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Étayage par les formateurs : dans des communautés de pratiques

Chapitre 2 : D’une dissymétrie absente à une dissymétrie plus présente

2.3 Étayage par les formateurs : dans des communautés de pratiques

Moussay, Méard et Étienne ont étudié l’impact de la situation tutorale sur l’activité de classe des enseignants novices. Ils ont montré que l’adressage des actions et des motifs par les interlocuteurs de la situation tutorale permet aux enseignants de découvrir de nouvelles possibilités d’action (Moussay, Méard et Étienne, 2011).

Certains dispositifs de formation collaboratifs, sous forme de triade composée d’un tuteur, d’un enseignant novice et d’un pair enseignant novice (binôme) permettraient la transition entre l’université et le terrain ainsi qu’un réel apprentissage du métier (Rigelman et Ruben, 2012). La collaboration au sein de la triade a permis d’instaurer un climat favorable à l’apprentissage du métier enseignant en créant un collectif. Ces auteurs ont montré via la mise en place de ce dispositif triadique l’importance de la pratique réflexive réalisée à partir de l’outil vidéo.

En observant leurs pratiques de classe, les enseignants novices se sont centrés sur les élèves de manière plus approfondie, ils ont amélioré leur confiance en eux, entraînant un désir de mettre à l’épreuve leurs pratiques qui ont pu être différentes de celles des tuteurs (Rigelman et Ruben, 2012). Cependant, le rôle des tuteurs a été trop peu structuré et structurant pour les enseignants novices, les auteures n’ont pas mentionné en détail les pratiques d’étayage apportées aux enseignants novices.

De plus, on peut souligner la fragilité de ce modèle concernant l’usage du binôme car il est difficile aux enseignants, étant novices, de pouvoir juger et valider les « bonnes pratiques » entre eux. Au regard de ces difficultés, Rigelman et Ruben proposent de développer les connaissances des tuteurs et leurs compétences en matière de tutorat afin

qu’ils puissent accompagner les enseignants novices dans des tâches réflexives spécifiques (Rigelman et Ruben, 2012). Goodnough, Osmond, Dibbon, Glassman et Stevens ont observé plus précisément des modèles triadiques de formation (un tuteur et deux enseignants novices). Ils ont pu distinguer, à partir de catégorisations ayant émergé en cours de la recherche, plusieurs formes d’enseignement.

Dans l’enseignement individuel, un enseignant met en œuvre la leçon et l’autre agit comme un ami critique « critical friend ». Dans l’enseignement « partagé », un enseignant chef de file conçoit et l’autre exécute. Enfin, l’enseignement collaboratif complet donne lieu à un partage égal de la conception et de la mise en œuvre des leçons. Les chercheurs ont observé au cours de l’étude une modification du rôle des tuteurs. Au fil des séances, ils n’étaient plus le guide dirigeant toutes les activités et les enseignants novices se sont émancipés. En ce sens le modèle triadique diffère du modèle de dyade où les activités sont le plus généralement chapeautées par le tuteur. Les enseignants novices ayant participé à l’étude ont toutefois relevé des problèmes concernant la perte de leur individualité due au travail collectif ainsi que l’instauration d’un climat de compétition. Les tuteurs ont souligné quant à eux des différences d’habiletés entre enseignants novices, pouvant poser problème, ainsi qu’un manque de communication avec les enseignants novices. Les tuteurs, en leur laissant la main, n’ont pas réussi à contrôler de près leurs activités (Goodnough, Osmond, Dibbon, Glassman et Stevens, 2009).

Ce dispositif pourtant « innovant » par rapport aux dispositifs traditionnels de formation n’a pas permis, malgré la présence d’un tuteur, de coordonner les activités des enseignants novices entre eux. Masats et Dooly ont observé différents dispositifs considérés comme « innovants »

fondés sur la collaboration entre les différents acteurs engagés et utilisant la vidéo comme outil de formation.

Plusieurs cas ont été analysés afin de rendre compte de leurs spécificités. Un des dispositifs intitulés le « zooming in » part du postulat faisant du coaching vidéo un stimulus pour la réflexion personnelle. Les auteurs adoptent la position selon laquelle, pour devenir un bon enseignant, il faut être capable de réfléchir sur la pratique d’enseignement de chacun. Un autre des dispositifs présentés dans cette étude, le « freeze framing » se développe à partir de propositions vidéo dans lesquelles les étudiants en formation peuvent visualiser des exemples de « meilleures pratiques » réalisées par un enseignant expert. La vidéo proposée donne à voir dans les plus menus détails le comportement de l’enseignant et les interactions de classe. Les enseignants novices jugent que l’analyse de la pratique d’un enseignant expert est plus utile que l’analyse de leur propre pratique (Masats et Dooly, 2011).

