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Chapitre 2 : Accords et Désaccords

2.1 Les conditions de l’accord

Si habituelles, qu’elles en deviennent presque transparentes, les situations où l’accord se fait entre stagiaires et tuteur attestent du bien-fondé de la transmission. Mais bien au-delà, ces accords réaffirment non seulement la légitimité du dispositif et la légitimité de la situation d’apprentissage, mais aussi plus largement la légitimité de l’école républicaine, la chance d’y appartenir, et la nécessité de la défendre.

Dans un « je suis d’accord avec toi », ou un « c’est vrai t’as raison » l’accord se fait sur l’ensemble du monde scolaire parce qu’adoptant les mêmes conduites, suivant les mêmes règles obéissant aux mêmes normes, tuteurs et stagiaires honorent finalement les mêmes valeurs. C’est cette remontée en généralité, conduites, règles, normes, valeurs qui, à la fois, permet et donne sa force à l’accord.

Toutefois, l’accord n’est pas systématique, il suppose plusieurs conditions.

La première d’entre elles est l’adhésion du stagiaire. Adhésion et accord ne peuvent être confondus. L’autorité de l’expert (le tuteur) ne s’appuie pas uniquement sur son pouvoir institutionnel. Le stagiaire créditera d’autant plus l’expert de sa confiance que ses conseils porteront en pratique immédiatement leur fruit. Un étayage efficace assurera au tuteur respect et admiration.

L’admiration repose sur une double appréciation positive portant à la fois sur les compétences professionnelles (« conseil qui marche »,

« bonne recette ») et les compétences liées à sa personne (« elle est top »,

« vraiment investie »).

La supériorité des compétences professionnelles n’est pas en soi suffisante pour susciter l’admiration, elle peut être considérée comme un simple produit du différentiel d’expérience ; il faut qu’elle soit assortie de qualités humaines qui donnent envie au stagiaire de ressembler au tuteur (par identification).

Quand le stagiaire estime avoir eu la chance de bénéficier d’un tel tuteur, il lui exprime de la reconnaissance au double sens du terme (gratitude et appréciation positive portées sur sa personne) et l’accord en est grandement facilité. Même si le stagiaire met en place des opérations de relativisation21, il se sent redevable de ses progrès.

Le stage est vécu par les stagiaires à la fois comme un processus de normalisation (de mise en conformité) et tout à la fois comme un moment d’individualisation voire de singularisation.

21La relativisation est une opération qui sert l’accord (pour relativiser la portée de l’aide reçue) et le désaccord (comme on le verra plus loin). La première forme de relativisation du jugement porté envers le tuteur consiste à comparer « son » tuteur avec celui des autres (par le truchement des anecdotes échangées avec d’autres stagiaires) ; il s’agit de voir si le tuteur est vraiment exceptionnel ou si le traitement dont le stagiaire bénéficie est finalement celui réservé à tous les stagiaires.

L’extrait suivant illustre bien la gratitude du stagiaire vis-à-vis de

fais ultimate après, tu vas avoir d’énormes transferts, tu vas avoir des transferts, du basket à l’ultimate y en a des tas mais après aussi, ils refont ultimate en cinquième donc ils font garder cette histoire de choix, se démarquer, ça c’est universel sur les sports co., donc cette évaluation n’est qu’un temps T sur un cursus de quatre ans voir plus avec le lycée mais je veux dire, c’est pas une fin en soi, c’est pas parce que tu es dans une séance d’évaluation que ça doit être différent d’une autre séance, pour moi c’est pareil, sauf que à eux on leur dit que ça clôture un cycle parce que comme ça on en fait un autre après, mais ma note elle est faite bien avant, sur tout le cycle

EN3 : ouais, ouais, mais là je suis d’accord avec toi

EN3 : par contre, et là je suis vraiment d’accord avec elle, quand elle parle des transferts, par exemple « se démarquer », ça c’est clair que c’est commun à tous les sports collectifs et que c’est hyper important tout au long du cursus, enfin des quatre ans de collège et même après d’ailleurs, c’est ce qu’elle dit.

La seconde condition pour rendre l’accord possible est que le tuteur permette au stagiaire de mener de front les deux mouvements en créant un cadre de transmission qui respecte l’individualité.

En effet, le sentiment d’entrée dans une communauté entraîne un sentiment de dépossession de soi qui en même temps est le prix à payer pour l’intégration au groupe professionnel.

L’acquisition d’une appartenance doit être rendue compatible avec la quête de singularité. Ainsi, être conforme, se sentir à sa place, disposer de solutions standards qu’emploierait tout autre enseignant à sa place, rassure fortement le stagiaire. Ne pas reconnaitre que le novice est en

demande d’une recette prête à l’emploi ne rendrait pas compte de ses préoccupations.

Des savoirs prêts à l’emploi dispensent du bien-être à ceux qui y accèdent et s’en satisfont. Mais simultanément (ou même uniquement dans un second temps) le stagiaire souhaite aussi « mettre sa patte » sur ce qui lui est proposé, il cherche à trouver son propre style. Avec cette seconde préoccupation, l’accord est favorisé si les relations entre tuteur et stagiaire articulent principe de ressemblance et principe de dissemblance.

Or, les experts sont souvent tentés de transmettre une vérité extérieure aux stagiaires, alors que ces novices aimeraient aussi qu’on les aide à révéler une vérité logée à l’intérieur d’eux-mêmes. Par exemple lorsque le stagiaire reproche à sa tutrice lors d’un conseil pédagogique de lui demander de « prendre en compte les caractéristiques de ses élèves alors qu’elle ne me prend pas en compte moi », les conditions de l’accord ne sont pas favorables, car le stagiaire ne se sent pas respecté.

Enfin la troisième condition pour que des accords puissent advenir est que les conditions de réussite de l’épreuve fassent l’objet d’un accord initial ou si l’on préfère que ce qui est attendu du tuteur soit clarifié.

L’impossibilité pour le stagiaire de savoir précisément ce que le tuteur attend de lui annihile ses efforts pour parvenir à l’accord.

Autoconfrontation (chercheur/enseignant novice 2)

CH : ce conseil là du coup, il te paraît pertinent

EN2 : non, en fait j’ai pas réussi à comprendre où elle voulait en venir en fait CH : d’accord

EN2 : parce que…Je trouve que ce qui m’a été dit là, ça m’a rien apporté parce que, à la rigueur si le conseil est fondé, si elle m’explique comment faire, ok, mais là elle me dit…Elle me montre le résultat qu’elle voudrait avoir mais elle ne me dit pas comment CH : elle te donne un chantier de réflexion mais concrètement

EN2 : elle me donne pas les outils, « faudrait ça, faudrait ça, faudrait ça »