sont, au moins pour partie, le produit » se pose. En d’autres termes, c’est « parce que les mots qui peuvent être mis au service de la pensée émergente sont à priori diversifiés d’un enfant à un autre [que] les modes de pensées qu’ils fondent ont toutes les chances de l’être aussi » (Lignier et Mariot, 2013, p.198). C’est pourquoi se pose également la question de l’impact de la communauté. L’approche de Wittgenstein et celle de Vygotski montrent des rapprochements possibles sur ce point. Toutes les deux postulent la nécessité d’un contrôle exercé par la communauté sur l’usage des mots et de leurs significations par les « apprenants », « sans ce contrôle initial du

sociales et de s’y accomplir (…). Le contrôle quotidien des pratiques des novices par la communauté apparaît en effet comme l’une des conditions non seulement de l’apprentissage effectif d’un jeu de langage, mais aussi de l’émergence d’une forme de vie sociale », (Bertone, 2011, p.50). Cette idée suppose que, en accord avec Wittgenstein, soit développée une conception de l’enseignement en tant que « dressage » de liens de signification entre un mot et son usage. Ce « dressage » amène à un

« étalonnage partagé (de l’expérience) sous la forme de jugement de base de ce qui est évident » (Williams, 2002, p.116).

Le développement cognitif, à la différence de l’apprentissage qui est social, correspond à un processus d’individualisation d’une vie sociale qui préexiste toujours. De manière plus exacte, il correspond à l’appropriation (apprentissage) par l’enfant des instruments symboliques ordinairement manipulés dans son milieu de vie (Bertone, 2011).

Le concept de « dressage » développé par Wittgenstein autorise (et conditionne en partie) l’émergence d’intentions et de significations individuelles ainsi que la participation subjective à des formes de vie sociale (Berducci, 2004 ; Bertone, 2011 ; Le Du, 2004).

« On retrouve cette idée de Wittgenstein sous la plume de Michel Le Du lorsqu’il évoque la relation entre psychisme individuel et socialisation. L’auteur écrit notamment que le mental ne s’obtient pas par une sorte d’ascèse et de séparation d’avec le social : tout à l’inverse, ce qu’il y a de caractéristique dans nos propres façons ordinaires de penser et raisonner est finalement ce qu’il y a en nous de plus social. Le fait que les règles soient des standards de correction et qu’il soit impossible de les établir en complète autarcie concourt, de façon essentielle selon l’auteur, à socialiser l’esprit » (Bertone, 2011, p. 198).

Vygotski à l’instar de Wittgenstein, réintroduit dans la psychologie la totalité du monde social, les mots que l’enfant mobilise ne sont pas

abstraits : ce sont ceux de la société. Apprendre à penser pour un enfant revient à apprendre à utiliser pour son compte un langage profondément ancré dans une histoire et une culture collective (Lignier et Mariot, 2013, p.199).