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Considérations à prendre en compte pour la création d’un dispositif particulier dit du

Chapitre 3 : Une dissymétrie aménagée : un « parrain » dans le bateau

3.2 Considérations à prendre en compte pour la création d’un dispositif particulier dit du

Deux types de contenus sont majoritairement proposés aux enseignants débutants en formation. Soit des contenus généraux et abstraits très peu exploitables par les enseignants, soit des prescriptions pratiques très spécifiques, mais dont le caractère formateur reste limité puisque les conditions de leur mise en œuvre ne sont pas analysées.

Dans le premier cas, les règles didactiques et pédagogiques qu’il s’agirait d’appliquer et qui sont énoncées par des formateurs eux-mêmes coupés de la pratique de l’enseignement de classe correspondent souvent à des injonctions idéalistes.

Dans le deuxième cas, les règles énoncées par des formateurs conservant une pratique d’enseignement sont aussi en décalage important avec les possibilités d’action d’un enseignant débutant, car elles sont issues d’une pratique expérimentée.

Dans les deux cas, elles sont perçues comme irréalistes ou inatteignables par les enseignants stagiaires (Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres et Durand, 2008). Les interventions des tuteurs et des formateurs ne doivent pas prescrire mécaniquement l’activité des enseignants stagiaires, mais venir enrichir le contexte de leur activité en relation avec leurs préoccupations actuelles (Durand, De Saint-Georges et Meuwly-Bonte, 2006). L’efficacité de l’intervention des formateurs pour aider les enseignants stagiaires à transformer leur pratique ne se trouve donc pas dans la prescription de ce qu’ils devraient faire dans leur classe au regard des programmes, des instructions diverses, d’une pratique experte ou des apports didactiques et pédagogiques valorisés à un moment donné (Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres et Durand, 2008).

Ainsi lorsque les conseils, apports de connaissances, injonctions, recommandations, propositions théoriques sont adressés de manière trop décontextualisée par des formateurs éloignés des préoccupations des stagiaires, ils risquent fort de développer chez leurs destinataires des stratégies d’autoprotection qui les constituent en réfractaires (Durand, 2008 ; Serres, Ria et Adé, 2004). Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres et Durand ont montré qu’un enseignant débutant peut difficilement faire rentrer dans son monde de significations l’expertise de didacticiens ou de praticiens expérimentés tant leurs visions de la situation sont différentes ; il va donc se culpabiliser de ne pas pouvoir mettre en œuvre ces principes ou les rejeter en grande partie. Son monde ne coïncide que partiellement avec celui d’un enseignant expérimenté : par exemple, un enseignant débutant va en permanence devoir s’adapter à des situations nouvelles

fortement anxiogènes et un enseignant expérimenté va reconnaître régulièrement des situations déjà vécues à partir d’indices typiques (Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres, Durand, 2008). Ainsi, les préoccupations typiques des professeurs stagiaires relatives à la nature des relations avec leur conseiller pédagogique ou leur tuteur montrent qu’ils cherchent à « conserver la main », à bénéficier de conseils quand cela est nécessaire et à faire du conseiller un « allié », une ressource (Ria, Serres, Goigoux, Baques et Tardif, 2004/2007). Serres plaide pour ne pas développer de relation de type compagnonnage basée sur des interactions asymétriques fortement prescriptives, mais plutôt une relation empathique qui débouche sur des conseils lorsque ceux-ci sont sollicités et attendus (Serres, 2006).

Malgré l’intention d’accorder une responsabilisation accrue aux acteurs de la formation, l’apprentissage du métier enseignant nécessite un étayage de la part des personnes-ressources. Mais la littérature montre qu’un accompagnement ne peut se limiter aux seules prescriptions de savoirs et de savoir-faire experts. D’une part, parce que la complexité de l’activité professionnelle déployée au quotidien n’est pas aussi facilement appréhendable par les acteurs eux-mêmes : ceux-ci s’adaptent au gré des circonstances sans en avoir pleinement conscience et sans pouvoir identifier clairement les fondements de leurs activités les plus intuitives ou routinières. D’autre part, la prescription de gestes professionnels experts est rarement efficace, car ceux-ci ne sont pas « directement assimilables » par des novices n’ayant pas le même vécu professionnel et la même maîtrise des interactions scolaires. La référence à l’activité experte ne peut être alors qu’une ressource ponctuelle, compte tenu de sa pertinence vis-à-vis d’un registre particulier de situations scolaires et de sa compatibilité avec les dispositions à agir en classe des néo-titulaires

Conclusion

Les avancées dans les dispositifs d’alternance supposent de sortir de la dispute entre les partisans d’une transmission verticale opérée par des enseignants experts et les tenants d’un enrichissement horizontal par des pairs. Plusieurs dispositifs réussissent à dépasser cette opposition en clarifiant les exigences complémentaires des deux formes de transmission.

Le recours à la notion de « communauté de pratique » est mobilisé pour atténuer les écarts statutaires, mais elle n’est pas dans les faits un paradis communautaire tournant le dos aux hiérarchies institutionnelles.

Toutes les prises de parole n’y ont pas le même poids. Les positions d’énonciation restent déterminantes pour l’accueil réservé aux membres intervenants. En outre, en milieu scolaire, la communauté de pratique reste repliée sur l’établissement, alors que dans d’autres milieux professionnels comme les laboratoires de recherche ou l’entreprise ces communautés reposent au contraire sur un décloisonnement institutionnel (Lave et Wenger, 1998). En milieu scolaire, on est même en droit de se demander si l’ouverture telle qu’elle est proposée par la communauté de pratique ne renforce pas en définitive l’institution.

La contestation des impositions statutaires n’a pour autant rien d’une fin en soi et des travaux ont montré la nécessité de l’étayage du cheminement des enseignants novices par des experts chevronnés.

Toutefois, ils suggèrent aussi le nécessaire recours à un intermédiaire à même de traduire la pensée des experts, en retour de valoriser la pensée des enseignants novices et finalement de réduire les résistances à la transmission. La traduction/construction du savoir transmis n’est pas uniquement l’œuvre de ceux qui transmettent et de ceux qui reçoivent ; ce sont aussi des médiateurs qui rendent efficaces les échanges. Dans cette perspective l’introduction de parrains semble pertinente d’une part par ce

qu’elle remet en cause toute relation de type strictement « maître à disciple », mais aussi parce qu’en évoquant la dimension familiale de la transmission elle est le garant de sa continuité.

PARTIE 2 : CADRE