Ces résultats démentent le postulat de Luc Ria (2010) selon lequel les étudiants en formation préfèrent le jugement sur les pairs. Nous pouvons émettre l’hypothèse que la préférence pour le visionnage de la pratique de leurs pairs, repose sur un élan compassionnel. Ils ne sont pas tout seuls dans le « bateau » mais ils ne sont efficaces que lorsqu’il y a un

« skipper » et c’est le tuteur qui permet un étayage efficace. Même si dans certains cas, ce sont les étudiants en formation qui ont validé leur pratique, le recours aux experts leur a permis de se développer dans leurs pratiques d’enseignement et/ou de développer leur pratique réflexive.

Le « social présent non dissymétrique » produit de la contradiction entre les enseignants novices mais leur permet de s’engager à transformer leurs pratiques. Reconnaître la nécessité d’un « skipper à bord » (tuteur) accroit la « dissymétrie ». Encore faut-il que ce tuteur soit réellement présent. C’est-à-dire qu’il coordonne les interactions de formation des

enseignants novices afin d’accéder à leurs préoccupations. Lambson a montré en ce sens les avantages de la participation d’enseignants novices à un groupe d’étude d’enseignants (« teacher study group ») incluant la présence de superviseurs universitaires en plus des tuteurs. Cet auteur a mis en exergue deux points au regard des résultats obtenus : d’une part, la participation assidue des enseignants novices dans le groupe d’étude et d’autre part le rôle du superviseur universitaire et des tuteurs. Les préoccupations des novices ont été prises en compte, la superviseure universitaire a joué un rôle prédominant dans l’organisation et le soutien des enseignants novices. Son rôle a été de s’occuper de chacun et de répondre aux besoins individuels, d’engager les enseignants dans la discussion, de les encourager à aller plus loin dans leur réflexion, de développer et de s’inscrire dans un répertoire partagé par la communauté.

Ce dispositif a donc permis aux enseignants novices de s’approprier les habitudes du groupe et de s’acculturer au milieu. Les pratiques et le discours du groupe leur ont permis de se développer. Les progrès s’appliquent également aux experts. Les enseignants expérimentés ont volontairement ouvert leurs portes aux enseignants novices qui ont été acceptés comme des participants légitimes avant d’exercer pleinement le métier d’enseignant. Cette étude a aussi révélé le rôle significatif des experts et notamment des superviseurs universitaires, sensibles et attentifs aux besoins des participants dans un collectif de travail (Lambson, 2010).

Ibrahim a examiné les approches de supervision des étudiants en formation d’enseignants (« student teachers ») dans un programme de formation. Cette étude a montré que les étudiants en formation préfèrent une approche collaborative à la supervision (considérée comme plus directive). L’approche collaborative a été utilisée par les tuteurs et l’approche directive par les superviseurs universitaires. De plus,

opinions négatives sur les niveaux d’engagement et d’abstraction des étudiants en formation (« student teacher »). Une des conclusions de cette recherche est que les superviseurs universitaires portaient des opinions négatives concernant les capacités des enseignants novices dans ce programme et que cette attitude négative a conduit les superviseurs universitaires à adopter une approche directive.

Les résultats montrent que les stagiaires n’ont pas été satisfaits de l’approche directive employée par les superviseurs universitaires et auraient souhaité plus de collaboration et d’autonomie. Contrairement aux tuteurs qui étaient plus ouverts dans leurs relations avec les enseignants novices, les superviseurs universitaires pesaient en termes techniques de superviseurs plutôt qu’en termes de facilitateur de l’apprentissage des novices (Ibrahim, 2013).

Les dispositifs de formation fondés sur l’étayage par des tuteurs et/ou des superviseurs universitaires et/ou des formateurs universitaires permettent souvent aux enseignants novices de se développer plus efficacement qu’au sein des dispositifs entre pairs. La dissymétrie est donc un facteur déterminant mais, dans certains cas on observe des formes de résistance (Bertone, Chaliès, Clarke et Méard, 2006 ; Ibrahim, 2013).

Le tuteur apparaît parfois comme une personne encombrante. La dissymétrie n’est donc pas systématiquement souhaitée notamment lorsque les conseils dispensés par les formateurs experts sont inaccessibles aux enseignants débutants et/ou enseignants en formation. Correa, Martínez-Arbelaiz, Aberasturi-Apraiz ont confirmé cette hypothèse et ont montré selon la perspective de Lave et Wenger que les néo-titulaires sollicités ont eu une « participation périphérique » au sein de leur communauté de pratique et n’étaient pas considérés comme des membres à part entière. Ils ont éprouvé des difficultés à mettre en œuvre leur enseignement car ils

n’ont pas été pris au sérieux par les membres plus anciens de la communauté (Correa, Martínez-Arbelaiz, Aberasturi-Apraiz, 2015).

2.4 Prendre en compte les statuts dans la formation des