• Aucun résultat trouvé

Les conditions nécessaires à la mise en place de compromis

Chapitre 3 : La présence d’un tiers : le parrain

3.2 Le parrain comme facilitateur des compromis

3.2.1 Les conditions nécessaires à la mise en place de compromis

Nous avons vu que le compromis était une figure quasi absente de la configuration dyadique tuteur/parrain. Celle-ci est régie par un rapport de force institutionnel trop nettement en faveur du tuteur pour qu’il ait besoin de se lancer dans des compromis. La configuration triadique autorise plus aisément l’apparition de compromis.

Toutefois pour rendre cette figure envisageable il faut que le parrain en prépare le terrain. Ce qui rend le compromis plausible, et même possible, c’est l’absolue nécessité pour le parrain de ne jamais apparaître aux yeux du tuteur comme un rival ou un concurrent. Le parrain va demander au tuteur de se remettre partiellement en cause ; il est donc nécessaire qu’un lien de confiance désamorce les interventions du parrain comme des épreuves auxquelles le tuteur devrait se soumettre au risque du désaveu.

Pour gagner la confiance du tuteur, le parrain apporte de l’eau à son moulin. Il ne s’agit pas d’un masque sous lequel le parrain dissimulerait son vrai projet de conspirateur préparant dans l’ombre une insurrection contre le tuteur. Le parrain ne vise aucun soulèvement, il est objectivement l’allié du tuteur. Au contraire, plus l’activité du tiers apparaitra au tuteur comme intégrée à la sienne plus il sera prêt à ce que le parrain lui apporte « un coup de main » ou même son savoir (non pas une expertise concurrente). Le parrain avant même d’essayer de frayer un compromis doit donc remplir une fonction de légitimation du tuteur moins sur un mode institutionnel que par la reconnaissance de son expertise qu’il lui témoigne.

La seconde condition pour que le compromis puisse être frayé est que le parrain, lors des entretiens conseil, offre de possibles contenus alternatifs respectant les règles enseignées par le tuteur. Le parrain peut alors servir de réservoir auxiliaire de solutions quand le tuteur semble à court. Il ne s’oppose jamais au tuteur sur le fond, mais peut adroitement prendre le relais pour offrir des solutions alternatives. De fait, dans l’extrait suivant c’est finalement le parrain qui va conseiller l’enseignant novice et lui proposer des solutions à mettre en œuvre :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignant novice 3/parrain 3/tuteur 3)

EN3 : c’est-à-dire que ton objectif, dès la leçon un tu l’as ?

PA3 : quel est l’objectif du cycle ? Tu sais comment ça se passe, c’est guidé par la compétence attendue, notre objectif, ce sera de progresser collectivement vers la cible pour aller marquer

EN3 : pour moi, ça, ça vient en leçon deux, une fois que tu as fait ton diagnostique.

PA3 : oui ben dans ce cas-là, tout ce que tu dis là, tu n’as pas besoin de le dire alors si ça commence à la leçon deux, pour le diagnostic tu n’es pas obligé de leur dire « voilà, il faut faire deux pas etc. » mais pour moi, tu peux très bien annoncer l’objectif du cycle et après tu verras l’écart qu’il y a entre ce que font les élèves et ton objectif, là, tu réajusteras, tu peux donner l’objectif, et ensuite ben voilà, le premier exercice qu’on va faire, ce sera un exercice de passes, parce qu’il faut progresser vers la cible, l’objectif du premier exercice ce sera ça, au niveau de l’organisation, on se mettra…Après tu vois, et on montre…Pas la peine d’aller sur combien de pas etc. Et puis après au fur et à mesure tu es dans une évaluation diagnostique, tu verras, et puis au fur et à mesure tu réguleras tu vois. Moi c’est une solution que je te propose

On voit aussi s’instaurer dans une autre situation une division des tâches entre tuteur et parrain de la triade 2 ; la tutrice « se garde pour elle » le questionnement de l’enseignant novice sur les raisons de ses actions24 alors qu’elle laisse dans un deuxième temps au parrain le choix de proposer des solutions concrètes.

Le parrain livre alors la manière dont en pratique il réalise un exercice de dissociation en hand-ball ; il propose des critères de réalisation concrets :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignant novice 2/parrain 2/tuteur 2)

PA2 : alors moi, je le fais en direction de la cible, d’accord ? Je mets deux colonnes ici, deux colonnes ici, ils sont par deux et le départ c’est passes directes, voilà, on se fait des passes en courant et effectivement les pas chassés, je ne leur demande justement pas de pas chassés pour qu’ils aient cette dissociation tronc-jambes et en match c’est exactement ça, tendre les bras, au début, je pense qu’un premier niveau peut être le pas chassé, c’est-à-dire envoyer la balle où mon partenaire est et très vite tu vas partir sur je n’envoie plus la balle où mon partenaire est mais où mon partenaire sera et aux élèves tu leur dis « tu montres tes mains à l’élève porteur de balle » mais ensuite quand c’est « où tu seras », c’est là que tu as ta dissociation tu vois jambes-tronc

La tutrice peut rebondir dans un troisième temps sur les conseils du parrain :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignant novice 2/parrain 2/tuteur 2)

TU2 : et pour te rejoindre justement moi j’estime qu’un exercice qui permet cette dissociation et de lancer la balle où l’autre sera c’est de limiter le nombre de passes pour atteindre la cible parce que obligatoirement les gamins sont obligés de mettre de la vitesse, de l’orientation et de la dissociation tronc-jambes donc par rapport au temps, ils savent voilà

« on a deux passes pour traverser le terrain, comment on peut faire ? » effectivement, si je reste les deux pieds fixés et les mains ici, ça va pas le faire, la deuxième passe, je suis toujours aux dix mètres dans mon camp…Ce sont des petits comportements qu’on doit induire au niveau de nos consignes de travail donc leur apporter petit à petit des solutions

24« C’est ce que tu vas faire après ? », « et donc pourquoi tu fais ça ? », « et alors ? Pourquoi tu ne veux

Cette démarche permet à l’enseignant novice de récupérer le conseil donné par le parrain tout en conservant ceux prodigués par la tutrice.

Si paradoxalement le parrain semble proposer des conseils plus justes que ceux émis par le tuteur, c’est parce qu’il est plus proche de lui en âge et ayant moins d’expérience que le tuteur, son capital expérientiel ressemble donc plus à celui possédé par l’enseignant novice. La discipline nécessaire à la prise en main de la classe est l’occasion de repérer cette proximité expérientielle et ses effets.

Dans le conseil pédagogique suivant, la tutrice revient sur les débuts de la séance du stagiaire marquée par l’agitation des élèves trop bruyants lors de la passation des consignes :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignante novice 1/parrain 1/tuteur 1)

TU1 : ah oui mais là il faut faire quelque chose, le passage des consignes est un moment clef au bon déroulement des activités et tu ne peux pas laisser ce climat s’installer à ce moment là.

Elle propose une solution contractualiste liée à son expérience, mais ce conseil n’est pas réutilisé par l’enseignant novice :

Conseil Pédagogique (chercheur/enseignante novice 1/parrain 1/tuteur 1)

TU1 : je mets en place un fonctionnement dès le début de l’année avec les droits et devoirs des élèves, ils savent ce qu’ils ont le droit de faire et de ne pas faire. Si leur comportement n’est pas adéquat, il y a des sanctions. Et souvent, quand ils prennent une sanction, ils font attention les fois d’après

(…) EN1 : oui, mais je ne me vois pas l’utiliser dans ce genre de situation, avec les consignes ça fait beaucoup de choses à gérer…

Plutôt que de construire son autorité sur une contractualisation, la novice préfère l’autorité acquise par le charisme et le pouvoir d’intimidation. Pour elle, l’autorité passe par le corps et le regard qui permet son prolongement. Savoir se faire respecter est le premier défi du

stagiaire, le relever suppose une mobilisation corporelle. L’enseignante novice adopte donc la suggestion du parrain et à l’usage il la trouve efficace :

CH1 : et les conseils proposés par Céline ça te conviendrait ?

EN1 : euh oui, ça me paraît moins difficile à gérer, capter l’attention par le corps, la voix ou le regard, il faut que j’essaye la prochaine fois

CH1 : ah super, tu réutilises le conseil de Céline alors ?

EN1 : oui, oui c’est tout simple, en fait on le fait assez naturellement sans s’en rendre compte…Mais quand on y pense ça prend une autre dimension

CH1 : et ça fonctionne ?

EN1 : euh oui…en tout cas, là oui, et c’est ce que je me disais, si ça fonctionne pas, c’est là que je passerai sur le tableau des droits et devoirs, avec des sanctions

L’enseignante novice récupère également le conseil de la tutrice, mais elle ne l’utilisera qu’en dernier recours « et c’est ce que je me disais, si ça fonctionne pas, c’est là que je passerai sur le tableau des droits et devoirs, avec des sanctions ».

En conclusion, les solutions de compromis que propose le parrain ne l’amènent pas à couper la poire en deux entre les propositions du tuteur et celles de la stagiaire. Elles sont construites autour de trois caractéristiques. D’une part, elles doivent être accessibles au parrain, d’autre part, elles doivent être efficaces. Enfin, elles ne doivent pas trahir les principes du tuteur.

3.2.2 La logique de déconfinement : l’ouverture à d’autres tiers